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1 avril 2019 1 01 /04 /avril /2019 13:02

"Je vois encore Joffre, à Londres, après la Marne, adossé à la cheminée et nous disant : "Tout sera fini à Noël." Paul Morand (*)

 

En cette année 1915, "tout est à la guerre et nul ne songe à Sa Majesté Carnavalesque" comme le déplore un article de L'Indépendant des Pyrénées-Orientales. Désormais, Perpignan vit au rythme des nouvelles du front et, comme toujours - ou depuis toujours -, de ces petites choses qui font la vie habituelle d'une ville. Alors que le journal cité précédemment parle en une du tremblement de terre qui vient de secouer la région de L'Aquila en Italie (15 janvier 1915) et qui a arraché à la vie entre dix et douze mille personnes - sans parler des blessés -, à la rubrique "Dernière locale", les lecteurs apprenaient que le propriétaire d'un mas proche de la ville avait déclaré un vol d'artichauts tandis qu'une semaine avant, ce sont vingt-quatre choux-fleurs qui avaient été volés dans un jardin de Saint-Jacques et que des enquêtes étaient ouvertes. La misère, la précarité comme on dit trop souvent maintenant, le manque d'argent en pousseront beaucoup à commettre de petits larcins, voire pis encore dans le domaine de l'aberration ! La rapide augmentation du prix du pain, elle-même due au manque de ravitaillement en farines, et dont le journal catalan parlera à de nombreuses reprises au cours de l'année 1915, sera un coup terrible porté au pouvoir d'achat des plus humbles et des plus démunis - en 1915, on parlait déjà de Sans Domicile Fixe. Le pain blanc de un kilogramme passe en février de 45 à 50 centimes et les autorités seront vigilantes quant à la tolérance de cent grammes (pas un de plus) accordée aux boulangers et qui pourrait en cas de son non respect entraîner des poursuites. Dura lex sed lex. Les autorités constateront que les boulangers inspectés dans différents quartiers de la ville donnent bien le poids du pain réglementaire. Le ministre du Commerce annoncera bientôt dans un télégramme adressé au préfet des Pyrénées-Orientales qu'il fait "une cession de cinq mille quintaux de blé à 32 frs sur un vapeur incessamment attendu à Marseille pour ravitailler ville de Perpignan". (19 mai 1915) Les articles sur l'explosion de gaz dans l'immeuble du 37 rue Saint-Martin - face à l'hôpital militaire - en janvier 1915 et le chahut provoqué tous les soirs par un groupe de perturbateurs qui narguent et agressent les habitants de la place du Puig et de ses alentours "qui se demandent s'il ne sera pas nécessaire de se munir de gourdins avant de sortir en promenade" (L'Indépendant daté du 29 août 1915) auraient pu passer inaperçus rapport aux événements tragiques qui se déroulent dans le reste du pays.

 

Le département des Pyrénées-Orientales est un département viticole, comme déjà indiqué dans des chapitres précédents. Et, avec le départ de très nombreux jeunes pour le front, la main-d'oeuvre fait cruellement défaut dans les exploitations malgré la venue d'ouvriers espagnols qui ne sont plus seulement autorisés à entrer en France par Cerbère (jusqu'en juillet 1915) sinon aussi par Bourg-Madame et Le Perthus suite à la demande émise auprès du ministre de l'Intérieur par le député Emmanuel Brousse.  C'est aussi Emmanuel Brousse et Léon Nérel qui entament, dès le mois de janvier, une démarche auprès de l'Exécutif pour que soient accordées des permissions de quinze jours aux fils de viticulteurs afin d'aider à la taille de la vigne. Les députés se battent pour la préservation des activités viticoles et horticoles dans le département dont ils sont les élus. C'est ainsi qu'Emmanuel Brousse insiste pour que soit généralisée la consommation de légumes dans l'armée pour la bonne santé du soldat mais aussi pour maintenir une activité économique viable dans les régions horticoles et c'est encore lui, de concert avec son collègue Léon Nérel, qui s'insurge auprès des ministres des Finances et de l'Agriculture pour que ne soit pas appliquée la décision de la Chambre de Commerce de Marseille "de produire en vins de sucre le 1/5 de la récolte déclarée en 1914 sous prétexte de parer à l'insuffisance de la récolte de 1915" ce qui provoquerait selon les deux députés "la déchéance irrémédiable de la viticulture française" (20 juillet 1915). Comme le département des Pyrénées-Orientales compte aussi quelques stations thermales, le député Emmanuel Brousse n'a pas manqué de demander au ministre de la Guerre quelles mesures il prendrait en vue de l'utilisation par l'armée de ces stations pour le traitement des douleurs, des maladies, des blessures subies par les soldats (mars 1915). A propos de blessures et autres bobos, j'ai lu dans un numéro du journal L'Indépendant daté du mois de juillet 1915 cette étrange publicité : "Chaque soldat doit avoir un tube de RADIOLE contre rhumatismes, douleurs, maux de reins, sciatiques."

   

Côté météo, en 1915, comme le chantera plus tard Henri Salvador, "c'est pas la joie". Dans l'après-midi du 22 février, la tramontane qui soufflait a rapidement gagné en intensité, faisant tomber des arbres dans le parc de la Pépinière et dans la promenade des Platanes, arrachant des toitures dans les quartiers du Vernet et de Saint-Martin, renversant des véhicules et interrompant la circulation des tramways. Cette tempête a aussi été ressentie de la Gironde au Gard en passant par l'Aude et l'Hérault. L'automne ne sera pas plus gâté par le temps.

 

C'est au printemps 1915 que le jeune Aimé Giral - ce talentueux joueur de rugby qui avait donné à l'ASP son premier titre de champion de France le 3 mai 1914 -, subit son baptême du feu après avoir effectué ses classes à Pézenas. Né à Perpignan en août 1895 (inscription au 10 rue Grande-la-Réal), il sera grièvement blessé par un éclat d'obus et décédera à l'âge de 19 ans le 22 juillet 1915 près du village de Somme-Suippe (à une vingtaine de kilomètres à l'est de Mourmelon) dans le département de la Marne. Sa dépouille sera rapatriée en 1922 et déposée dans le caveau familial du cimetière de l'Ouest (Perpignan). Un stade, celui de l'USAP, porte son nom depuis 1940. Avec lui, ce furent sept jeunes joueurs de l'ASP qui tomberont au champ d'honneur pendant la Grande Guerre. J'ai récemment vu un tableau signé de Max Beckmann (peintre allemand décédé à New York en 1950) dans une exposition qui lui est consacrée actuellement à Barcelone. Il représente un soldat qui va partir pour le front et qui dit au revoir - ou adieu - à sa fiancée. En regardant ce tableau d'une simplicité et d'une cruauté infernales, j'avais en tête une chanson de Jacques Larue - pour les paroles - et Philippe-Gérard - pour la musique - intitulée Miséricorde, chanson qu'Edith Piaf a enregistrée en studio le 28 février 1955 mais qu'elle avait déjà interprétée le mois précédent à l'Olympia. Cette chanson, véritable réquisitoire contre la guerre, dont, à mon avis, il faudrait faire étudier le texte dans tous les collèges de France, relate une scène similaire à celle vue sur le dit tableau mais cette fois dans une gare où la fiancée n'est "pas la seule à chialer sur le quai" - je cite les paroles de mémoire. "Avec leurs boniments, ils ont tué mon amant", "les p'tites croix blanches ont des dimanches qui n'sont pas gais" - je cite toujours de mémoire -, et la chanson se termine par ces mots terribles : "Mais la vie est si moche que même ça je l'oublierai." Une phrase qui m'avait beaucoup marqué - et qui m'interroge encore -, quand j'ai entendu cette chanson pour la première fois à l'âge de treize ou quatorze ans. "Mais la vie est si moche, que même ça je l'oublierai."

 

Certains ne moururent pas l'arme au poing mais le pinceau à la main. Le peintre Francis Tattegrain - qui était né à Péronne (Somme) en 1852 - fut tué alors qu'il peignait sous un bombardement le beffroi d'Arras. Classé monument historique avant la guerre, et offrant, avec ses 75 mètres de hauteur, une vue imprenable sur la ligne de front, il était une cible de choix pour l'artillerie allemande. Elevé à partir du 15ème siècle et achevé au siècle suivant, le beffroi, comme l'hôtel de ville attenant, sera reconstruit à l'identique dans les années 1920. Francis Tattegrain, peintre naturaliste, qui a longtemps vécu à Berck (Pas-de-Calais) avait un pied-à-terre au 12 boulevard de Clichy à Paris. Il est donc mort le vendredi 1er janvier 1915 à Arras.

