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27 mars 2024 3 27 /03 /mars /2024 11:52

 

 

 

Fugue ou "voyage idiot" ?

 

 

 

____________________________________________________________Suite

 

 

 

Comme annoncé par le marin, le bateau accosta à l'heure prévue. Comme à Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et Papeete, Paul Eluard présenta ses papiers d'identité à un fonctionnaire des douanes détestable et suspicieux. Que venait donc faire à Saigon ce petit Français seul et sans équipage ? Tourisme, affaires, famille ? Pis que tout cela ? Sitôt le document dûment tamponné, il ne s'attarda pas dans les bureaux de l'administration coloniale et disparut rapidement par les rues espérant se fondre dans la foule vive et pressée. Il valait mieux être discret, ne pas la ramener, ne pas faire de vagues. Savait-il qu'un de ses compatriotes ayant maille à partir avec la justice se trouvait au même moment à Saigon ? Un compatriote de six ans son cadet qui avait passé son enfance à Bondy, à quelques kilomètres de chez lui (presqu'en voisin donc, lui ayant été scolarisé à Aulnay-sous-Bois), venu en Asie par amour pour ses monuments et son art (sans toutefois avoir quitté Paris de façon soudaine et brutale), qui attendait d'être jugé en appel (jugement qui aurait lieu le 8 octobre 1924) pour "détournement de fragments de bas-reliefs dérobés au temple de Banteay Srei" (1) au Cambodge. Ce compatriote s'appelait André Malraux. Savait-il à ce moment-là que ces amis de Paris (qu'il avait abandonnés sans laisser d'adresse cinq mois auparavant) avaient, pour cet autodidacte cultivé pris la main dans le sac, signé une pétition en sa faveur dans une revue parisienne, espérant ainsi le tirer de ce mauvais pas ? (1) Alors, mal rasé, mal habillé, sans le sou, errant dans la ville à la recherche d'un logis bon marché, mieux valait pour lui de rester discret, de se faire petit, de se terrer. Dans ces contrées fertiles et boisées, riches de leurs champs, riches de leur art, riches de leurs traditions, riches de leurs habitants, les Européens, toujours tirés à quatre épingles, toujours en représentation, toujours en entre-soi, inaugurations, défilés, chasses, mariages, bals, cocktails, faisant faire leurs habits chez les tailleurs les plus réputés (raison pour laquelle my tailor is rich, isn't he ?) n'appréciaient guère les vagabonds débraillés, les va-nu-pieds dépenaillés, les chemineaux en haillons qui venaient en Polynésie, en Indochine, dans le but de les empêcher de tourner en rond, avec leurs idéaux révolutionnaires, communistes, anticapitalistes, anticolonialistes, anticléricaux, et autre bons prétextes pour mettre tout ce petit monde aux arrêts. Les autorités locales venues d'Europe, nommées par les gouvernants européens, n'avaient pas de mots assez durs pour qualifier ces taupes venues dans notre beau pays d'Indochine ou de Polynésie pour, pensaient-ils, effectuer contre nous autres un véritable travail de sape. Loin d'Eluard était la volonté de détruire le système établi, de tenter de contrecarrer les belles visions d'avenir, les génialissimes projets de ces messieurs rompus à une vie si impeccablement rangée et tranquille. Une unique chose le préoccupait à cet instant : son argent qui avait fondu au soleil. Des quelques dix sept mille francs en espèces mis à la hâte dans une enveloppe et placés dans une gibecière, un placement donc à zéro pour cent d'intérêts, par conséquent se dévaluant à grande vitesse, ne restaient que des billets froissés sur lesquels il ne pouvait plus compter. La lassitude, le manque de sommeil, le mal de mer, la sempiternelle question posée : mais qu'est-ce que je fous là ?, l'irrésistible besoin de retrouver ses amis autour d'un bock de bière dans un café de la place Blanche, l'envie très vite oubliée d'en finir une fois pour toutes, l'instinct de conservation, récréer du lien social, bref, revoir Paname tout simplement, alors pour toutes ces raisons il eut la force d'aller du bouge où il avait trouvé une piaule qu'il avait dû régler d'avance à la poste centrale pour envoyer un télégramme, véritable signal de détresse, afin de préciser sa position à son entourage et avouer son échouage dans une contrée tropicale où l'existence est pénible à celui qui n'est pas habitué à son climat, ses règles, ses us et coutumes. Pour vivre là, il ne suffit pas de se déclarer citoyen du monde, encore faut-il être citoyen d'un monde, de ce monde-là. La rédaction d'un télégramme demande de la concision. Il faut parfois savoir être avare. Chaque mot coûte. "Suis Saigon . Stop. Sans argent. Stop. Me rejoindre vite. Stop. Paul" Par ce télégramme, Eluard sifflait la fin de sa récréation, de son escapade exotique, de son école buissonnière. En italien, faire l'école buissonnière se dit marinare la scuola, marinare signifiant mariner, c'est-à-dire, outre tremper un poisson ou une viande dans une sauce aromatique, attendre ou faire attendre quelqu'un, quelqu'une. Pendant ces cinq mois, sur différents bateaux, il avait eu le temps de mariner dans son jus de désolation, de solitude, de désoeuvrement, de regarder son passé (maintenant on dirait son vécu) dans un miroir et de s'interroger sur son avenir. Pour subir cette vie-là, était-ce la peine d'avoir attendu d'avoir trente ans pour foutre le camp comme le demande Michel Delpech dans sa chanson Ce lundi-là ? (2) Louis Aragon, quelques années après la fugue d'Eluard écrira dans un poème intitulé Voyage :

"Avec son bateau

L'explorateur intrépide

Avait passé le Cap de la Trentaine

A peine eut-il tourné le coin

Qu'il sentit une affreuse odeur aigre

Qui se dégageait de lui-même

Ça commence bien 

Dit-il" (3)        

 

Quand on part en vacances, quand après avoir bouclé ses valises on les met dans le coffre de sa voiture ou dans le porte-bagages d'un train, qu'il soit omnibus, express ou à grande vitesse, on sait que dans deux ou trois semaines, on devra revenir, faire le chemin inverse, retrouver sa maison, son travail, ses occupations. Il n' y a pas de vacances sans retour. Les vacances sans retour, ça n'existe pas. Sinon ce ne sont plus des vacances. Des vacances qui dureraient deux, trois, quatre mois et plus, voire plusieurs années, ne pourraient avoir le nom de vacances. Les vacances, ça doit être bref. Le temps imparti par les conventions collectives laissent juste le temps de faire la Dordogne, de faire Florence, de faire le désert de Gobi, comme on fait son lit, le ménage, la vaisselle. Si la durée des congés payés - cinq semaines en France sans compter les RTT - nous semble trop courte, on peut toujours s'octroyer une longue coupure par une disponibilité demandée à son employeur ou après une démission ou une rupture conventionnelle de contrat de travail. On peut alors partir en famille à bord d'un camping-car et faire le tour du monde ; affréter un voilier et voguer sur tous les océans ; traverser à pied plusieurs pays. Et si une plume légère et enthousiaste nous accompagne, on peut écrire ses souvenirs, les faire paraître et les partager dans diverses émissions littéraires. Ce que firent par exemple Loti, Monfreid, Kessel. Eluard, lui, ne parlera jamais de son escapade ou fugue. Aucun récit extraordinaire ne sera relaté, aucune anecdote, pas même la moindre allusion ne se liront dans les pages de ses recueils à venir puisque, à l'évidence, Mourir de ne pas mourir ne fut pas le dernier paru. Si ce ne furent pas des vacances, comment appeler l'absence de Paul Eluard ? A ses parents et amis, jamais il ne s'épanchera sur cette escapade de six mois - le voyage de retour depuis Saigon, avec son épouse Gala, ayant pris un mois avec des escales à Singapour, Colombo, Djibouti et Suez -, jamais il ne donnera de détails sur les autochtones croisés, les paysages contemplés, les chemins traversés, les cuisines appréciées, se contentant de qualifier son périple, sa fugue, son escapade de "voyage idiot".                                             

 

 

(1) Un livre découvert parmi tant d'autres dans une des ces bibliothèques de rue évoquées dans un précédent chapitre m'a aidé pour la rédaction de cet article. Il s'agit de Comment Malraux est devenu Malraux par Raoul Marc Jennar (Cap Béar éditions, 2015). 

(2) Ce lundi-là, chanson écrite par Michel Delpech, Jean-Michel Rivat et Roland Vincent, créée par Michel Delpech dans les années 1970.

(3) Extrait du poème Voyage issu de La Grande Gaîté, recueil de Louis Aragon paru en 1929 chez Gallimard.          

 

 

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23 mars 2024 6 23 /03 /mars /2024 09:23

 

 

 

Fugue ou "voyage idiot" ?