          

(*) Journal d'un attaché d'ambassade 1916-1917 par Paul Morand de l'Académie française (Editions Gallimard, 1996)

A Vernet-les-Bains (Pyrénées-Orientales)

A Vernet-les-Bains (Pyrénées-Orientales)

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27 mars 2019 3 27 /03 /mars /2019 08:24

"La bravoure n'est rien - l'atroce est l'ennui d'une guerre de taupes et de fatigue." Jean Cocteau

 

En décembre 1914, le Parlement regagnait Paris. Et comme la guerre durait, les salles de spectacles et autres cinémas qui avaient dû fermer sur ordre du gouvernement dans l'attente d'une prompte victoire, rouvraient peu à peu. La vie parisienne reprenait ses droits. A Perpignan aussi, les cinémas proposèrent de nouveau films et animations dès le mois de mars 1915. La guerre allait être longue et rares seraient les occasions de s'amuser. A Perpignan, ce sont le Cinéma-Castillet et le Familia qui dominaient le monde magique du cinématographe. Des deux inaugurés en 1911, seul le Castillet existe encore ; le Familia, qui se trouvait au bord de la Basse, a fait depuis place à un immeuble d'appartements. Une autre salle ouvrira à la fin du mois de novembre 1915 près de la place Bardou-Job : L'Eldorado. Surtout connu pour avoir été un music-hall, L'Eldorado proposera opérettes, comédies musicales mais également quelques films au moins jusqu'en janvier 1916. La grande vedette parisienne Félix Mayol s'y produisit. Même si son nom ne m'était pas inconnu, j'avoue qu'il m'a fallu l'aide de quelques sites internet pour savoir ce qu'il y avait eu au répertoire de ce chanteur natif de Toulon et décédé dans les années 1940, n'ayant évidemment pas été bercé par ses chansons durant mon enfance plutôt Johnny et Anthony. Si le titre "Viens Poupoule" me disait vaguement quelque chose, je lus via les dits sites qu'il avait chanté "Les alliances de Guillaume II" en 1906. Je ne serais pas surpris d'apprendre qu'il n'a pas repris cette chanson durant son spectacle à L'Eldorado de Perpignan durant la guerre, l'empereur d'Allemagne étant détesté par toute la population française. Quoi qu'il en fût, dans la chanson intitulée Moi j'aime le music-hall que Charles Trenet a écrite en 1955, le nom de Mayol est par deux fois cité. C'est dire l'importance qu'il devait avoir au début du 20ème siècle dans les cabarets et autres bals fort nombreux entre Barbès et Pigalle. Oui, la guerre allait être longue ! Et cette publicité lue dans le journal L'Indépendant des Pyrénées-Orientales daté du 4 janvier 1915 ne s'y trompait pas : "Etrennes utiles : Faites apprendre à vos enfants la sténodactylographie à l'école "R..." (...) place de la Loge. Facilités de paiement pendant la durée de la guerre."

 

Pour écrire cette série d'articles sur la Première guerre mondiale, comme d'ailleurs tous les articles de mon blog depuis 2010, j'ai eu la chance de pouvoir compter sur un allié sincère et loyal : la Médiathèque de Perpignan. Je dis toujours que l'on devrait y élever une statue à la muse du savoir et de la connaissance. Si Aristide Maillol se serait volontiers prêté à cet exercice, un sculpteur ayant son atelier entre Salses et Le Boulou accepterait certainement cette commande et ferait jaillir du marbre ou de la pierre tout ce que les livres et autres moyens modernes de se cultiver peuvent apporter de riche et d'utile à des êtres sveltes, heureux, joyeux ou au contraire rouillés, déçus et lassés par l'existence et le monde tel qu'il est mais qui ne demandent qu'à toujours apprendre. Je ne sais si après les travaux de rénovation du bâtiment (qui doivent durer jusqu'à la fin de l'année 2019), on baptisera la "nouvelle" médiathèque du nom d'un penseur, écrivain, peintre, etc - masculin ou féminin cela va de soi - mais ce lieu ne pourra jamais être dédié à une seule personne sinon à toutes celles et ceux qui au fil des siècles passés et du siècle actuel ont laissé leur empreinte si minuscule fut-elle dans les écritures romancées ou historiques, poésies, biographies et autobiographies et aussi à toutes celles et ceux qui vont à cette médiathèque pour lire, emprunter, discuter, écouter. Je fus aussi aidé par le colloque auquel j'assistai en octobre dernier au Couvent des Minimes sur le thème "Perpignan pendant la Première guerre mondiale" où les intervenants qui s'y sont succédé ont savamment parlé de la vie quotidienne dans une ville éloignée du front mais impliquée jusqu'au cou ou même jusqu'à la Têt, vu le nombre de soldats perpignanais qui ont perdu la vie en combattant et dont les noms figurent sur le monument inauguré en novembre 2018 dont j'ai déjà parlé dans un chapitre précédent. En écrivant ces derniers mots, je n'oublie pas ceux des villages qui ne sont jamais revenus ; quand on pense que le seul monument aux Morts de Prats-de-Mollo dans le haut Vallespir comporte 120 noms ! Médiathèque, colloque, il me fallait cependant une troisième source d'information. Elle me fut offerte grâce à la lecture du journal L'Indépendant des Pyrénées-Orientales via des microfilms précieusement conservés et heureusement consultables par tout un chacun même s'il n'est pas chercheur ou historien. Des livres sur la Première guerre mondiale, il y en a beaucoup. Des livres sur Perpignan pendant la Première guerre mondiale, il y en a beaucoup moins. Je ne suis pas historien. Mais c'est après avoir assisté à ce colloque en octobre dernier que j'ai eu envie de rassembler les informations que j'avais entendues et notées sur un petit carnet et de les restituer en les enveloppant de réflexions personnelles.

 

La vie quotidienne à Perpignan entre 1914 et 1918 est la vie d'une ville confrontée aux problèmes que connait un pays en partie occupé et où l'absence des jeunes et moins jeunes hommes fait cruellement défaut. Car même durant une guerre, la vie continue, elle est bien obligée de continuer bon gré mal gré. En ville, il y a des problèmes liés à la guerre, au manque de marchandises, au manque d'argent... Cela entraîne pêle-mêle une forte hausse des prix sur les produits de première nécessité, des tromperies sur les marchandises, des difficultés d'approvisionnement, de la prostitution pour obtenir un complément de revenus, des infanticides, des avortements, de l'assistance à déserteurs, etc. A la campagne, la guerre n'empêche pas de devoir s'occuper des plants de vigne, des arbres fruitiers, du bétail. Pour pallier le manque de main-d'oeuvre, de très nombreux Espagnols (environ vingt mille) venant principalement de Catalogne, salariés agricoles, ouvriers, maçons vinrent remplacer ceux qui étaient partis. Mais le Roussillon, ce n'est pas que la vigne et l'horticulture sinon aussi entre autres la pêche (Banyuls, Port-Vendres et Collioure), les mines de fer du Canigou*, les carrières de marbre du Conflent, la production d'engrais, la fabrication de bouchon de liège en Vallespir, les conserveries, les tuileries, et puisque c'est la guerre, l'usine de fabrication de dynamite à Paulilles, l'usine d'obus de Perpignan... En ville, l'Union des Femmes de France, le Touring Club de France organisent des tombolas dont les recettes vont aux soldats sur le front et aux hôpitaux et ses personnels.

 

L'Indépendant des Pyrénées-Orientales - journal républicain quotidien (dont le siège se trouve en 1914 au 4 rue de la Préfecture je l'ai déjà dit) parait tous les jours ou presque et relate, outre ce qui se passe sur les fronts d'Europe et d'Orient, ce qui se passe en ville et hors les murs du plus important au plus dérisoire : Noms des morts au champ d'honneur, conseils de révision à venir, comptes-rendus des conseils municipaux, propositions de lois provenant des députés du département, offres et demandes d'emploi, horaires des trains, vols, bagarres, objets perdus ou volés, adresses des pharmacies de garde, etc. Le quotidien parle aussi du général, pardon du généralissime Joffre, qui, lors d'une visite d'inspection de divers régiment était "simple et cordial [et] s'est entretenu amicalement avec plusieurs soldats : l'un deux originaire d'Amélie-les-Bains a même eu le plaisir d'échanger avec lui quelques propos en catalan (...) Il a passé en revue le 53è de ligne et s'est déclaré pleinement satisfait de la mâle attitude de ce régiment". (Edition datée du samedi 6 février 1915) La "mâle attitude" ! Je vous laisse méditer sur cette expression qui en dit long sur la virilité des soldats prêts à combattre sans reculer. Le journal reprend aussi souvent les propos du député Emmanuel Brousse à l'Assemblée. Il est vrai que Brousse était l'âme du journal. La rue de la Préfecture s'appelle désormais rue Emmanuel Brousse même si le siège du journal a déménagé plusieurs fois depuis 1914. C'est donc grâce à la lecture du journal et de différents livres que je peux vous conter faits divers et anecdotes qui ont marqué l'histoire de Perpignan (et ailleurs) durant la Première guerre mondiale.

                     

* Dans la nuit du 10 février 1917, une avalanche surprendra les mineurs et leurs familles dans leur sommeil sur le site de Roca Gelera provoquant la mort de douze personnes.         

Rue de l'Argenterie (Perpignan)

Rue de l'Argenterie (Perpignan)

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21 mars 2019 4 21 /03 /mars /2019 16:31

Si la mobilisation n'est pas la guerre, cette mobilisation-là fut la guerre. Le 3 août 1914, l'Allemagne déclare la guerre à la France et deux jours plus tard, alors que Guillaume II misait sur la neutralité de l'Angleterre, cette dernière déclare la guerre à l'Allemagne. Le plan Schlieffen élaboré de longue date (du nom du général Alfred von Schlieffen décédé en janvier 1913) est immédiatement appliqué. Il prévoit un déferlement des troupes allemandes - via la Belgique - sur une France vaincue en quelques semaines, et la possibilité alors de se tourner vers la Russie et de la défaire en deux temps trois mouvements. Mais le Plan XVII mis au point par la France en mai 1914 empêchera l'Allemagne d'aller aussi vite en besogne.

 

A la mobilisation, toutes les casernes de Perpignan (La Citadelle dans le château des rois de Majorque et des casernements dont les plus récents datent de 1913, la caserne Saint-Jacques - place du Puig -, la caserne Saint-Martin - sur le site duquel se trouve le Conservatoire -, le couvent des Minimes, la caserne Mangin et le couvent des dominicains, le couvent des Carmes, la caserne Dagobert) voient affluer des milliers de jeunes hommes qui une fois vêtus, armés et instruits, rejoignent le front. Les uniformes de l'Infanterie, souvent dessinés par le peintre d'histoire et de batailles Edouard Détaille (1848-1912) se composent d'une tunique bleue, d'un pantalon rouge et d'un casque en acier chromé. "Quatorze juillet 1912. (...) Ce n'est pas la première fois que le célèbre artiste, spécialiste en art militaire, attire sur lui l'attention des Parisiens. C'est ainsi qu'en 1904 il avait présenté au Salon de la Société des Artistes Français, au Grand Palais, deux immenses panneaux historiques destinés à l'Hôtel de Ville." (1) Il n'est pas étonnant que ce peintre militaire ait habité avenue de la Grande Armée, précisément au numéro 24.

Les Catalans mobilisés sont confiants. Leur chef est le général Joseph Joffre, catalan comme eux. Natif de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), le général est persuadé de pouvoir percer aisément les lignes allemandes et de défaire rapidement l'ennemi. Est-ce la fleur au fusil que les hommes des 53è et 253è régiments d'infanterie quittent Perpignan pour le front (plaque apposée place des Esplanades) les 7 et 15 août 1914 ? Quoi qu'il en fût, le 20 août, le premier train amenant des blessés arrivait en gare de Perpignan. Et vu l'afflux des blessés, l'hôpital militaire situé rue Saint-Martin (actuelle rue Foch) n'eut rapidement plus une capacité d'accueil suffisante pour les soigner tous. Au cours des premières semaines du mois d'août, les écoles de la ville sont réquisitionnées et se transforment en hôpitaux : l'Ecole normale des instituteurs (place des Esplanades), le groupe scolaire Saint-Martin (boulevard des Pyrénées), le collège Arago (ouvert en 1808, il sera longtemps le seul établissement secondaire du département), ainsi que Bon Secours et l'école du Sacré Coeur.

 

L'hôpital militaire de la rue Saint-Martin avait été aménagé en lieu et place du couvent des franciscains. Edifié à partir du 13ème siècle, ce couvent, couvrant une surface importante, se composait d'une église, de deux chapelles, de deux cloîtres, de jardins, et bien sûr de bâtiments conventuels. L'église du couvent qui s'élevait sur l'actuelle rue Zamenhof, là où se trouvent maintenant des bâtiments appartenant au Conseil départemental, avait son clocher sur sa façade sud côté rue Foch. Les bâtiments furent détruits au 19ème siècle. De ce couvent ne subsiste que l'église Notre-Dame des Anges transformée en chapelle militaire au 19ème siècle puis en lieu d'expositions inauguré par Christian Bourquin alors président du Conseil général des P.-O. le 22 novembre 2000. La porte monumentale de style classique qui la jouxtait, permettant d'accéder à l'hôpital militaire, a été démolie au cours du 20ème siècle. De belle hauteur avec son fronton à la grecque, elle en jetait, pour employer une expression actuelle. Le portail coulissant qui la remplace et qui ferme l'accès du lieu le soir et la nuit est moins esthétique. Sur la rive opposée de la rue, face à ce portail, s'élève un immeuble (49 rue Foch) millésimé 1912. Derrière l'hôpital militaire, se trouvait l'hospice Saint-Jean (hôpital civil). Installé là depuis 1808, il a été démoli en 1939 pour faire place à la poste centrale.

 

Dès le début du conflit, rumeurs et autres folles nouvelles - ce que l'on appelle de nos jours en bon français des "fake news" - circulent en nombre et trompent la population : les obus allemands n'éclateraient pas, les Allemands refuseraient de se battre et, à Perpignan, on aurait dans les fossés de la Citadelle fusillé des soldats qui auraient tenté de déserter, etc. La langue espagnole possède le mot "bulo" équivalent de "fake news". Ainsi durant la campagne pour les législatives qui auront lieu le 28 avril prochain en Espagne, on parle de "los bulos de la campaña" pour désigner toutes les fausses informations qui circulent à propos des candidats sur les réseaux dits sociaux. Quoi qu'il en soit, sur le terrain, les armes fonctionnent bel et bien et la dernière semaine du mois d'août 1914 est particulièrement meurtrière. Bruxelles tombe aux mains des Allemands le 20 août. Ceux-ci déferlent alors sur Charleroi et Namur. Espérant ralentir l'avancée allemande en territoire belge, l'armée française entre dans ce territoire ami après des journées éprouvantes de marche, chaque soldat portant un paquetage d'environ quarante kilos. La journée du 22 août 1914 sera la plus meurtrière. Environ 27 000 soldats français furent tués entre Arlon et Bertrix dans la province du Luxembourg belge (2). Je ne tenterai aucune comparaison avec d'autres batailles qui ont eu lieu au cours des siècles précédents. Un mort est toujours un mort de trop. Mais au cours de batailles pourtant réputées meurtrières comme Eylau ou Waterloo il y a eu moins de soldats tués au combat que durant cette terrible journée du 22 août 1914. Eylau et Waterloo sont des batailles dont on parle en cours d'histoire dans les collèges et les lycées, alors que Arlon, Virton, point !

  

Au moment où le propre fils du général Foch perd la vie en combattant, le capitaine Antoine Louis Simon meurt au front en août 1914. Antoine Louis Simon, saint-cyrien, avait été affecté dans différentes parties du globe au cours de sa carrière militaire : la Martinique d'abord puis Madagascar où naquit son fils Claude le 10 octobre 1913. De retour en France en mai 1914 avec son épouse, Suzanne Denamiel, il se trouve à Perpignan quand éclate la guerre. Mobilisé, il est envoyé sur le front en Lorraine où il meurt en août. Son fils Claude deviendra écrivain et recevra le prix Nobel de Littérature en 1985. Sur la façade du 12 de la rue de la Cloche d'or à Perpignan, deux plaques rappellent que Claude Simon et Louis Codet ont habité dans cette maison. Plus tard, Claude Simon évoquera son enfance passée dans la maison familiale de la rue de la Cloche d'Or dans un roman intitulé L'Acacia. Après la mort de son père, le jeune Claude Simon est placé sous la tutelle de Paul Codet, frère de Louis. La mère de Louis Codet et la mère de Suzanne Denamiel étaient soeurs ; Suzanne et Louis (ainsi que Paul) étaient donc cousins germains. Louis Codet, catalan par sa mère, alors que son père était originaire du Limousin, après avoir tenté une carrière dans la politique - il fut député de la Haute-Vienne (gauche radicale) entre 1909 et 1910 en remplacement de son père élu sénateur -, il sera battu aux législatives de 1910 puis encore à celles de 1914 - ne se consacrera plus qu'à la peinture et surtout à la littérature. Il publiera au début des années 1900 des oeuvres qui ne seront connues qu'après sa mort. Mobilisé en août 1914 avec le grade de sous-lieutenant, il est envoyé sur le front de Belgique (Ypres) et est grièvement blessé par un éclat d'obus au début du mois de novembre. Transporté à l'hôpital du Hâvre, il y meurt le 27 décembre 1914 à l'âge de 38 ans. Plusieurs de ses romans seront publiés à titre posthume entre 1915 et 1926. Une rue porte son nom à Paris dans le 7ème arrondissement, près du boulevard de La Tour-Maubourg.

 

A Perpignan, tandis que les trains continuent d'amener des blessés, d'autres arrivent, dès la fin du mois d'août 14 avec à leur bord des prisonniers allemands qui sont immédiatement internés au fort du Serrat d'en Vaquer. Ce sont environ 300 prisonniers allemands qui se trouveront rapidement enfermés en cet endroit. Et si les combats font rage dans le nord de la France, malgré les fausses nouvelles colportées qui se voulaient rassurantes, ce sont environ 500 000 Parisiens effrayés qui quittent leur foyer pour des régions méridionales plus sûres. Le gouvernement n'est pas en reste puisqu'il gagne la vallée de la Loire avant de s'installer provisoirement à Bordeaux. Le député des Pyrénées-Orientales Emmanuel Brousse, aussi propriétaire du quotidien L'Indépendant des Pyrénées-Orientales, rédige un article, véritable pamphlet contre ce gouvernement qui, selon lui, vit sur un grand pied en buvant du champagne, en plaisantant, en fumant alors que de jeunes petits gars servent de chair à canon pour maintenir le train de vie des ministres. A cause de cet article lapidaire, la sanction tombe comme un couperet. Le journal, qui ne comporte plus que deux feuilles depuis le début du conflit, est interdit de parution pendant un mois. La suspension est ensuite réduite à deux semaines, et du 14 au 28 septembre 1914, les habitants des Pyrénées-Orientales sont ainsi privés de leur quotidien préféré.