 

 

 

___________________________________________________________Suite

 

 

 

Paul Eluard s'accroche tant bien que mal au bastingage d'une coquille de noix qui vogue à toute vapeur - ou plutôt à tout mazout - vers la Polynésie mais c'est André Breton qui est dans la tourmente. Le 1er avril, n'écrivit-t-il pas à son employeur, le couturier et collectionneur Jacques Doucet : "Un événement récemment survenu (...) m'a profondément bouleversé et je n'arrive pas à m'en remettre." (1) Disparitions inquiétantes, fugues, enlèvements. A Paris les crieurs de journaux aboient les unes qui spéculent sur la loi des séries : Paul Eluard aujourd'hui comme Vicente Huidobro hier. En effet, ce dernier, poète chilien natif de Santiago, n'a plus été vu à son domicile parisien depuis le 11 mars, soit treize jours avant la disparition de Paul Eluard. Connu pour être l'ami de Jean Cocteau, d'André Breton et de Max Jacob, il avait, en mai-juin 1922 au théâtre Edouard VII, exposé des poèmes peints qui avaient provoqué l'indignation du public (2) et l'année suivante, il avait fait paraître un essai intitulé Finis Britannia, critique acerbe de l'Empire britannique qui avait grandement mécontenté les membres du gouvernement de sa gracieuse majesté. Mais au contraire d'Eluard, Huidobro réapparaissait trois jours après sa volatilisation, affirmant aux enquêteurs qu'il avait été enlevé et molesté par des malfaiteurs qui ne lui pardonnaient pas d'avoir publié un si caustique essai. Honni soit qui mal y pense. 

 

Depuis qu'il s'est fait la belle, Paul Eluard porte comme un fardeau toute la laideur du monde. Le sien. Ses traits sont tirés, ses joues se sont creusées, son torse n'est plus en chair mais en os, ses jambes se sont amaigries. Ne mange-t-on donc rien sur ce maudit navire ? La nourriture est-elle si mauvaise ? Ou frugale ? L'appétit est-il manquant ? Pourtant les dîners sont animés et joyeux. Après la tournée des digestifs abondamment versés et afin de distraire la compagnie, un marin joue du piano à bretelles, un autre du ruine-babines, un troisième tape avec ses mains sur une vieille caisse en bois estampillée haut-bas-fragile. Mais il n'a pas le coeur à reprendre en choeur les airs maladroitement joués et à se livrer à des contorsions qui se voudraient être des pas de danse même en ce soir de solstice d'été où le soleil devrait, dans les yeux écarquillés, briller de tous ses feux jusqu'au bout des étoiles. Il se rend compte qu'il a, en quittant la France, laisser sa famille et ses amis, manquer le spectacle de la nature qui se serait offerte à lui durant ces longs mois écoulés à se faire chahuter par des flots qui n'en finissent pas de divaguer. Il aurait pu voir éclore, entre deux vers à soi, alexandrins ou non rimés, les jonquilles, le genêt, sentir la bonne odeur du jasmin dans des jardins plantés d'orangers, s'allonger dans l'immensité de prés parsemés de coquelicots, écouter tintinnabuler le muguet. Mais au lieu de ça, j'ai voulu faire le malin, le mariole, faire la route, couper les ponts, brûler les étapes. J'ai voulu me donner le temps de réfléchir, de faire le point, de prendre du recul. J'ai bonne mine à présent sur ce rafiot de malheur qui fait un tel raffut que les mouettes en sont effrayées, que les goélands s'en éloignent à tire d'aile, que les albatros ne s'y posent pas de peur de se ridiculiser. J'aurai bonne mine avec le collier de fleurs que l'on me passera autour du cou à Papeete en guise de bienvenue. Les fleurs seront colorées et leurs pétales soyeux, mais mon visage sera blême, triste, émacié. Je marcherai une fois encore sur les pas de Gauguin, mais dans quel but ? Ce périple autour du monde, cette circumnavigation est ma traversée du désert, mon grand moment de solitude. Et ce ne sont pas les matelots qui égaieront mes soirées et mes aurores avec des chants, des histoires de pêche hauturière et du mauvais vin. Cette traversée est à mourir d'ennui, "mais je suis bien aussi vivant que mon amour et que mon désespoir". (3) 

Le poème intitulé Nudité de la vérité paru dans son - dernier - recueil Mourir de ne pas mourir, commence par ces mots :

"Le désespoir n'a pas d'ailes,

L'amour non plus."

En le lisant pour la première fois, me sont revenus les mots du poète brésilien Vinicius de Moraes dans un texte chanté sur une musique de Antonio Carlos Jobim dans le film Orfeu Negro de Marcel Camus (Palme d'or au festival de Cannes en 1959) : "Tristeza não tem fim. Felicidade sim" que je traduirais (avec maladresse, avouant ne pas parler correctement le portugais, ne le parlant d'ailleurs pas du tout) par : la tristesse est sans fin, le bonheur en a une. En entendant cet air de bossa nova pourtant si triste mais cependant si expressif, la langue portugaise du Brésil y étant sans doute pour quelque chose à celui qui ne la comprend pas, on comprend qu'il faut beaucoup de labeur et d'efforts pour se construire une force intérieure, une carapace, pour - hélas ! - voir tout partir en cendres un beau matin dans l'impuissance, la colère, le désarroi. Si triste soit cet air et même si peu d'espoir apportent ces paroles, la guitare, la flûte traversière, la cuica par d'autres mélodies mélangées auraient donné à ces après-dînettes monotones des parfums enivrants. 

          

Ce matin, la salle du petit-déjeuner empeste le tabac froid. Comme chaque matin d'ailleurs. Cette nuit, les hommes d'équipage ont fait la fête, chanté, dansé, bu et fumé à l'heure où il trouvait le sommeil venu border sa couchette sous l'éclat argenté de la lune à la circonférence parfaite. Sur la banquette en faux cuir fatigué et fendu en plusieurs endroits, une revue a été posée ou peut-être tombée d'une étagère de la bibliothèque. Le numéro n'est pas récent. Il la feuillette discrètement. Son nom d'emprunt y figure en bonne place sous la rubrique "Quelques préférences". Pas question de se démasquer. Ce n'est ni l'endroit ni le moment. Il remet la revue là où il l'a trouvée. Un jeune marin verse dans les tasses le café réconfortant, apporte des brioches, pose sur la table une coupe de fruits. Nous devrions accoster dans une heure, lance-t-il à la cantonade. C'est le quartier-maître que me l'a dit.         

                                            

A suivre...

 

 

(1) André Breton - Lettres à Jacques Doucet - 1920-1926 (Editions Gallimard, 1926)

(2) Le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia de Madrid a reconstitué, entre avril et juin 2001, l'exposition parisienne de 1922 en exposant dix des treize poèmes peints de Vicente Huidobro.

(3) Entre guillemets et en italique, citations de Paul Eluard. 

 

 

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20 mars 2024 3 20 /03 /mars /2024 15:16

 

 

Fugue ou "voyage idiot" ?

 

 

 

___________________________________________________________Suite

                 

 

 

La bibliothèque du navire est réduite à trois courtes étagères. C'est la seule fenêtre culturelle dont disposent les matelots, les hublots étant leurs fenêtres sur un monde de silence et d'immensité. Ils y prennent des revues aux couvertures souples qui ploient sous leur propre poids et celui de leur désintérêt. Leurs textes ne passionnent personne ; seules les illustrations les poussent à feuilleter les pages qu'ils tournent après avoir mouillé leur index. Il n'y a pas, heureusement, que de la lecture à l'eau de rose. Quelques récits d'aventure, des récits de marins, des contes extraordinaires sont proposés aux mousses et autres jeunes recrues à l'uniforme galonné. En parcourant les étagères d'un rapide coup d'oeil, on peut lire sur les tranches des livres brochés ou reliés des noms comme Victor Hugo, Jules Verne, Pierre Loti. Paul Eluard y voit aussi un exemplaire de Thomas l'imposteur de Jean Cocteau, son meilleur antagoniste*. Jean Cocteau s'est un jour expliqué sur le pourquoi de la discorde entre lui-même et Eluard et Aragon au cours d'un entretien fleuve donné à Roger Stéphane paru en 1964. Dans un article de Carte blanche, "où j'avais été très maladroit qui m'a brouillé avec Eluard et Aragon. (...) Ils avaient appelé leur revue Littérature, ce qui est très bien, et j'avais dit que ces jeunes gens très doués pouvaient trouver un titre plus original. Ces mots très doués les avaient choqués ; ils avaient raison. Ça a été une longue brouille..." (1) On y trouve aussi quelques romans policiers. Mais pas de poésie, pas de Baudelaire, de Mallarmé, de Rimbaud, de Verlaine. Cette bibliothèque ne comporte qu'une dizaine de livres tout au plus. Pas de quoi occuper de longs après-midi inutiles et interminables. Entre les repas, les siestes et les parties de cartes, marcher sur le pont supérieur du bateau en scrutant l'horizon à la recherche de la prochaine terre d'escale est la seule distraction que l'on peut ici s'accorder, sur ce navire qui empeste le soufre et le mazout brûlé. 

Les Malouines - ou îles Falkland, Malvinas -, le cap Horn, Ushuaia, Rapa Nui, voguer sur une coquille de noix entre Amérique du Sud et Polynésie comme le fera dans vingt ans le norvégien Thor Heyerdahl sur son radeau de balsa. Regarder la mer jusqu'à la ligne d'horizon. La regarder, l'observer, la scruter encore et encore, inlassablement, jusqu'à s'en crever les yeux. Cela en devient une obsession ; bien sûr que c'est obsédant. 

"La mer, la vaste mer, console nos labeurs !

Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse

Qu'accompagne l'immense orgue des vents grondeurs,

De cette fonction sublime de berceuse ?

La mer, la vaste mer, console nos labeurs !" (2)

Sur le Pacifique, un minuscule point de déplace cahin-caha au gré des vagues, des vents, des tempêtes. E la nave va...