 

(1) Paris en cartes postales anciennes (Palais Bourbon-Elysée) par Georges Renoy (Bibliothèque Européenne - Zaltbommel/Pays-Bas, 1973)                     

(2) Lire à ce sujet le livre très documenté de Jean-Michel Steg, Le jour le plus meurtrier de l'histoire de France, 22 août 1914 (Librairie Arthème Fayard, 2013)                      

Plaque dans le hall du lycée Arago (Perpignan)

Plaque dans le hall du lycée Arago (Perpignan)

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18 mars 2019 1 18 /03 /mars /2019 07:37

Un intermède. Je m'offre un deuxième intermède. Le ciel s'est couvert en cette fin de dimanche après-midi. Je suis assis sur un banc du square Bir-Hakeim (qui ne s'appelait pas Bir-Hakeim en 1914) et je regarde la façade de l'immeuble construit, sur le boulevard Jean Bourrat, par l'architecte Férid Muchir dans les années 1950. Le nom de cet architecte ne vous dit peut-être rien, mais Férid Muchir a imaginé de nombreux immeubles - souvent en collaboration avec son oncle l'architecte Alfred Joffre -, à Perpignan et à Canet-en-Roussillon, maisons particulières comme sur l'avenue Paul Massot ou bâtiments collectifs comme la gare routière des Courriers Catalans et la clinique La Roussillonnaise. Il est décédé en 1980 et est inhumé au cimetière Saint-Martin de Perpignan. A main droite, un monument inauguré le 10 novembre 2018 où l'on peut lire les noms des Perpignanais morts au combat entre 1914 et 1918, montre trois poilus grandeur nature portant armes et drapeau. Je me demande alors quand j'ai entendu parler pour la première fois de la Première guerre mondiale. Dans ma famille, le souvenir du deuxième conflit mondial était encore récent et solidement ancré dans les mémoires. Je ne suis né que quinze ans après la capitulation de l'Allemagne. Quinze ans, ça n'est rien, ça passe vite. Si la guerre venait à s'inviter dans les repas de famille, la discussion portait principalement sur l'exode, les privations, la Libération. Les souvenirs étaient intacts et les passions encore vives, comme l'atteste l'émission des Dossiers de l'écran (sur Antenne 2) diffusée en mai 1976 et simplement intitulée "Pétain". La guerre de 14, c'était plus ancien. Il fallait remonter vingt ans en arrière ; des siècles en somme. Ceux qui l'avaient vécue étaient morts, tout au moins dans ma famille. Il n'y avait plus de témoins directs, les récits connus n'étant issus que de lectures ou de témoignages des anciens qui se transmettaient de bouche à oreille. Un film, un documentaire ? Est-ce la diffusion à la télé d'un documentaire sur la guerre de 14 qui m'a appris qu'une guerre terrible avait mis fin à la Belle Epoque ? Je ne pourrais le dire. Une chanson de Georges Brassens peut-être ? Pourquoi pas ? Quoi qu'il en soit, quand j'allais chez mes grands-parents qui habitaient une grande partie de l'année à Aigurande dans l'Indre, je voyais sur le Monument aux Morts qui s'élève toujours entre la place du Champ de foire et celle de la Promenade, mon nom de famille gravé par deux fois dans la pierre. Un Alexandre et un Louis étaient morts au combat. Le Monument aux Morts de cette petite ville aux confins du Berry et de la Marche - deux noms broyés par le sabir des nouvelles régions depuis 2015 et du coup tombés dans l'oubli. Fallait-il fusionner certaines régions avec d'autres ? Peut-être. De là à les affubler de noms insipides ! -, ce Monument aux Morts, disais-je, ressemble à la plupart des monuments conventionnels qui ont été érigés en France à partir de 1920. Sur un piédestal, deux soldats en uniforme bleu horizon, ne voulant pas être les prochaines victimes d'une embuscade, marchent à pas feutrés en attendant le moment propice pour tirer sur l'ennemi. Rien à voir avec les monuments commandés auprès du sculpteur Aristide Maillol qui font voir, non des soldats au combat, mais des femmes assises et tristes, abattues par quelque mauvaise nouvelle et aussi des soldats nus, à terre, agonisant, comme sur le Monument aux Morts de Banyuls-sur-Mer inauguré le 9 janvier 1933. Ces monuments "différents", je les verrai bien plus tard lors de mes premiers séjours dans les Pyrénées-Orientales. Mais en 1972, ne s'offraient à mon regard que des monuments classiques montrant des soldats prêts au combat, prêts à en découdre avec un ennemi qui mitraillait, qui bombardait à tout va et qui empêcha le conflit, commencé en août de finir pour les fêtes de Noël. Les femmes, ce serait pour plus tard, bien plus tard. Dans un livre de cartes postales anciennes que j'achetai au mitan des années 70, je découvris que le quartier de Ménilmontant à Paris avait été victime de raids de zeppelins. Deux vues représentaient des immeubles effondrés - dont celui du 86 rue de Ménilmontant - avec le commentaire suivant : "Les zeppelins sur Paris - Crimes odieux des pirates boches." L'auteur du livre commentait lui-même ces vues par les phrases suivantes : "Samedi 29 janvier 1916, dix heures du soir (...) profitant de la brume, un zeppelin a atteint la capitale et lâché dix-sept bombes dont, par miracle, trois n'ont pas éclaté. Bilan du crime : 26 tués et 32 blessés." (1) Et le lendemain, "nouvelle alerte. Elle sera sans effet : les batteries anti-aériennes, en effet, ont forcé le zeppelin à lâcher son chargement de bombes à l'extérieur de Paris". (1) Ce même samedi 29 janvier, André Gide notait dans son Journal : "Je lis un conte de Maupassant (Le Parapluie), lecture coupée par le bruit des (ou du) zeppelin(s). (...) Assez tard nous restons aux aguets. Nuit à peu près blanche..." (2)

 

Mon grand-père maternel qui naquit à Montdidier en décembre 1908, me parlait quelquefois de sa ville natale. Cette ville qui compte de nos jours environ 6 000 habitants a vu naître en 1737 Antoine Augustin Parmentier qui introduisit la culture de la pomme de terre en France. Située au sud du département de la Somme, Montdidier a beaucoup souffert des bombardements lors de la Première guerre mondiale. En 1918, il ne restait de Montdidier que des ruines, comme dans les villes voisines de Roye et de Péronne. Mais mon grand-père n'eut pas à subir les bombardements sur Montdidier. Avant le début du conflit, il avait suivi ses parents en Auvergne, mon arrière-grand-père ayant souvent déménagé au cours de sa carrière de percepteur à la faveur d'affectations dans différentes régions de France. Il est à noter que Louis-Lucien Klotz, celui-là même qui oeuvra vigoureusement pour que l'Allemagne paie les réparations exigées par le traité de Versailles avec le slogan "L'Allemagne paiera", et qui fut plusieurs fois ministre sous la IIIème République, fut aussi député de la circonscription de Montdidier entre 1898 et 1925. Après la guerre, avançant l'argument que la France était le pays qui avait le plus souffert des destructions, Klotz tentera en vain de négocier avec le gouvernement des Etats-Unis une remise partielle voire totale des dettes contractées auprès du pays de l'oncle Sam. Un an après le décès de mon grand-père maternel - survenu en 1985, trois jours après le décès du peintre Marc Chagall et deux jours après celui de la chanteuse belge Soeur Sourire -, je pris ma voiture et me laissai conduire jusqu'à Montdidier par un beau dimanche ensoleillé. Vous imaginez que la région n'est qu'une succession de cimetières militaires, français, britanniques et aussi allemands. Ma grand-mère, côté paternel, me parlais de temps en temps d'Albert. En écrivant cette phrase, j'ai eu la sensation qu'elle me reparlait de quelqu'un, d'un ami cher ou d'une personne de sa famille. En tout cas, quand elle me disait cela, j'étais jeune et je me demandais ce qu'une enfant d'environ huit ans pouvait bien faire à Albert, au nord-est d'Amiens, alors que ses parents habitaient en Bretagne. Tout simplement parce que son père avait été chargé avec moult autres ouvriers, de la reconstruction de cette ville elle aussi ruinée. Je n'égrenerai pas la liste des villes qui ont été partiellement ou totalement détruites durant la Première guerre mondiale. J'en ai déjà cité quelques-unes. Il est inutile de rappeler que le nord de la France, aujourd'hui on dit les Hauts-de-France - j'ai encore envie d'ajouter (sic) -, a particulièrement eu sa part de souffrance et de désolation, mais on ne le répétera jamais assez.

  

Une chanson, des livres, des documentaires, des récits familiaux, voilà ce qui m'a fait connaître la Première guerre mondiale même si ce n'était que par le petit bout de la lorgnette. Car l'histoire ou l'historique de ce conflit étant particulièrement complexe, on n'aura jamais fini d'en apprendre davantage, de l'anecdote aux événements plus importants, même si beaucoup d'ouvrages ont paru à ce sujet depuis les années 1920 et même avant, je ne citerai que Le Feu d'Henri Barbusse, livre qui obtint le prix Goncourt en 1916. En consultant les archives familiales du côté maternel, je tombai un jour sur un certificat de décès, vous savez celui qui est décoré du haut relief appelé communément La Marseillaise, en fait Le Départ des Volontaires de 1792 par François Rude (on avait bien pris soin de cacher le sexe du personnage nu au premier plan) et sur lequel est écrit "Aux morts de la Grande Guerre, la patrie reconnaissante". Ce document hélas imprimé à des centaines de milliers d'exemplaires, je veux dire le document que j'avais entre les mains, portait le nom de "Loridant Henri Paul Auguste Charles, soldat au 113è Régiment d'Infanterie, mort pour la France le 2 janvier 1915. Hommage de la nation (loi du 27 avril 1916)." Ce jeune homme, je dis jeune parce qu'il a été tué à Beau-Séjour dans la Marne le 2 janvier 1915 à l'âge de 23 ans, était le fils d'Henri Loridan (sans t), un des oncles de ma grand-mère maternelle, qui fit une longue carrière politique dans le département du Nord comme conseiller général et conseiller municipal à Tourcoing avant 1914. Il était poète et chansonnier à ses heures comme l'indique l'inscription sur sa tombe dans le cimetière du Blanc-Seau à Tourcoing. Une rue porte son nom dans ce même quartier. Je ne sais pas où a été inhumé le jeune Henri Loridan(t). Cependant, mention est faite de son décès sur la dite pierre tombale. Il était promis à un bel avenir ayant obtenu, en 1911, un brevet d'ingénieur à la fin d'études qu'il avait suivies à l'Ecole nationale d'Arts et Métiers de Lille. La vie (seulement la vie ?) en a décidé autrement. Certains disent que quand on parle des morts, ils nous entendent. Le peintre Jacques-Emile Blanche dont on peut voir les portraits de Jules Pams, ministre de l'Intérieur et de Mme Jules Pams à l'hôtel Pams à Perpignan, a écrit au sujet des soldats morts au front : "Ce sont des âmes mystiques, ces exaltés d'une Idée qui, seuls par leur foi, réconfortent dans un tel cataclysme."

Le frère de Henri, Maurice, de six ans son cadet, a eu plus de chance. Faisant la nique aux Allemands (on disait alors les Boches), il fut inquiété par leurs autorités mais réussit à s'enfuir avec un ami par la Hollande en 1915. Ses parents devront néanmoins répondre des actes de leur petit dernier et seront incarcérés un temps. Toujours dans ces précieuses archives familiales, j'ai retrouvé une lettre (non datée hélas !), signée de l'agent de police Boussemart avec le texte suivant : "Madame Loridan, J'ai vu Monsieur Henri Loridan ce matin dans la prison allemande. J'ai eu le plaisir de lui dire que vous étiez en liberté. Monsieur est très heureux pour vous, vous souhaite le bonjour et bon courage." Après la guerre, Henri Loridan continuera sa carrière d'économe aux hospices de la Ville de Tourcoing et de versifier en patois roubaisien, tandis que son fils Maurice ira rejoindre son oncle, frère de son père, à Atlanta aux Etats-Unis où il fera une brillante carrière. Il aimera montrer, mais seulement à quelques amis chers, dans "la chambre des ancêtres", parmi les portraits de personnalités diverses, "le souvenir du fils regretté [qui] est là ; diplôme de sortie, chef-d'oeuvre d'un dessin précis et d'un goût qui rappelle les plus belles miniatures des manuscrits bénédictins, reliquaire précieux d'où tant de souvenirs paternels et maternels se lèvent, montent mélancoliquement et s'envolent en pleine gloire fleurie de la plus pure, de la plus rayonnante des fiertés", comme l'écrira plus tard Napoléon Lefebvre dans un ouvrage consacré au chansonnier Louis Catrice.

   

Mais le soir tombe à présent sur le square Bir-Hakeim. La fraîcheur de l'air m'oblige à quitter ce banc, ce parc et ses oiseaux qui gazouillent le bec en l'air ainsi que les quelques souvenirs glanés de-ci de-là et mes rêveries.

    

(1) Paris en cartes postales anciennes - Buttes-Chaumont - Ménilmontant par Georges Renoy (Bibliothèque Européenne - Zaltbommel/Pays-Bas, 1974)

(2) Journal, André Gide (Editions Gallimard, 1951)                          

Monument aux Morts, Aigurande (Indre)

Monument aux Morts, Aigurande (Indre)

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13 mars 2019 3 13 /03 /mars /2019 10:25

Depuis le 21 février, la CaixaForum de Barcelone propose une rétrospective dédiée à l'un des peintres allemands les plus reconnus du 20ème siècle : Max BECKMANN. Témoignage de l'éclosion de la modernité, de l'horreur de la guerre et de la cruauté de l'exil, cette exposition, réalisée avec le concours du Musée national Thyssen-Bornemisza de Madrid, est un parcours thématique en deux segments de l'oeuvre du peintre allemand né à Leipzig en 1884. Le premier couvre sa carrière avant 1914 ; le second, son exil à Amsterdam puis à New York où il mourut en 1950.

Elève à l'école des Beaux-arts de Weimar, il reçoit une solide formation classique avant de s'intéresser aux peintres de son temps. Il voyage, notamment à Paris, et expose dans diverses galeries en Allemagne. En mai 1914, il accroche quelques-unes de ses oeuvres dans une exposition collective qui réunit Paul Klee, Oscar Kokoschka, Emil Nolde, Ernst Barlach et Albert Weisgerber. La Première guerre mondiale, au cours de laquelle il est infirmier, le marque profondément. Albert Weisgerber, qui avait rencontré le peintre français Henri Matisse lorsque ce dernier s'était rendu à Munich au printemps de l'année 1908, est tué dans les Flandres en mai 1915. Le peintre Hans Fuglsang, lui-même tué au combat en 1917, dira : "La guerre a pris l'un des meilleurs peintres allemands, Weisgerber de Munich." Durant le conflit, Max Beckmann est réformé pour cause de dépression. Après la guerre, il poursuit sa carrière en Allemagne avant d'être expulsé de l'école d'art de Francfort et d'être empêché d'exposer à partir de 1933. Il quittera définitivement l'Allemagne en 1937 lorsque l'exposition nazie sur l'art "dégénéré" le clouera au pilori. D'esprit indépendant et solitaire, Max Beckmann a réussi à développer un langage très personnel, éloigné des tendances de ses contemporains. Il restera toujours un fervent partisan de la figuration dans une époque dominée par l'abstraction. 

L'exposition "Max Beckmann" est ouverte tous les jours, jusqu'au 26 mai 2019, de 10 heures à 20 heures à la CaixaForum, Av. de Francesc Ferrer i Guàrdia, 6-8, Barcelone. Entrée : 5 euro. 

D'autres peintres allemands ont été tués au combat durant la Première guerre mondiale. C'est le cas de Wilhelm Morgner, né à Soest (Rhénanie-Westphalie) et tué en 1917 lors de la bataille de Langemarck à l'âge de 26 ans. C'est aussi le cas de Franz Marc et de August Macke pour lesquels le Musée de l'Orangerie de Paris consacre, depuis le 6 mars, une exposition intitulée : "Franz Marc / August Macke - L'aventure du Cavalier Bleu". 

Franz Marc et August Macke, deux figures majeures de l'expressionnisme allemand, se lient d'amitié en 1910. Celle-ci est portée par l'intérêt commun des deux artistes pour la peinture française, notamment Cézanne, Gauguin et le fauvisme. Né à Munich en 1880, Franz Marc expose en 1910 dans sa ville natale à la galerie Brakl. Il rencontre le peintre Wassily Kandinsky et crée avec lui un groupe artistique baptisé "Der Blaue Reiter" (Le Cavalier Bleu) que Kandinsky associait au patron de Moscou (sa ville natale), saint Georges, souvent représenté dans les icônes et qui paraît dans bon nombre de ses oeuvres. August Macke et Paul Klee rejoignent rapidement le dit groupe et tous exposent collectivement en 1912. Macke fait connaître à Marc le collectionneur berlinois Bernhard Koehler qui lui achète plusieurs toiles. C'est aussi Koehler qui finance le séjour de Macke en Tunisie au début de l'année 1914. La carrière des deux amis s'achève trop vite. August Macke est tué en 1914 à Perthes-lès-Hurlus (Marne) à quelques kilomètres de Mourmelon ; Franz Marc est tué à Verdun en 1916.

On peut voir, en Allemagne, les tableaux des deux amis dans divers musées : au Musée Ludwig à Cologne, au Musée Folkwang à Essen, à l'Orangerie du musée des Beaux-Arts de Karlsruhe... Leurs toiles continuent de se vendre dans les salles des ventes à des prix élevés. En 1999, une huile sur toile de Marc intitulée "Der Wasserfall" (1912) a été adjugée chez Sotheby's à Londres pour la somme de £5 061 500. En 2000, la toile "Markt in Tunis" peinte lors du séjour de Macke en Tunisie a été adjugée chez Christie's à Londres pour £2 863 750. En 2002, la toile "Zwei Frauen vor dem Hutladen" de Macke (huile sur toile de 1913) a été adjugée chez Sotheby's à Londres pour £4 406 650 soit le triple de l'estimation initiale. 