 

Pendant ce temps, à Paris, le dernier recueil de Paul Eluard paru à quelques centaines d'exemplaires seulement s'arrache à prix d'or dans les librairies de la rive droite et du quartier latin. Pensez donc ! A Wall Street et au Palais Brongniart, la cote d'un poète disparu, peut-être suicidé, ne peut que grimper vers des sommets jamais atteints. Au même moment, des réseaux se disant bien informés publient inlassablement, preuves à l'appui, des informations sur cette surprenante, inquiétante et mystérieuse disparition, se perdant en conjectures, faisant couler beaucoup de salive et affolant les antennes-relais. Morse est heureux, on enquête pour lui. L'auteur de Les animaux et leurs hommes, les hommes et leurs animaux (3) est vivant mais mort, se trouve en France mais à l'étranger, dans une grotte mais dans un monastère, dans une masure sans eau ni gaz mais dans une hostellerie 4**** avec golf et piscine, sur une île paradisiaque mais sur un yacht, donne des cours de cuisine mais s'oblige à un régime strict, a été reçu par des amis de longue date mais s'est installé chez de louches inconnus, a été enlevé mais est parti de son plein gré, voyage sous une fausse identité mais porte toujours son patronyme accroché à la boutonnière, en bave pour escalader l'Everest mais fait du vélo en Hollande, s'habille chez les plus grands couturiers mais vagabonde en haillons, prépare une biographie de Confucius mais ne lit que des romans-photos, a peur en avion mais a des contacts télépathiques avec Roland Garros, a rencontré Carlos Gardel mais préfère danser le fox-trot, etc, etc. Des réseaux qui se livrent tels des chiens au travers de chats à une véritable chasse à l'homme (au grand dam de l'Elysée).

"Le chat s'établit dans la nuit pour crier.

Dans l'air libre, dans la nuit, le chat crie.

Et, triste, à hauteur d'homme, l'homme entend son cri." (3)

 

Louis Aragon qui ne veut rien savoir de ces rumeurs, bruits de couloir, suppositions, de ces on-dit que les troufions  - mais je parle là d'un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître - propageaient via une supposée (aujourd'hui on dirait virtuelle) radio-bidasse en ondes très très courtes, supputations et autres affirmations absurdes, refusant avec raison de se perdre en conjectures, se refusant à mener toute enquête, toute recherche, toute investigation, refusant de se demander où se trouve précisément son ami, se lamente cependant de son absence. Il écrit à André Breton : "Et naturellement je n'avais pas pris mon parti de me passer d'Eluard, je ne pouvais pas le prendre, nous ne sommes pas si nombreux au monde. Que quelqu'un me manque ainsi, cela me vexe, m'humilie. Après tout, la grandeur de cette aventure, elle était dans l'idée, elle y est encore. Je ne veux pas succomber à cet acte de scepticisme." (4) 

 

Le navire tangue en cette nuit de pleine lune. Le sommeil ne vient pas. Hypnos est en retard. Ses paupières sont lourdes cependant et les yeux lui brûlent. Je pratiquais souvent le sommeil hypnotique avec eux, à Paris. Mais pas ce soir, pas ce soir ! Le bateau oscille entre trou noir et nuit blanche. La table bouge, les chaises glissent, le lit se déplace de gauche à droite, de bas en haut, s'éloigne de la cloison, voyage jusqu'au milieu de la cabine. Les draps se plissent, les oreillers se déplument, l'édredon se dégonfle. Les globes du lustre par le vent balancés éclatent, se brisant en une multitude de morceaux tranchants. Tout se tort, tout se déforme, les vêtements se déchirent, les livres ne sont plus que d'inutiles blanches pages froissées, la tasse à café s'est ébréchée. Le crâne s'alourdit, les jambes s'engourdissent, les pieds sont froids ; la gorge se serre, la respiration se fait de plus en plus lente, l'angoisse l'étreint. Le corps inerte a creusé un cratère au fond du lit. Il n'est plus que la victime d'un désarroi qu'il a provoqué, qu'il a voulu. La victime d'un ennui mortel. J'en ai marre, je prends du fric dans la caisse, je me tire sans prévenir personne, et après ? Je verrai du pays, je regarderai l'immensité de la mer pendant que des mousses savonneront les ponts, que des mécaniciens huileront les machines, que des gradés seront aux commandes, que la vigie préviendra des dangers alentours, que des cuisiniers prépareront l'ordinaire, tandis que personne ne demandera de changement de cap parce que mon mystery tour, ma grande excursion, ma maudite escapade, je l'ai désirée sans un possible retour en arrière parce que je ne me suis pas donné d'autre choix que d'aller de l'avant. Magical mystery tour, aurait-il chanté pour se rassurer ? C'est à voir. C'est tout vu !            

 

A suivre...   

         

     

 

 

* Voir chapitres précédents. 

 

 

(1) Jean Cocteau - entretien avec Roger Stéphane (RTF et Librairie Jules Tallandier, 1964). La revue Littérature a été créée en mars 1919 par André Breton, Louis Aragon et Philippe Soupault bientôt rejoints par Paul Eluard. Sous la seule direction d'André Breton, une seconde mouture de cette revue a paru à partir de 1922 jusqu'en juin 1924. 

(2) Extrait du poème intitulé Moesta et errabunda tiré du recueil Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire. Le titre en latin signifie "triste et vagabonde".

(3) Le recueil Les animaux et leurs hommes, leurs hommes et leurs animaux a paru en 1920 avec cinq dessins du peintre André Lhote. 

(4) Lettres de Louis Aragon à André Breton - 1918-1931 (Editions Gallimard, 2011)

 

     

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18 mars 2024 1 18 /03 /mars /2024 14:05

 

 

Fugue ou "voyage idiot" ?

 

 

 

_____________________________________________________________Suite

 

 

 

Après avoir travaillé - une quinzaine de jours seulement - sur le chantier de construction du canal de Panama, Paul Gauguin et Charles Laval débarquaient à la Martinique en juin 1887 et s'installaient dans une case au Carbet à quelques kilomètres de Saint-Pierre, principale agglomération de l'île aux 17è et 18è siècles, ville du luxe à l'activité culturelle remarquable, dominée par la Montagne Pelée. L'anse Turin, qui sépare les deux communes, a été peinte plusieurs fois par Gauguin. On y voit depuis Le Carbet, une végétation luxuriante avec au fond la Montagne Pelée mais sans la ville de Saint-Pierre à ses pieds, Gauguin ayant voulu donner à son tableau l'aspect d'une nature non abîmée par la civilisation, un "eden encore vierge de toute trace humaine". (1) Le tableau Bord de mer, où entre la mer des Caraïbes et quelques "raisiniers*, ces arbres aux larges feuilles arrondies qui bordent la côte en cet endroit" (1), Gauguin a représenté des femmes au "port droit et à la démarche rapide et régulière" comme l'a écrit l'écrivain américain Lafcadio Hearn (2), transportant de lourdes charges sur leur tête et marchant les unes derrière les autres comme dans une procession, le tout dans un paysage coloré tout juste esquissé où, au fond, apparaissent néanmoins les toits rouges de Saint-Pierre. Gauguin est émerveillé par cette nature sauvage, préservée, idyllique, qu'il décrit en ces termes dans une lettre adressée à sa femme restée en Europe : "Au-dessous de nous la mer bordée de cocotiers, au-dessus des arbres fruitiers de toutes espèces..." (3) Il devra cependant abréger son séjour pour cause de paludisme et rentrer en toute hâte à Paris. 

 

Eluard, lui, a tout le temps. Tout le temps de se demander pourquoi il est là, pourquoi il erre dans les rues de Fort-de-France entre la cathédrale reconstruite en 1895, la Bibliothèque Schoelcher ouverte en 1892, la mairie inaugurée en 1901 et le théâtre attenant achevé en 1912. Il est vrai que la ville a beaucoup souffert des incendies et des cyclones. Seul le fort Saint-Louis dont les guides touristiques parlent comme d'un bel exemple d'architecture militaire des 17è et 18è siècles, a échappé aux désastres : incendie dévastateur de juin 1890, "plus de la moitié de la ville en flammes, vingt-cinq morts, trente mille sans-abri, la cathédrale détruite, son orgue monumental (...), ses cloches (...) fondues, ses vitraux éclatant comme des pétards" (4) ; puis cyclone l'année suivante, "un cyclone d'une exceptionnelle violence". (4) Mais Eluard est-il là pour jouer le parfait touriste ? Il va çà et là par les rues, se demandant - peut-être - si sa famille s'inquiète pour lui, ce que font ses amis sans lui à Paris, si son recueil de poèmes tout juste sorti tout chaud de l'imprimerie s'arrache dans les "bonnes librairies" (selon l'expression habituelle employée dans les émissions littéraires) du boulevard des Italiens et de la rive gauche, se vend comme des petits pains (comme on le dit communément aussi). Car au lendemain de sa fuite, de son départ précipité, à l'aube "quand le silence pèse encore sur les mares au fond des puits tout au fond du matin", le mardi 25 mars donc, a paru son recueil de poèmes intitulé Mourir de ne pas mourir comportant un portrait de l'auteur par Max Ernst et précédé de la mention suivante : "Pour tout simplifier je dédie mon dernier livre à André Breton." (5) Mon dernier livre a-t-il écrit. Cela signifie-t-il qu'il s'agit du dernier opus publié jusqu'à présent mais qu'il est certain qu'il y en aura d'autres ou le der der ders, un livre testament imprimé et semé à tous les vents avant liquidation totale de toute production littéraire à l'issue de laquelle tout doit disparaître, avant un changement radical de vie - comme Rimbaud - ou pour cause de disparition définitive et irrémédiable de son corps, de son âme ?

Paul Eluard, "Et quel âge avez-vous ?

Parlons de la jeunesse

Perdons notre jeunesse

Rions d'elle elle rit

La tête à la renverse

Rire est plus fort que dire" (5)

Selon l'astrologie japonaise, Paul Eluard, né en 1895, est du signe du Mouton. Comme le précise Louis Frédéric dans son livre Fêtes et traditions au pays du Soleil levant, "les personnes nées sous le signe du Mouton sont élégantes, artistes, et d'un tempérament passionné. Mais elles cachent sous ces dehors brillants de la timidité, du pessimisme et une grande indécision. Elles se passionnent pour leur travail et dans leurs amitiés, sont sages et aimables, ont souvent bon coeur, mais leur peu d'habileté en relations publiques et leur timidité les empêcheront de parvenir rapidement à l'aisance. (...) Elles devront épouser une personne (...) du Cheval de préférence." (6) Cheval, signe astrologique de Gala, née en Russie en août ou septembre 1894. Rappelons-nous que Gala et Eluard se sont mariés le 21 février 1917 à la mairie du 18ème arrondissement de Paris, place Jules Joffrin, bâtiment de style néo-renaissance, pour la petite histoire, construit entre 1888 et 1892. "Pour me trouver des raisons de vivre, j'ai tenté de détruire mes raisons de t'aimer. Pour me trouver des raisons de t'aimer, j'ai mal vécu.

 

En ville, près de chez nous, il y a quelques boîtes à livres aménagées dans de vieilles armoires de nos grands-mères, des bibliothèques vitrées d'un autre âge qui s'achètent comme elles se jettent, d'anciennes cabines téléphones devenues inutiles, où des ouvrages de toutes sortes sont proposés dans les rues, les jardins publics, les galeries marchandes, les résidences de vacances. On y prend un livre, deux, plusieurs, on y en dépose ceux qu'on a lu mille fois, ceux qu'on ne veut plus lire, ceux qu'on ne peut plus lire, ceux qui nous ont fait du bien, qui nous ont fait souffrir, ceux qui ont réveillé nos vies, ceux qui ont changé nos vies. Ayant trouvé dans une de ces boîtes à livres, une de ces bibliothèques disséminées ici et là, ayant la forme d'un chalet de montagne faisant plutôt penser à un nichoir pour oiseaux rares, j'ai pris un recueil de poèmes de Paul Eluard intitulé La Vie immédiate. (7) Les livres ont une vie, parfois plusieurs. On les achète, on les offre, on les échange, on les range, on les classe, on les oublie, on les retrouve, on les relit : les livres sont vivants. Ils racontent des histoires, dans leurs pages bien sûr au travers de leurs récits imaginés, des aventures qu'ils décrivent avec des mots qui nous parlent, qui nous transportent, et ils sont vivants aussi parce qu'ils racontent des bribes de vies, des nôtres. Je prends donc ce livre de poèmes de Paul Eluard perché sur l'étagère d'une bibliothèque de rue qui ressemble à nichoir à oiseaux et je lis sur la page de garde les mots manuscrits d'un homme - je comprends tout de suite que ces mots ont été écrits par un homme - qui, un jour, il y a longtemps, à la fin du siècle dernier, a glissé ce livre dans une boîte à lettres ou l'a déposé sur un paillasson devant une porte restée douloureusement close. Et sur la page de garde donc, je lis ces mots écrits à l'encre bleue : "Je suis passé, tu ne m'as pas ouvert. Je voulais simplement m'excuser. Je ne suis pas si cynique que tu le crois. Je t'aime même si tu ne l'as jamais senti, ni cru. Tant pis pour moi. Il est tard, trop tard. Sois heureuse, toi qui fut mienne. Sois heureuse. Tu es belle et je t'aime. (Douce lâcheté de te l'écrire et de ne pas te le dire.) Mais tu n'es pas là. Adieu donc, sois heureuse." L'amoureux passionné mais dépité dirige alors le destinataire, la destinatrice, de ce petit recueil déposé devant sa porte ou glissé dans sa boîte à lettres vers les pages 173 à 176 qui correspondent aux poèmes De l'ennui à l'amour et Son avidité n'a d'égal que moi.

 

Paul Eluard ne reste pas longtemps à la Martinique. Sans doute piqué par un moustique lui ayant inoculé le venin du voyage, il rembarque sur un bateau à destination du Pacifique, vers une destination insulaire qui prendra plusieurs semaines à atteindre. Ce laps de temps lui permettra de penser, de réfléchir, de voir venir. Etre isolé, debout sur un minuscule point au milieu de l'océan, in nessun luogo, l'incitera à la rêverie, à oublier ce que l'on nomme communément la civilisation avec tout son lot d'hypocrisie, de mensonges, de tromperies, d'orgueil, de trahison. "Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes..." (8) Oublier le couple, le sien, celui qu'il forme et qui se déforme avec Gala restée à Paris, loin d'ici, très loin.

 

"Est-elle sortie

Elle est chez elle

Sa maison est ouverte

(...) Je t'aime et je dors avec toi

Ecoute-moi. " (9)

"Mon coeur bat dans tout ton corps

Dans tes retraites préférées

Sur l'herbe blanche de la nuit

Sous les arbres noyés

Nous passons notre vie

A renverser les heures

Nous inventons le temps" (10)

L'amoureux passionné mais dépité tourne les talons, s'en va avec sa solitude et ses regrets. Que deviendra-t-il ? Qu'adviendra-t-il de sa vie sans cet amour ? Elle, derrière la porte qu'elle n'a pas ouverte, lui errant dans des rues sans issue. Il se souvient de ce qu'il s'était dit un jour : Si elle me quitte, je m'en remettrai ; je m'en remettrai à une autre.   

 

 

A suivre...                         

 

 

 

* Raisinier : Nom qui vient du mot raisin par allusion à la forme du fruit. Raisinier est le nom usuel pour désigner le coccoloba uvifera des Antilles. On dit aussi communément raisinier bord-de-mer du fait de l'abondance de la plante sur les plages sableuses des Antilles.                

 

 

(1) Catalogue de l'exposition Gauguin aux Galeries nationales du Grand Palais (Paris) du 10 janvier au 24 avril 1989. 

(2) Lafcadio Hearn (1850-1904) a séjourné à la Martinique et y a connu le Saint-Pierre d'avant l'éruption fatale du 8 mai 1902. Cette ville était selon lui "la plus bizarre, la plus amusante et cependant la plus jolie de toutes les villes des Antilles françaises". Y ayant rencontré des adeptes du quimbois, croyance selon laquelle il existe un esprit plus ou moins divin chez certains animaux, il a publié des contes extraordinaires et mystérieux recueillis lors de son séjour. 

(3) Catalogue de l'exposition Gauguin - Les XX et la Libre Esthétique, exposition organisée à Liège, salle Saint-Georges, du 21 octobre 1994 au 15 janvier 1995, par le Musée d'Art moderne et d'Art contemporain de la Ville de liège (Belgique). 

(4) La Catastrophe par Michel Tauriac (La Table Ronde, 1982)

(5) Entre guillemets et en italique, citations de Paul Eluard. 

(6) Connaissance de l'Asie - Fêtes et traditions au pays du Soleil levant par Louis Frédéric (SCEMI, 1970)

(7) La Vie immédiate suivi de La Rose publique et de Les Yeux fertiles par Paul Eluard (nrf, Gallimard, 1996)

(8) Extrait de la pièce On ne badine pas avec l'amour de Alfred de Musset. Mais c'est mieux quand c'est dit par Gérard Philipe dans le rôle de Perdican. 

(9) Extrait du poème De l'ennui à l'amour de Paul Eluard à la page 173 du recueil cité plus haut.

(10) Extrait du poème Son avidité n'a d'égal que moi à la page 175 dudit recueil.

 

       

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13 mars 2024 3 13 /03 /mars /2024 15:04

 

 

1924

 

 

1er septembre - Assemblée de la Société Des Nations (SDN) : diplomates et délégués de quarante-huit pays se réunissent à Genève. Le président du Conseil Edouard Herriot déclare : "Laisser la Russie en dehors du concert européen, c'est l'inciter à s'unir de plus en plus à l'Allemagne (... ) je signerai, le 28 octobre prochain, la reprise des relations entre Paris et Moscou ; ce sera la fin du "fil de fer barbelé". (1) 

 

 

6 septembre - Le Journal littéraire publie un passage du Manifeste du surréalisme avant sa parution complète le 15 octobre.

2 octobre - Le navigateur Alain Gerbault - après une traversée de l'Atlantique en solitaire d'une durée de 102 jours (d'avril à septembre 1923) qui l'a mené à New York -, quitte ce même port pour un tour du monde (Tahiti, Wallis, la Réunion, Sainte-Hélène, les îles du Cap-Vert) qui prendra fin en juillet 1929. 

12 octobre - Décès de l'écrivain Anatole France.  