L'exposition du Musée de l'Orangerie de Paris, place de la Concorde, Jardin des Tuileries, est ouverte jusqu'au 17 juin 2019, tous les jours sauf le mardi de 9 heures à 18 heures. Entrée : 9 euro ; Tarif réduit : 6,50 euro ; gratuit pour les moins de 26 ans et 1er dimanche du mois.     

       

Tableaux de Franz Marc et August Macke (Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid)

Tableaux de Franz Marc et August Macke (Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid)

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11 mars 2019 1 11 /03 /mars /2019 08:35

"La base de la connaissance du passé, le mètre-étalon du savoir historique, c'étaient les livres de Malet-Isaac, à jamais unis dans l'Antiquité comme Roux-Combaluzier dans les ascenseurs." (1)

Voici comment en classe de première (année 1977-1978), les causes de la Première guerre mondiale me furent inculquées... rapidement car le programme était vaste balayant la période allant de 1848 à 1914. Je reproduis ci-dessous les notes prises sous la dictée du professeur d'histoire :

"Les relations internationales de 1871 à 1914

Tableau général

de 1871 à 1890 :

Equilibre bismarckien fondé sur des craintes : Entente entre l'Allemagne, la Russie et l'Autriche ; sur l'antagonisme colonial entre la France et l'Angleterre. Conséquences : prépondérance allemande en l'Europe continentale ; isolement de la France. Pendant cette période, pas de danger de guerre européenne.

de 1890 à 1904

Le départ de Bismarck permet le rapprochement franco-russe et en 1893 avec le temps, la France réalise l'encerclement diplomatique de l'Allemagne : grave danger de guerre. L'Allemagne est isolée.

de 1904 à 1912 :

L'Allemagne essaie de rompre son encerclement diplomatique sans succès : période d'attente. L'Allemagne ne risque pas de guerre ; la Russie est repliée sur elle-même.

de 1912 à 1914 :

La course à la guerre : réveil de la Russie qui va essayer de se sortir de ses difficultés intérieures en risquant un conflit à l'extérieur.

Alliance des empereurs

La Russie : Bismarck n'est pas pro-russe mais il veut éviter un conflit ; il réussit l'entente avec l'Autriche car Vienne a peur d'une entente russo-allemande sur son dos.

Bismarck va exploiter l'antagonisme outre-mer franco-anglais ; c'est ainsi que Bismarck assure la prépondérance allemande. 

Cependant cette période n'est pas allée sans la crise d'Orient dans les Balkans de 1875 à 78 ; affaiblissement de la Turquie ; les Slaves sont soumis au dualisme. L'occasion de la crise : révolte en Bosnie-Herzégovine. La Serbie prend fait et cause pour la Bosnie et intervient militairement. Les Turcs sortent victorieux. Au nom de son autonomie, la Serbie en appelle aux grandes puissances. Son protecteur est la Russie. Avant d'intervenir, elle consulte Londres et Vienne. Les Russes lancent un ultimatum aux Turcs qui le repoussent. C'est la guerre du printemps 77 au printemps 78. Les Russes vont en mer de Marmara. Les Anglais y envoient une flotte. Traité de San Stefano : création d'une grande Bulgarie débouchant sur la mer Egée. Bismarck offre ses bons offices par le Congrès de Berlin en 1878. Ses clauses : La Bulgarie est réduite et subdivisée en deux provinces. La Serbie est agrandie au sud et la Grèce au nord. Mais le traité mécontente la Russie. Bismarck regrettera d'être intervenu. Malgré ce mécontentement russe, Bismarck maintient la Triple alliance. La Bosnie-Herzégovine passe sous contrôle autrichien. L'Angleterre s'installe à Chypre. Si la Turquie pense s'en tirer à bon compte, elle a perdu son protecteur : l'Angleterre.

Autres crises : crise franco-anglaise ; crise entre la Russie et l'Angleterre en Afghanistan ; en Asie, les intérêts anglais et russes s'opposent. 

De 1890 à 1904, le renversement des alliances aboutit à l'isolement de l'Allemagne. 1890, départ de Bismarck. Rapprochement franco-russe de 1893. Les flottes de guerre se rendent visite : la flotte française est bien accueillie à Cronstadt et la flotte russe est bien accueillie à Toulon. Négociations secrètes entre les deux pays : convention militaire de 1893 qui établit une alliance purement défensive. La convention ayant un caractère secret, le Gouvernement français n'a pas à en débattre devant le Parlement. La France sort de son isolement.

Crise franco-anglaise à propos du Soudan égyptien (1898-99) : Tension à Fachoda. Jamais la tension entre Londres et Paris n'a été si grave mais le conflit est impossible sur mer et sur place. Nous nous replions. Delcassé profite de cette concession faite à l'Angleterre pour se rapprocher de Londres ; rapprochement franco-italien (1900-1902) : La France s'étant opposée à ce que Rome devienne la capitale de l'Italie unifiée, celle-ci était devenue l'alliée de la Prusse. L'Italie s'installe en Tripolitaine et la France au Maroc. En cas de conflit entre la France et l'Allemagne, l'Italie restera neutre ; rivalité anglo-allemande en Afrique du Sud (1899-1902)."

Aparté : Le journal satirique français Le Rire se gaussera du voyage de Guillaume II au Moyen-orient en novembre 1898.   

Reprise du cours : "Accord économique germano-turc de 1903 : rapprochement normal de deux pays isolés. Clauses économiques : construction d'une ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad ; droit pour les Allemands de prospecter les champs de pétrole de Mossoul. Clauses militaires : l'Allemagne fournit de l'armement et des officiers instructeurs. Conséquences : Pour empêcher l'installation de l'Allemagne au Moyen-orient, l'Angleterre est prête à accepter les risques d'une guerre mondiale. En 1918, la guerre gagnée, l'Angleterre va procéder à la décolonisation de l'empire allemand : formation de l'Irak.

Entente cordiale (1904) : Edouard VII est à Paris, Emile Loubet à Londres. Delcassé signe un accord : la France renonce à l'Egypte. L'accord de 1904 ne porte que sur des points secondaires : l'Angleterre garde les mains libres pour intervenir ou non ; aucune clause militaire. En 1904, l'Allemagne est bien isolée ; c'est le résultat de la diplomatie française. 

1904, conférence de La Haye sur le désarmement. Dans ce domaine, la conférence va échouer. Là où elle va réussir, c'est sur la Croix-Rouge. En cas de guerre, les prisonniers bénéficient du contrôle international de la Croix-Rouge ; la Croix-Rouge peut librement faire parvenir des paquets aux prisonniers. Interdiction des gaz asphyxiants. Seuls les soldats en uniforme et se battant pour un pays officiellement en guerre ont droit à la qualité de combattants. Ils peuvent bénéficier de la Croix-Rouge. Cet accord condamne la guérilla (guerre subversive). 

La course à la guerre : Guerre des Balkans. Serbie, Roumanie, province autonome de Bulgarie et Grèce attaquent la Turquie. Les Turcs sont vaincus. La Serbie veut un débouché sur l'Adriatique : refus de l'Autriche. La Bulgarie mécontente de son sort déclenche la deuxième guerre des Balkans. La Bulgarie est vaincue ; en 1915, elle s'alliera à l'Autriche. 

Conséquences de ces guerres : Le tsar Nicolas II renforce son armée ; Vienne a bien vu le succès de la Russie et de la Serbie. Elle est décidée à intervenir à la prochaine occasion. L'Allemagne regrette de ne pas être intervenue devant l'attitude de l'Angleterre ; elle le fait savoir à Vienne et renforce les effectifs de son armée.

Conclusion : En 1913, tout est au point pour que le mécanisme de déclenchement d'un conflit joue automatiquement. L'opinion est favorable. Des leaders socialistes pensent arrêter la course à la guerre en déclenchant une grève générale. Tous ont voulu la guerre avec plus ou moins de prudence : France, Angleterre, Allemagne."

Le prof citera Napoléon Ier : "Tant qu'on se battra en Europe, ce seront des guerres civiles." Tout ceci ne sont que des querelles intestines, une histoire de cousins qui lavent leur linge sale en famille. Edouard VII est le fils de la reine Victoria (décédée en 1901) qui a eu parmi ses nombreux autres enfants une fille Victoria Adelaïde qui en épousant Frederick III - empereur d'Allemagne jusqu'en 1888 - a eu un fils qui n'est autre que Guillaume II. Victoria a aussi eu une autre fille, Alice Maud qui en épousant Louis IV, Grand duc de Hesse, a eu une fille qui elle-même a épousé Nicolas II. Cela faisait quarante ans que les cahiers étaient rangés dans un coin de la bibliothèque, quarante ans que je n'avais pas relu ces cours, et en parcourant ces lignes, tout le mécanisme qui a mené à la guerre, la course à l'abîme, s'est remis en place. Il y a quarante ans, nous les garçons de cette classe de première avions plus les yeux tournés vers les pas de danse de John Travolta dans Saturday Night Fever que vers les guerres des Balkans.        