 

28 octobre - La France reconnaît l'Union soviétique. L'ambassade du 79 de la rue de Grenelle fermée depuis 1917 est rouverte.

 

28 octobre - Départ d'une traversée automobile de l'Afrique à partir de Colomb-Béchar jusqu'à Tananarive sur 24 000 kilomètres, la Croisière noire, qui prendra fin en juin 1925.

31 octobre - Sortie du film La voyante de Léon Abrams avec Harry Baur et Sarah Bernhardt. Le décès de cette dernière durant le tournage a considérablement retardé la sortie de ce film tourné au printemps 1923.

3 novembre - Le premier journal parlé est radiodiffusé du haut de la tour Eiffel.

 

4 novembre - Aux Etats-Unis, le président sortant Calvin Coolidge est réélu avec 382 grands électeurs contre 136 pour le démocrate John D. Davis et 6 pour le candidat indépendant. Le vice-président est Charles G. Dawes.

 

4 novembre - Décès du compositeur Gabriel Fauré. 

22 novembre - Transfert des cendres de Jean Jaurès au Panthéon.

30 novembre - Création par les Concerts Colonne de Tzigane de Maurice Ravel par la dédicataire, la violoniste hongroise Jelly d'Aranyi, sous la direction de Gabriel Pierné. "Ravel s'inspire de l'ambiance hongroise sans rien emprunter au folklore ; musique de haute virtuosité et très originale", précise le programme du concert donné par ces mêmes Concerts Colonne au théâtre du Châtelet (Paris) le 4 mars 1973 sous la direction de Paul Paray (1886-1979) pour le centenaire de leur fondation (2 mars 1873). Président des Concerts Lamoureux à partir de 1923, Paul Paray a succédé à Gabriel Pierné comme président des Concerts Colonne en 1932.  

1er décembre - Après l'arrêt définitif de parution de la revue Littérature en juin 1924, une nouvelle revue intitulée La Révolution surréaliste voit le jour sous la direction de Pierre Naville et Benjamin Péret.  

 

31 décembre - £1 = 103 francs - $USD1 = 26 francs.

 

 

(1) Vingt ans de suspense diplomatique par Geneviève Tabouis (Editions Albin Michel, 1958). Geneviève Tabouis (1892-1985) a commencé sa carrière de journaliste en 1924 à La Petite Gironde auprès de la SDN à Genève puis a travaillé pour Le Petit Marseillais et L'Oeuvre. Fuyant l'occupation allemande, elle a rejoint Londres puis New York et y a créé le journal Pour la Victoire. Devenue éditorialiste à Paris Jour de 1955 à 1971, elle a aussi été chroniqueuse diplomatique à RTL jusqu'en 1982.    

 

 

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11 mars 2024 1 11 /03 /mars /2024 11:11

 

 

Fugue ou "voyage idiot" ?

 

 

 

                                                                       Suite

 

 

 

Tandis que Louis Aragon s'apprête à passer l'été sur la côte basque avec Drieu la Rochelle et qu'André Breton ira à Lorient (24 rue Amiral Courbet) chez ses parents, personne ne sait où est Paul Eluard qui bourlingue - malgré lui ? -entre Atlantique et Pacifique. Comme Arthur Rimbaud, Paul Gauguin et Henry de Monfreid avant lui, Paul Eluard a voulu connaître avant de mourir les affres des quarantièmes rugissants et des cinquantièmes hurlants. Vêtu d'un pull marin sous un caban mouillé par les embruns, il regarde déferler les vagues dégoulinantes de mousse visqueuse qui tapent violemment la coque du cargo tandis que l'air iodé se mêle au mazout qui des cheminées s'envole vers des cieux bas et gris en une fumée épaisse et fétide. Le pont est humide et glissant. De l'huile a coulé sur le sol y laissant des traces multicolores. Le bastingage est froid et gras aux mains qui le touchent. La proue s'enfonce sous le poids des vagues hautes comme un immeuble et des paquets de mer s'abattent en permanence sur les vitres du poste de pilotage. Autour du navire, on n'entend que les cris et les plaintes des vents. Quels noms portent ces vents froids qui transpercent les vêtements jusqu'à l'épiderme ? Il n'y a aucune terre en vue. Ni à bâbord, ni à tribord. L'ailleurs est encore loin.

 

"Ils l'ont tous abandonné - leur confort, leur passé, leur bonheur, l'espoir" (1) écrivit Eluard dans Les malheurs des immortels révélés par Paul Eluard et Max Ernst en 1922. 

 

"Paul Eluard aurait-il du goût pour le suicide ?", demandait Robert Desnos dans la revue Littérature en septembre 1922. Partir c'est mourir un peu, ne dit-on pas ? Enfin il faut bien dire quelque chose. Mourir c'est partir tout à fait, conclurait Alphonse Allais. "J'en ai assez. Je pars en voyage" avait écrit Eluard à son père dans une missive brève et sèche le jour ou la veille de son départ. Je pars en voyage ne signifie pas que l'on n'a pris qu'un billet aller. Arthur Rimbaud, parti à vingt ans après avoir composé les poèmes que l'on sait et décidé à mettre un terme à sa très courte carrière littéraire, s'est engagé dans l'armée hollandaise, est parti pour Java et Batavia (Sumatra), a vécu à Alexandrie, à Chypre, à Aden et en Abyssinie. L'année même de la mort de Rimbaud (1891), Paul Gauguin partait pour la Polynésie via Aden, les Seychelles et la Nouvelle-Calédonie. Sans le sou, il rentrait en France pour la quitter de nouveau trois ans plus tard, cette fois pour ne plus y revenir. Henry de Monfreid, fils du peintre George-Daniel de Monfreid (exécuteur testamentaire de Gauguin), lui aussi répondant à l'appel du large, a longuement séjourné en Abyssinie et a dévoilé, pour le plus grand plaisir de lecteurs en chambre avides de voyages au long cours et de découvertes exotiques, tous les secrets de la mer Rouge. Tous trois n'avaient pas de goût particulier pour le suicide, pour les voyages sans retour : Rimbaud est décédé dans un hôpital de Marseille à l'âge de 37 ans alors qu'on essayait de le guérir de maladies contractées durant ses séjours dans des contrées lointaines et Monfreid, à 95 ans, dans l'Indre. Seul Gauguin est décédé là où il avait voulu se retirer vingt ans auparavant mais pour des raisons d'embarras pécuniaire et bien sûr de santé.

 

Une terre apparaît au loin après plusieurs jours d'un voyage bien mouvementé. Par les hublots de la salle à manger, on peut apercevoir une terre vallonnée à la végétation luxuriante. A cette distance, les mornes apparaissent minuscules. D'ici, la Montagne Pelée paraît toute petite malgré ses 1 351 mètres de hauteur. Les matelots s'affairent. Dans une heure ou deux, peut-être trois, le navire accostera à France-de-France. Eluard foulera bientôt le débarcadère réservé aux navires en provenance des ports européens. Paul Gauguin a aussi marché sur ces quais trente-sept ans auparavant, en 1887. 

 

Il y a quelques années, j'avais voulu parler dans ce blog de la Martinique. Je ne sais plus pour quelle raison. Peut-être à l'occasion de l'exposition organisée autour des oeuvres du peintre George-Daniel de Monfreid au musée Rigaud de Perpignan ou peut-être à la suite de la programmation d'un téléfilm policier tourné sur cette île ou peut-être encore après le séjour d'un ami aux Trois-Ilets dans un hôtel confortable avec vue sur la baie de Fort-de-France, les Trois-Ilets dont la briqueterie a donné sa couleur rouge aux façades des maisons, des tuiles des toits et des trottoirs, spécificité remarquable et inattendue. Mais ce dernier détail ne m'a pas été rapporté par cet ami. Je l'ai lu dans un guide touristique emprunté dans une bibliothèque municipale. (2) Tout ça pour dire que j'avais donc lu en prévision de la rédaction d'un article sur ce blog des publications consacrées à cette île des Caraïbes, romans, guides touristiques, livres d'histoire, etc, sans y donner de suite, laissant provisoirement cette idée de côté. L'escapade improvisée d'Eluard me donne la possibilité de relire ces ouvrages.

 

Après son départ précipité un lundi matin du mois de mars 1924, Paul Eluard, débarquant d'un navire en provenance de Marseille se dirige vers le bureau des douanes du port de Fort-de-France. Ici il n'est connu de personne. Il voyage incognito et seul contrairement à Paul Gauguin qui trente-sept ans auparavant avait débarqué ici en compagnie de Charles Laval, un ami peintre. Il n'a d'ailleurs certainement pas pris le bateau sous son alias littéraire mais sans nul doute sous sa véritable identité, celle qui est écrite sur ses documents de voyage : Eugène Emile Paul Grindel, né le 14 décembre 1895 à Saint-Denis, domicilié 4 avenue Hennocque à Eaubonne (téléphone : 45 à Eaubonne). (3) Pas de photographes, pas de journalistes, pas de micros tendus, pas de curieux, pas de fans, pas de demande d'autographe, pas de mots de bienvenue, seulement des douaniers sans sourire, aux gestes secs, au regard suspicieux, contrôlant l'identité des passagers qui sont, il y a quelques minutes à peine, descendus d'un navire en provenance de Marseille. Tourisme, affaires, famille ? La photo du visage correspondant bien à celui qui se présente derrière les vitres des bureaux de l'administration portuaire, le fonctionnaire peut tamponner le document officiel et le rendre prestement à son propriétaire. 

 

A suivre...      

 

 

(1) En italique, citations de Paul Eluard.

(2) Martinique (Encyclopédies du Voyage, Gallimard, 2017)

(3) Détail lu dans Gala par Dominique Bona de l'Académie française (Flammarion, 1995) 

 

                      

Exotisme, quand tu nous tiens !

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8 mars 2024 5 08 /03 /mars /2024 15:10

 

 

Et pendant ce temps, en France et ailleurs...

 

 

                                              1924

 

 

"La France a soif de paix, de labeur et de concorde."

                                                    Alexandre Millerand, 10 juin 1924.

 

 

 

Avril - Michel Georges-Michel, peintre, écrivain, journaliste, publie Les Montparnos, livre mettant en scène celles et ceux qui fréquentent ou ont fréquenté la Rotonde et le Dôme.

 

4 mai - Elections législatives en Allemagne.

 

6 mai - La formation Wolverine Jazz Band dirigée par le pianiste Dick Voynow et dont fait partie Leon "Bix" Beiderbecke enregistre dans un studio de Richmond (Indiana, USA) quatre titres dont une composition, Riverboat Shuffle, du pianiste Hoagy Carmichael. 

 

11 mai - Elections législatives. Victoire du Cartel des Gauches. Plus de la moitié des députés sortants sont battus. Les radicaux obtiennent 140 sièges, la SFIO, 99 et les républicains-socialistes, 44, la SFIC (Parti communiste), 26.

 

Mai - Louis Aragon, André Breton, Max Morise et Roger Vitrac déambulent dans la campagne à partir de Blois, ville choisie au hasard sur une carte routière. Le périple pédestre (Romorantin, Salbris, Gien, Montargis) prévu pour durer une dizaine de jours est abrégé à cause de la fatigue peut-être due à la chaleur.  Un différend éclate entre Aragon et Vitrac. Un seul ?  

 

En mai - £1 = 66 francs ; $USD 1 = 15 francs.

6 juin - Edouard Herriot, maire de Lyon et chef du parti radical vainqueur des élections législatives, refuse de former un gouvernement. Les députés de la nouvelle majorité réclame la démission du président de la République Alexandre Millerand. 

10 juin - Le président de la République envoie Frédéric François-Marsal devant les députés pour présenter son gouvernement. La nouvelle majorité refuse de l'investir. Alexandre Millerand démissionne.

 

11 juin - Décès du compositeur Théodore Dubois qui fut directeur du Conservatoire de Paris de 1896 à 1905.

 

13 juin - Gaston Doumergue, président du Sénat, est élu président de la République. Edouard Herriot forme un gouvernement.

 

15 juin - Première du ballet Mercure au théâtre La Cigale sur une chorégraphie de Léonide Massine, une musique de Erik Satie et des décors de Picasso, dans le cadre des Soirées de Paris organisées par le comte Etienne de Beaumont. Le ballet sera joué jusqu'au 21 juin. Le nom de Satie est hué par les futurs surréalistes provoquant un tumulte dans la salle. 

 

17 juin - Edouard Herriot présente son gouvernement composé de radicaux et de républicains socialistes - les socialistes ayant refusé d'y participer - devant les députés. Dans son discours d'investiture, il plaide pour un apaisement à l'extérieur, une politique d'entente avec l'Allemagne sur la base d'une relation amicale avec l'Angleterre, le retour à la laïcité et la justice sociale. Le cabinet comporte Camille Chautemps à l'Intérieur, Edouard Daladier aux Colonies, Queuille à l'Agriculture. Edouard Herriot s'est réservé le ministère des Affaires Etrangères.

 

 20 juin - Première du ballet Le Train Bleu au théâtre des Champs-Elysées d'après un argument de Jean Cocteau, sur une musique de Darius Milhaud et des décors de Picasso.

La formation des Wolverines Jazz Band enregistre aux Etats-Unis trois titres dont Tiger Rag, composition de Nick La Rocca.

21 juin - Une vente d'oeuvres offertes par des artistes (Matisse, Derain, Picasso, Braque) a lieu à Drouot dont le produit servira à financer un monument funéraire à la mémoire de Guillaume Apollinaire au cimetière du Père-Lachaise.  

Juin - Philippe Soupault, André Breton et Louis Aragon qui disent avoir 80 ans à eux trois, envisagent d'écrire à six mains une sorte de manifeste de leurs idées communes, texte d'une quinzaine de pages sur lequel ils demanderont à leurs amis de s'exprimer et qui serait par la suite publié sous le titre "Lettre à l'aurore". Le groupe se réunit désormais au café Cyrano, place Blanche.  

5 juillet - Ouverture des Jeux Olympiques de Paris au stade de Colombes lors d'une cérémonie présidée par Gaston Doumergue.

 

9 juillet - Aux Etats-Unis, la Convention démocrate désigne John W. Davis pour affronter en novembre le président sortant Calvin Coolidge.

 

27 juillet - Clôture des Jeux Olympiques. Ces jeux ont attiré 625 000 spectateurs. 1 000 journalistes ont couvert l'événement. Parmi les athlètes, ont concouru 2 954 hommes et 135 femmes. Le coureur finlandais Paavo Nurmi a remporté 5 médailles d'or. Le nageur américain Johnny Weissmuller, 3. Excellente performance des athlètes américains.  

 

16 août - A Londres, Herriot, Baldwin et Mac Donald élaborent le plan Dawes concernant l'aménagement du paiement des Réparations.

 

19 août - Un conseiller municipal de Paris demande au préfet d'interdire Un film danois intitulé Hamlet pour lequel son réalisateur a eu le tort d'imaginer un Hamlet féminin.   

Eté 1924 - Picasso le passe en famille à Juan-les-Pins. Louis Aragon est à Guéthary sur la côte atlantique avec Pierre Drieu la Rochelle.

6 septembre - André Gide est à Chartres. Trois jours après il rentre chez lui à Cuverville après un détour à Elbeuf chez André Maurois.

   

 

   

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7 mars 2024 4 07 /03 /mars /2024 10:20

 

 

                                                           1924

 

 

Dimanche 23 mars 1924 - Un article du journal La Liberté fait état du recours en justice intenté par les commerçants expropriés du passage de l'Opéra (boulevard des Italiens) et en colère au vu des indemnités calculées par la société "L'Immobilière du Boulevard Haussmann" très en deçà de ce qu'ils pensaient percevoir par rapport aux montants des pas-de-porte qu'ils avaient versés lors de l'acquisition de leurs fonds. Cette expropriation est pour eux une véritable spoliation et, par cette action en justice, ils comptent bien obtenir gain de cause. 

 

Fugue ou "voyage idiot" ?

 

Lundi 24 mars 1924 :

 

"Je suis venu, je me suis assis, je suis parti." Paul Eluard

 

FUIR, fugir, huir, fuggire*. Fuir, partir, s'échapper, s'évader, se sauver, filer, se barrer, se casser, se tailler, se tirer, se carapater, décaniller, déguerpir, foutre le camp. Fuir, s'éloigner à tout prix pour échapper à quelques chose, à quelqu'une, à quelqu'un, à quelques-unes, à quelques-uns. Fuir pour tirer un trait sur son passé ; fuir, pour espérer se forger un avenir meilleur ailleurs ; fuir le foyer, la compagne, le compagnon, la famille, les voisins, le fisc, la police, les factures, les formalités, le formalisme, le formatage, les chefs, les cadres, les collègues, le bureau, les souvenirs, les traditions, les coutumes, les ennuis, les chagrins, les regrets, les remords, les cauchemars, les vexations, les réflexions, les punitions. Fuir pour toutes ces raisons ou pour une seule. Fuir, fuir, fuir, simplement fuir. Fuir à tout prix. Quelles qu'en soient les conséquences ; fuir quoi qu'il en coûte. Fuir, fuir, fuir, tout simplement.

 

Ce lundi 24 mars 1924, Paul Eluard quitte Paris pour une destination qu'il ne connait pas encore. A-t-il rangé dans son maigre bagage la décision de ne jamais revenir ? Ni vif, ni mort. Sa décision a-t-elle été prise la veille ? Il y a un mois ? Plus ? Combien ? Ah ! Depuis tout ce temps ! Quand même ! Doit-il en parler à un proche ? Un parent ? Un ami ? En France, plusieurs milliers d'adultes disparaissent chaque année sans laisser d'adresse, sans donner de nouvelles, sans laisser de traces. Combien ? Huit mille ? Dix mille ? Plus ? Eluard lui, prévint son père de son imminente fugue ou escapade ou fuite ou pire, de sa disparition complète et sans retour, par un message, télégramme ou pneumatique. 

"- Le bureau de poste est en face. 

- Que voulez-vous que ça me fasse ?

- Pardon je vous voyais une lettre à la main. Je croyais...

- Il ne s'agit pas de croire, mais de savoir." (1)

Il avait mis Louis Aragon dans la confidence quelques jours avant de boucler sa valise, quelques heures avant de se faire la malle. Quand on prononce le verbe fuir, on ne peut pas ne pas penser - beaucoup d'ouvrages y font référence - aux vers de Stéphane Mallarmé dans le poème Brise marine et son célèbre "Fuir ! là-bas fuir ! Vers trop connus, trop souvent cités pensez-vous. Poème bateau diraient les collégiens. Mais écoutons la suite : 

"Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,

Lève l'ancre pour une exotique nature !"