Le 10 mai 1914, la gauche, opposée au service militaire de trois ans, remporte largement les élections législatives en obtenant plus de 300 sièges. "La loi de 3 ans", disaient les affiches électorales du Parti Socialiste (S.F.I.O.) "est un crime contre la France". "A la veille de la guerre, Marcel Sembat se fait élire à la députation par ses concitoyens, comme la plupart des candidats socialistes, sur un programme de "guerre à la guerre". (2) Les socialistes enlèvent 104 sièges. Jusqu'au 2 juin, le gouvernement de Gaston Doumergue expédie les affaires courantes. Le président de la République Raymond Poincaré appelle Alexandre Ribot, favorable à la loi des 3 ans, pour former un nouveau gouvernement. Le 12 juin, Ribot présente son programme à la Chambre mais il n'est pas investi par les députés. Le lendemain, René Viviani qui a formé un gouvernement avec des radicaux socialistes et des républicains socialistes obtient un vote de confiance. Le même jour, l'empereur d'Allemagne Guillaume II au cours d'une entrevue secrète encourage l'archiduc François-Ferdinand, héritier de la couronne d'Autriche, à en finir avec les Serbes. L'antagonisme, pour ne pas dire la haine, entre les Serbes et l'Autriche-Hongrie date de 1878, année où la Serbie est devenue indépendante à la suite de la guerre russo-turque et où la Bosnie-Herzégovine, peuplée de Slaves, a été occupée puis annexée - en 1908 - par l'Autriche, provoquant de vives protestations de la part du gouvernement de Belgrade soutenu par les Russes. Le 28 juin, commence la 12ème édition du tour de France cycliste. Alors que les concurrents s'élancent dans cette course qui va compter quinze étapes et qui doit durer jusqu'au 26 juillet, l'archiduc François-Ferdinand et son épouse sont assassinés à Sarajevo (Bosnie) par un étudiant serbe. L'événement tragique ne passe pas inaperçu mais il est relégué au second plan, les Français se passionnant davantage pour le procès de Mme Caillaux qui doit s'ouvrir dans quelques jours. Le 5 juillet, Guillaume II assure l'Autriche de son soutien en cas de conflit entre ce dernier pays et les Serbes. Il espère que cette nouvelle guerre dans les Balkans n'engendrera pas un conflit européen et mise sur la neutralité de l'Angleterre. Pendant ce temps, les coureurs du tour de France continuent de pédaler. Le 10 juillet, la 7ème étape les conduit de Luchon à Perpignan sur une distance de 323 kilomètres, via Saint-Girons, Ax-les-Thermes et le col de Puymorens. Après avoir longé la Têt, ils arrivent à Perpignan. C'est le Français Jean Alavoine qui s'impose au sprint, remportant à 26 ans sa 5ème étape sur le tour, en 11 heures et 27 minutes. Il devance deux Belges, Marcel Buysse et Philippe Thys. Le 12 juillet, l'étape Perpignan-Marseille longue de 370 kilomètres est remportée par Octave Lapize en 13 heures. Le 15 juillet, les Chambres partent en vacances et le lendemain, Raymond Poincaré et René Viviani partent pour la Russie effectuant un voyage prévu depuis longtemps dans le pays du tsar Nicolas II. Le 20 juillet, s'ouvre le procès de Mme Caillaux devant les assises de la Seine. Le 23, l'Autriche lance un ultimatum à la Serbie dans lequel elle demande notamment que la police autrichienne puisse enquêter avec les Serbes sur l'attentat qui a coûté la vie à l'héritier du trône. Deux jours plus tard, les relations diplomatiques sont rompues entre l'Autriche et la Serbie. Les événements vont alors s'accélérer. Le 26 juillet, les coureurs arrivent exténués à Paris après une dernière étape qui avait débuté à Dunkerque. Le tour de France 1914 est remporté par le belge Philippe Thys. Le second, Henri Pelissier est à 1 heure et 50 minutes. Le même jour, Guillaume II abrège sa croisière en mer Baltique et Poincaré et Viviani rentrent en France. Le 28 juillet, alors que Mme Caillaux est acquittée dans l'indifférence générale, l'Autriche déclare la guerre à la Serbie. Le 30, la Russie décrète la mobilisation générale et le 1er août, sont placardées dans toute la France les affiches (imprimées depuis dix ans) de mobilisation. Le dimanche 2 août, alors que se tiennent au Danemark les championnats du monde cyclistes sur piste, l'Angleterre exige que l'Allemagne renonce à l'invasion de la Belgique en cas de conflit et les journaux français titrent : "La France décrète la mobilisation générale" et "L'Allemagne déclare la guerre à la Russie". Vu les circonstances, les coureurs cyclistes doivent regagner leurs pays respectifs dans la précipitation. En France, on ne cesse de répéter que "la mobilisation n'est pas la guerre". L'espoir est de courte durée. Le 3 août, l'Allemagne déclare la guerre à la France ; le 5, la Grande-Bretagne déclare la guerre à l'Allemagne. "Même si l'antimilitarisme se développe au début du siècle dans les milieux ouvriers (grande manifestation contre la guerre le 16 décembre 1912 à Perpignan), l'assassinat de Jaurès (31 juillet 1914) lève le dernier obstacle au ralliement des socialistes à l'Union Sacrée." (3) 

Octave Lapize, vainqueur de l'étape Perpignan-Marseille, passionné d'aviation, est décédé le 14 juillet 1917 à l'âge de 29 ans. Son avion a été abattu dans la région de Toul.

 

(1) La composition d'Histoire par Pierre Daninos (Julliard, 1979) 

(2) Catalogue de l'exposition Entre Jaurès et Matisse, Marcel Sembat et Georgette Agutte à la croisée des avant-gardes, Archives nationales, Paris 2008.  

(3) Histoire du Roussillon par Claude Colomer (PUF, 1997)

Le Castillet (Perpignan)

Le Castillet (Perpignan)

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4 mars 2019 1 04 /03 /mars /2019 11:44

Je ne peux aller plus avant dans les événements qui ont eu lieu en 1914 sans revenir sur la biographie de ceux qui ont été élus dans les Pyrénées-Orientales lors des élections législatives des 26 avril et 10 mai. J'ai moi aussi connu des élections qui ont eu lieu les 26 avril et 10 mai. Plus récemment. C'était en fait pour une élection ; la présidentielle. C'était en 1981. Au soir du dimanche 26 avril, alors que dix candidats avaient sollicité les suffrages des Français, Valéry Giscard d'Estaing, président sortant, obtenait 28,30% des suffrages exprimés ; François Mitterrand, 25,90%. Le 10 mai à 20 heures, on annonçait la victoire de François Mitterrand avec 51,80% des suffrages exprimés contre 48,20% à son adversaire. Tous ceux qui avaient voulu le "changement" et la victoire du candidat socialiste faisaient la fête sur la place de la Bastille. L'orage qui s'abattit sur Paris vers minuit interrompit la liesse. Devant me lever tôt le lendemain matin, je n'allai pas rejoindre le cortège des vainqueurs et des heureux participants à cette fête. Le lundi 11 mai vers 8 heures sur les lignes 11 et 3 du métro parisien, rien ne laissait supposer que nous étions entrés dans un "nouveau régime" comme on disait à l'époque pour désigner le changement de majorité. Pourtant ce matin-là, les gens se serraient les coudes. Non qu'ils fussent tous électeurs de François Mitterrand et qu'il fallait remettre la France au travail, sinon qu'il y avait beaucoup de monde dans la rame. Il faudra attendre la fin du mois de juin et le résultat des élections législatives pour entrer dans cette nouvelle ère tant souhaitée et quand un député socialiste s'adressant aux quelques députés de droite qui siégeaient encore sur les bancs de l'Assemblée leur lança : "Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires." Depuis l'élection présidentielle de 2017, on ne parle pas de "nouveau régime" mais de "nouveau monde", comme si le président actuel avait abordé une "Terra incognita" où tous les possibles pourraient devenir possibles. Même si je suis resté dans ce paragraphe dans le monde de l'urne et du dépouillement, je me suis quelque peu éloigné des élections législatives de 1914. En cette année 1914, on parlera de la fin d'un monde, la fin de la Belle Epoque, du franc stable, des rentiers, du tourisme aristocratique.