Le soir même, Eluard embarquait à Marseille sur un navire à destination des Antilles françaises : Pointe-à-Pitre et Fort-de-France. Sa première nuit se passera entre Baléares et Alicante. Les suivantes le berceront au milieu de l'Atlantique.

Paul Eluard, on m'a dit que vous étiez parti précipitamment pour une destination inconnue en laissant derrière vous épouse et fille. Que s'est-il passé pour que vous en arriviez à prendre une telle décision ? Cette interview, ses parents et amis surréalistes ne l'entendirent jamais. A Paris, c'était la consternation. Où est Eluard ? Pourquoi est-il parti ? Pourquoi part-on comme ça sur un coup de tête avec une petite valise ou les mains dans les poches, quasiment sans argent ?

 

En mars 1924, Paul Eluard a 28 ans. Il est marié et a une fille de 5 ans... bientôt 6. Le couple ne roule pas sur l'or. Ces complices du mouvement survolté ex-Dada bientôt surréaliste (dans les années 1950 on aurait dit mouvement 100 000  volts) pas davantage. Dada ne nourrit pas ses bouches. André Breton travaille pour le couturier et collectionneur Jacques Doucet pour mille francs par mois ; Louis Aragon, qui a renoncé à une carrière médicale au grand dam de sa famille qui lui a coupé les vivres, travaille pour ce même employeur mais pour la moitié seulement. Quant à Paul Eluard, il travaille avec son père qui, au début du siècle (le 20ème évidemment), a monté une affaire d'achat et de vente de terrains en banlieue nord de Paris. Il a écrit des poèmes publiés chez des éditeurs et repris dans des revues. Il en a d'ailleurs créé une, Proverbe, qui a paru entre janvier et mai 1920. Mais qui en 1924 lit ces revues à faible tirage truffées de poèmes et textes incompréhensibles pour le commun des quidams alors que pour "l'homme de la rue, deux préoccupations fondamentales traduisaient d'abord les temps nouveaux. La première fut celle de la monnaie, dont la longue stabilité du siècle écoulé avait conduit des générations à ne plus se soucier. (...) La seconde découlait (...) des aspirations à la sécurité que l'effort accompli ne pouvait que renforcer : comment s'assurer de la permanence des fruits de la victoire?" (2) En 24, ce qui préoccupe tout un chacun sont l'inflation, le déficit budgétaire, l'augmentation des recettes fiscales, la spéculation. 

 

Breton, Eluard, Aragon et consorts passent - souvent - leurs vacances au Tyrol, dans cette Autriche récemment redessinée où le change y est intéressant. Là-bas, ça ne coûte rien. Dans une interview (réelle cette fois) d'André Breton, à une question posée sur la situation financière en 1924 des ex-Dada bientôt surréalistes (répétons-le), celui-ci répondit : "A ce moment, la précarité des moyens d'existence matérielle ajoute, certainement, pour nous tous, aux autres causes d'instabilité ; elle accentue le sentiment de notre désaccord, de notre rupture avec un monde que nous tenons pour aberrant." (3) Un monde aberrant dit-il !? Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Merci d'en dire un peu plus. "Le monde où nous vivons nous fait l'effet d'être totalement aliéné ; nous révoquons, d'un commun accord, les principes qui le mènent. (...) Nous sentions qu'un monde révolu et courant à sa perte ne parvenait à se prolonger qu'en renforçant ses tabous et en multipliant ses contraintes et nous étions radicalement pour nous y soustraire." (3) Le mot d'ordre de Breton, son "thème d'exhortation à cette époque" (3) est alors : "Lâchez tout ! Lâchez vos espérances et vos craintes, lâchez la proie pour l'ombre, partez sur les routes !" Il poursuit : "Cette instabilité se manifeste sous différentes formes : elle entraîne, par exemple, Eluard à disparaître sans prendre congé de quiconque, au printemps de 1924. On saura seulement, quelques mois plus tard, qu'il a entrepris un voyage autour du monde." (3)            

 

A suivre...

 

* Traduction du verbe fuir en catalan, en castillan et en italien.

 

(1) En italique, citations de Paul Eluard.  

(2) La fin d'un monde 1914-1929 par Philippe Bernard (Editions du Seuil, 1975)

(3) André Breton Entretiens (1913-1952) avec André Parinaud (Entretiens radiophoniques diffusés entre mars et juin 1952) aux Editions Gallimard (1969)

 

 

Partir... Fuir...

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6 mars 2024 3 06 /03 /mars /2024 11:27

 

 

Pour commémorer le centième anniversaire de la mort du compositeur Gabriel Fauré (1845-1924), trois concerts seront donnés en mars, en avril et en juin à Perpignan (département des Pyrénées-Orientales). 

 

Le jeudi 14 mars, un hommage à Gabriel Fauré aura lieu au Conservatoire à Rayonnement Régional Montserrat Caballé de Perpignan Méditerranée Métropole par le pianiste François-Michel Rignol et ses élèves de différents niveaux qui interpréteront des oeuvres pour piano, nocturnes, romances sans paroles et une valse. Né à Pamiers (Ariège), Gabriel Fauré qui eut très tôt un don pour la musique, étudia dès l'âge de neuf ans à l'Ecole Niedermeyer (du nom du compositeur qui a formé des talents aussi divers que ceux notamment de André Messager et de Claude Terrasse), établissement d'où sortaient principalement des maîtres de chapelle et des organistes. Puis il suivit des cours sous la direction de Camille Saint-Saëns et obtint de nombreux prix d'orgue, de piano (instrument qui fut le confident de Fauré durant toute sa vie) et de composition. Devenu lui-même enseignant, il formera par la suite des compositeurs comme Charles Koechlin, Nadia Boulanger, Maurice Ravel. Fauré a composé des mélodies sur des poèmes de Paul Verlaine, Théophile Gautier et son gendre Catulle Mendès, Charles Baudelaire, Albert Samain et bien d'autres, des barcarolles, des ballades, des sérénades, des berceuses, des sonates pour violoncelle et piano ainsi qu'un Requiem, oeuvre commencée en 1888 et terminée trois ans après et jouée en 1900 lors de l'Exposition universelle de Paris. 

Pour ce concert du 14 mars à 18 heures 30, la réservation sur le site internet du Conservatoire est recommandée : https://crr.perpignanmediterraneemetropole.fr

 

Le jeudi 4 avril à 18 heures 30, un concert en hommage à Fauré sera donné par la quatuor Crescendo composé de Marie-Christine Guichot (piano), Martin Brunschwig (violon), Charlotte Chollet (alto) et Christine Mourlevat-Brunschwig (violoncelle) ainsi que plusieurs élèves instrumentistes du Conservatoire. Au programme, petites suites pour violon et piano (Berceuse et Sicilienne) suivies du 1er quatuor avec piano en ut mineur op. 15. 

Réservation conseillée : voir ci-dessus.

 

Le jeudi 27 juin à 20 heures en la cathédrale Saint-Jean de Perpignan (place Gambetta) sera donné le Requiem de Fauré à l'orgue avec l'orchestre symphonique de 3ème cycle dirigé par Mehdi Lougraïda et tous les ensembles vocaux du Conservatoire sous la direction d'Aline Rico. 

Réservation conseillée sur le site du Conservatoire de Perpignan : voir ci-dessus.

           

Hommage à Gabriel Fauré à Perpignan
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1 mars 2024 5 01 /03 /mars /2024 10:27

 

 

Le passage de l'Opéra

                                             1924

 

 

 

Comme le passage des Panoramas qui relie depuis le début du 19ème siècle sur une centaine de mètres la rue Saint-Marc au boulevard Montmartre (dans le 2ème arrondissement de Paris) par plusieurs galeries communiquant entre elles, le passage de l'Opéra - ouvert en 1822 - qui reliait le boulevard des Italiens au théâtre de l'Opéra de la rue Le Peletier se composait de plusieurs galeries, deux étant parallèles comme "un double tunnel" (1) comme l'a écrit Aragon, la galerie du Baromètre et celle du Thermomètre reliées entre elles par une galerie perpendiculaire, la galerie de l'Horloge avec une sortie sur la rue Chauchat. Au 19ème siècle, Paris comptait environ cinquante passages dont la galerie d'Orléans (du Palais-Royal) surmontée d'une verrière longue de 65 mètres démolie dans les années 1930. Les fontaines de Pol Bury se trouvent sur son emplacement. Afin de se faire une idée de ce que fut la galerie d'Orléans, on peut toujours se rendre à Bruxelles (Belgique) et déambuler dans les galeries Saint-Hubert composées des galeries du Roi, de la Reine et des Princes. Actuellement, il ne reste à Paris qu'une quinzaine de passages ou galeries.

 

Mais revenons au texte de Louis Aragon paru en plusieurs segments durant l'été 1924 dans La Revue européenne et intitulé Le passage de l'Opéra. La galerie du Thermomètre s'ouvrait entre le café Biard et la librairie Eugène Rey "où l'on peut consulter à son aise les revues sans les acheter" précise l'auteur. L'enseigne du café Biard se révèle, bien que cachée en partie par un réverbère, sur la photo n°116 du livre de Georges Renoy cité dans le chapitre précédent. A gauche s'ouvre la galerie du Baromètre "au pied de l'étalage de la librairie Flammarion". Il est regrettable que l'auteur qui a reproduit dans son ouvrage coupures de presse, diverses pancartes et encarts publicitaires, n'ait pas croqué de plan du passage et de ses galeries avec les noms des boutiques, hôtels, cafés et restaurants. Mais peut-être qu'avec un tel croquis, l'imagination des lecteurs aurait été sacrifiée sur l'autel de la précision trop ciselée et du détail trop parfait. Comme il ne faut plus compter sur les récits et témoignages des personnes qui à la Belle Epoque et jusqu'en 1924 ont fréquenté le passage de l'Opéra - Aragon est décédé en 1982 -, il ne reste plus qu'à reproduire en esprit sa configuration et l'ambiance qui en faisait un passage animé et plein de surprises avec son "perpétuel va-et-vient de gens de tous pays et de toutes les conditions qu'arrêtent au passage les boniments fantastiques de rusés camelots et que regardent nonchalamment défiler les placides consommateurs assis à la terrasse des cafés". (2) Mais après tout, que vaudraient souvenirs, descriptions et anecdotes rapportées par celles et ceux qui ont déambulé dans le passage de l'Opéra au début des Années folles, après tant de décennies mortifères pour la mémoire et la restitution de la vérité vraie. Mais puisque je vous dis que la marchande de chapeaux était à côté du salon de coiffure pour hommes ! Le passage de l'Opéra, je l'ai bien connu, moi, j'y étais, diraient quelques personnes bien intentionnées qui s'érigeraient en mémoires du vieux Paris disparu, croyant par leurs affirmations erronées pouvoir impressionner leur auditoire puisqu'elles ZY étaient, avoir un ascendant sur celles et ceux qui ne l'auraient pas connu mais affirmant avec aplomb des détails imprécis voire inexacts confondant sans doute avec d'autres passages de ce quartier ou ayant rêvé des détails pourtant vus de leurs yeux vus. Comme avec le temps, va, tout s'en va, laissons donc ce passage devenir le passage de l'Opéra onirique. Laissons-nous guider - bien que le livre d'Aragon n'est pas un guide touristique façon Baedeker -, par sa lecture tout en dessinant soi-même ses contours par des détours propres à réinventer les maillons qui, mis bout à bout, formaient cet ensemble appelé passage de l'Opéra.

 

Les passages invitent à la flânerie. On ne peut parfois qu'y passer... vite. Certes. Mais on peut s'y arrêter aussi, aller de vitrine en vitrine se laissant aller à la découverte de marchandises, de nouveaux produits, de nouveaux objets que l'on n'a toutefois nulle intention d'acquérir mais que l'on regarde pour le seul plaisir de les regarder. Flâner, baguenauder, marcher sans but. "En 1839, a écrit le philosophe allemand Walter Benjamin, il était élégant d'emmener une tortue quand on allait se promener. Cela donne une idée du rythme de la flânerie dans les passages." (3) Dans un passage, on prend le temps, son temps. Pas de circulation automobile, pas de feux tricolores, pas de bousculade, peu de bruit. Les passages sont des chapelles où le verbe n'est jamais haut. On marche jusqu'à la sortie opposée et tiens, il pleut !, alors on revient sur ses pas, jusqu'à l'autre ouverture, celle qui déploie ses grilles sur le boulevard. Le passage est un parapluie, un passe-temps, une attractive distraction. Le passage protège contre les agressions de la ville, la foule pressée qui ne regarde rien ni personne, le tintamarre des klaxons, le vrombissement des moteurs. Dans un passage, on s'arrête, on regarde, on imagine. "La fantasmagorie du flâneur : déchiffrer sur les visages la profession, l'origine et le caractère." (3) Certains y viennent dans un but précis. Pour se faire tailler la barbe, les cheveux ou un costume, pour prendre une consommation, un repas, une collation dans un établissement qui offre des five o'clock à toute heure, des sandwiches variés, des pâtisseries gourmandes, pour acheter des mouchoirs et des chapeaux, pour écouter le dernier tango à la mode chez le marchand de musique, pour prendre une chambre dans le petit meublé banal et sordide du deuxième étage - eau chaude, eau froide et électricité à tous les étages - avec des chambres aux lavabos fuyards, aux cloisons moisies, aux tentures cramoisies, chambres tout confort où ont habité Marcel Noll et Charles Baron - amis d'Aragon - que l'on pouvait louer à la semaine ou au mois, petit garni au-dessus d'une maison de passe ou maison de tolérance mais cette dernière expression "ne peut se prononcer sérieusement" précise l'auteur. Car "ces galeries avaient la réputation d'être un lieu de galante compagnie", nous rappelle Jacques Hillairet dans son Dictionnaire historique des rues de Paris. Le luxueux hôtel de Monte-Carlo qui donnait sur la rue Chauchat, souhaitant préserver intacte sa réputation auprès des touristes locaux et étrangers ne se gênait pas pour affirmer "qu'il n'a rien à voir avec le meublé du passage". L'entrée de cet établissement de perdition (pas ce dernier mais l'autre ) par conséquent interdit aux moins de 21 ans se trouvait à proximité d'un marchand de cannes et du café Le Petit Grillon où Aragon avait ses habitudes, y ayant souvent joué aux cartes avec des amis durant des soirées entières. Mais c'est au Certa (téléphone : Louvre 54 49), café se trouvant dans la galerie parallèle mais appartenant au même gérant, que les Dadas se retrouvaient pour préparer leurs futurs quatre cents coups, happenings qu'ils trouveraient hilarant mais scandaleux pour le public et leurs victimes déjà lassés de leurs frasques. C'est dans la salle du Certa, enfoncés dans la banquette de moleskine ou perchés sur les sièges disposés autour de tonneaux que les Dadas ont un jour imaginé de donner des notes, comme à la maternelle, à des personnalités mortes ou vivantes selon leurs goûts ou leurs dégoûts, bien souvent au hasard. "C'est ce lieu où vers la fin de 1919, un après-midi, André Breton et moi décidâmes de réunir désormais nos amis (...) par goût aussi de l'équivoque des passages, et séduits sans doute par un décor inaccoutumé qui devait nous devenir si familier." Le Certa proposait une carte généreuse de boissons alcoolisées, bières, liqueurs, cocktails, un "porto rouge ordinaire, qui vaut deux francs cinquante". (4) Mais le Certa, plutôt celles et ceux qui y travaillaient et y servaient y passaient dans la crainte leurs derniers moments dans cet établissement créé il y a quelques décennies. Les marteaux piqueurs, les bulldozers, les pelleteuses viendraient bientôt se mettre en mouvement et faire disparaître le passage de l'Opéra et ses alentours malgré la virulente protestation des commerçants, des hôteliers et des gérants de sociétés. Contre les promoteurs encouragés par de grosses firmes (qu'Aragon cite mais dont les noms ici seront tus) un organe de défense des intérêts économiques du quartier de la Chaussée-d'Antin dirigé par Jean-Georges Berry (fils de Georges Berry, député du 9ème arrondissement de 1893 à sa mort en 1915) vit le jour, mais rien n'y fit, le passage de l'Opéra, ses boutiques, ses restaurants, ses cafés, ses hôtels, ses bureaux et son théâtre Moderne - créé en 1904 - où l'on jouait des pièces de série C et où l'on y voyait tout au plus "trente spectateurs les jours d'affluence", seront condamnés à disparaître et leurs propriétaires expropriés avec des indemnités de misère, en tout cas bien en deçà du prix des pas-de-porte référencés dans le quartier. Malgré des recours en justice, toutes et tous durent partir, trouver un emploi ailleurs (mais à cette époque il suffisait de traverser la rue pour en trouver un, n'est-ce pas ? Suivez mon regard !), refaire une autre vie sous d'autres latitudes. Toutes et tous entendaient déjà les démolisseurs approcher. "Cette araignée légendaire, déjà ils savent que c'est en janvier 1925 qu'elle les étouffera." Cet endroit deviendra alors le fantôme de l'Opéra.                                       

 

 

(1) Les phrases en italique sont issues du livre de Louis Aragon intitulé Le passage de l'Opéra paru aux Editions Gallimard en 1926 et réédité à plusieurs reprises depuis, dont récemment chez Folio en 2022. 

(2) Citation du Guide Conty : Paris en poche (1909) lue dans le livre Paris en cartes postales anciennes - Louvre-Bourse de Georges Renoy édité à la Bibliothèque Européenne/Zaltbommel en 1973. La librairie des Guides Conty se trouvait à la Belle Epoque à l'emplacement du numéro 4 actuel du boulevard des Italiens.

(3) Paris, capitale du XIXème siècle par Walter Benjamin (Cerf, 1989)

(4) A boire avec modération. Les Dada m'ont demandé de spécifier que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé.           

     

Passage Choiseul (2ème arrondissement) où au n°67 Marguerite Destouches a acquis en 1899 un fonds de commerce, magasin d'objets et de curiosités. Son fils, Louis Ferdinand futur Céline avait 5 ans.

Passage Choiseul (2ème arrondissement) où au n°67 Marguerite Destouches a acquis en 1899 un fonds de commerce, magasin d'objets et de curiosités. Son fils, Louis Ferdinand futur Céline avait 5 ans.

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