 

Pour parler des élus de 1914, je ménagerai les susceptibilités en utilisant l'ordre alphabétique. J'ajoute que les renseignements ci-dessous proviennent en grande partie du site internet de l'Assemblée Nationale

Emmanuel Brousse, élu dès le premier tour (qui eut lieu je le rappelle le 26 avril 1914) dans la circonscription de Prades, est né à Perpignan en 1866. Fils du gérant de la société éditrice du journal L'Indépendant des Pyrénées-Orientales (Journal républicain quotidien) dont le siège se trouvait alors au 4 rue de la Préfecture (actuelle rue Emmanuel Brousse), il y débute comme typographe puis succède à son père. Il s'intéresse au développement du tourisme dans les Pyrénées-Orientales, devient partie prenante dans le projet de construction du chemin de fer vers Mont-Louis (Train Jaune) et publie des ouvrages (que j'avoue ne pas avoir lus à l'heure où j'écris ces lignes) sur la géographie physique et humaine du dit département. Elu député des Pyrénées-Orientales dès 1906 (Gauche démocratique), il le restera jusqu'en 1924, année de la victoire électorale du Cartel des Gauches mais aussi de la défaite de Brousse qui briguait un 5ème mandat. Durant la législature 1914-1919, il jouera un rôle important en mettant tout en oeuvre pour obtenir des Commissions parlementaires une aide efficace pour la défense nationale. Il meurt à Paris en 1926. "Ses amis lui élèveront, à l'entrée de Mont-Louis, un monument sur lequel sont gravés ces mots : "Au bienfaiteur de la Cerdagne, au défenseur de la viticulture, à l'apôtre des économies, au ministre mort pauvre". (1) La mention "Au ministre mort pauvre" aurait aussi pu être gravée sur des monuments en l'honneur de Georges Clemenceau et d'Aristide Briand.

Victor Dalbiez, élu dès le premier tour dans la 2ème circonscription de Perpignan sous l'étiquette de radical socialiste, est né à Corneilla-de-Conflent en 1876. Il commence sa vie professionnelle en rédigeant des articles dans Le Petit Catalan puis devient directeur de La Montagne. En 1909, à la faveur d'une élection législative partielle (le député Jean Bourrat étant décédé), il est élu député des Pyrénées-Orientales en battant Jean Payra. Il siègera à la Chambre des Députés jusqu'en 1919 puis de nouveau de 1924 à 1927, année où il sera élu sénateur. A la déclaration de guerre (3 août 1914), il est caporal. Il est promu sous-lieutenant l'année suivante. Après le conflit mondial, il sera président du Conseil général des Pyrénées-Orientales de 1927 à 1930 et maire de Perpignan de 1929 à 1935. Il décède à Pavillons-sous-Bois en 1954.

Léon Nérel est né à Perpignan en 1855. Il fut maire de sa ville natale durant une année (mai 1911-mai 1912). Il est élu député dans la 1ère circonscription de Perpignan en 1914 (Gauche démocratique). Candidat en 1919, le scrutin de liste avec représentation proportionnelle ne lui permet pas d'être réélu à la Chambre. Il décède à Paris en 1931 à l'âge de 76 ans. 

Pierre Rameil est né à Perpignan en 1878. Il est élu député en 1914 dans la circonscription de Céret (Républicain socialiste). Il restera député des P.-O. jusqu'à son élection comme sénateur en 1930, siège qu'il occupera jusqu'à son décès survenu à Paris en 1936.

Je ne peux finir cet article sans parler d'un autre élu des Pyrénées-Orientales, même s'il n'était pas député entre 1914 et 1919, je veux parler de Jules Pams.

Jules Pams est né à Perpignan en 1852. Député des Pyrénées-Orientales de 1893 à 1905 (Radical socialiste), il est ensuite élu sénateur du dit département, poste qu'il occupera jusqu'en 1930. Il fut président du Conseil Général des P.-O. de 1912 à 1927 et ministre de l'Agriculture de 1911 à 1913. "Dira-t-on qu'ils sont des spécialistes ces parlementaires avertis, (...) les Jules Pams, (...) que l'on voit, durant le septennat de Fallières, détenir des ministères variés ?... Non, sans doute, et leur principal titre, outre l'entregent, la faculté d'assimilation et le talent d'élocution, est de faire partie d'un groupe nécessaire à l'équilibre de la majorité." (1) En 1888, Jules Pams épouse Jeanne, la fille cadette de l'industriel Pierre Bardou-Job. Par cette union, l'amateur d'art allie industrie et politique. Lorsque son beau-père décède en 1892, Jules Pams transforme sa demeure avec l'aide d'un architecte et en fait un des joyaux de Perpignan : l'hôtel Pams. L'escalier en marbre et onyx qui monte vers les salons privés et ceux où se tenaient les réceptions est décoré de peintures de Paul Gervais (photo ci-dessous). Ce peintre qui n'était autre que le fils de la nièce de Jules Pams, fut l'élève de Jean-Léon Gérôme et de Gabriel Ferrier. Connu pour avoir décoré l'hôtel de Paris à Biarritz et le Casino de Monte-Carlo, il a aussi réalisé des affiches publicitaires pour le papier à cigarettes JOB. Lorsque Jeanne Bardou décède en 1916, Jules Pams se remarie deux ans plus tard. Sa seconde épouse vendra l'hôtel à la Ville de Perpignan en 1946. En 1913, lorsqu'il s'agit d'élire un nouveau président de la République en remplacement d'Armand Fallières, Jules Pams se porte candidat. "Ce dernier est un fort aimable homme, très riche et parfaitement inoffensif. Clemenceau se prononce pour lui "parce que, ricane-t-il, c'est le plus bête". (2) C'est finalement Raymond Poincaré, président du Conseil, soutenu entre autres par Aristide Briand, qui l'emporte avec 483 voix contre 269 à Pams, Le président sous la IIIème République était élu par les députés et les sénateurs réunis à Versailles. Jules Pams sera ministre de l'Intérieur entre 1917 et 1920. Il décèdera à Paris en 1930. Il est inhumé dans le cimetière de Port-Vendres (Pyrénées-Orientales).

 

Du 10 mai au 28 juin 1914 jour de l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, il s'écoulera 49 jours. La course à l'abîme commence...

                    

(1) Histoire du Roussillon par Claude Colomer (PUF, 1997)

(2) La France de M. Fallières par Jacques Chastenet (F. Brouty, J. Fayard et Cie, 1949)        

Peintures de Paul Gervais (Hôtel Pams, Perpignan)

Peintures de Paul Gervais (Hôtel Pams, Perpignan)

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25 février 2019 1 25 /02 /février /2019 11:40

Le décor étant planté, Perpignan étant désormais une ville ouverte sur la modernité, les habitants de la ville, je veux dire Perpignan et son peuple, peuvent allègrement fêter la nouvelle année qui commence : l'année 1914. Des événements sont programmés : le passage du tour de France cycliste, le championnat de France de rugby, les élections législatives. D'autres pas. Pour en avoir une petite idée, on pourrait toujours aller consulter Mme d'A* qui se dit "somnambule et voyante" et qui reçoit dans son antre du 38 avenue de la Gare.

 

Jeudi 1er janvier 1914. Ne dit-on pas ? à l'occasion du nouvel an : "Janvier est si joli mois qu'avec grives et mésanges nous tirerons les rois." On peut aussi lire le journal local, L'Indépendant des Pyrénées-Orientales qui parait même le jour de l'An, ou aller écouter la fanfare militaire qui joue dans les jardins publics ou aller au cinéma, au Familia ou au Cinéma-Castillet. Malgré les rumeurs les plus folles qui voudraient faire croire qu'une guerre est imminente, l'ambassadeur de Grande-Bretagne en France déclare : "L'année qui vient de s'écouler a vu se rétablir la paix et tout nous permet d'espérer qu'elle ne sera plus troublée dans l'année qui commence." (1) Tout le monde ne s'appelle pas Mme d'A. En 1914, les films tournés ou projetés sont : Fantômas de Louis Feuillade, Les Mystères de New York de Louis Gasnier et Donald McKenzie, Le Mari de l'Indienne de Cecil B. De Mille ou Charlot garçon de café (1er film) de Charlie Chaplin.

 

Tandis que se construisent à deux pas du Castillet deux immeuble sur les plans de l'architecte Henry Sicart, rue de la Poste (actuelle rue Jeanne d'Arc aux n° 8 et 13), décède à Grenoble, le 27 février 1914, l'ancien député des Pyrénées-Orientales Emile Brousse. Né à Perpignan en 1850, Emile Brousse avait été député (gauche radicale) de la deuxième circonscription de Perpignan de 1881 à 1895 et s'était prononcé, durant ce laps de temps, contre la politique coloniale, contre le ministère Ferry, pour l'abrogation du Concordat, contre le maintien de l'ambassade auprès du pape. Il fut aussi président du Conseil général des P.-O. de 1886 à 1887, de 1891 à 1894 puis de nouveau de 1904 à 1906.

    

A Paris, alors que le journal Le Figaro a publié plusieurs lettres intimes de Joseph Caillaux, ministre des Finances, dont une où il critique toute idée d'impôt sur le revenu qu'il défend pourtant en ce moment à la Chambre, son épouse Henriette tue, le 16 mars, d'un coup de revolver le directeur du dit journal dans son bureau situé au 26 de la rue Drouot (Paris 9è). Le ministre en question se voit dans l'obligation de démissionner. Il se serait pourtant bien vu président du Conseil après les élections législatives qui doivent avoir lieu fin avril et début mai, élections qui ne se dérouleront pas selon le mode de scrutin à la proportionnelle, le Sénat ayant refusé, à la fin du mois de mars, de le voter, alors qu'il avait pourtant été approuvé plusieurs fois par les députés.

 

Le 25 mars, le poète provençal Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature 1904, décède à Maiano (Maillane) dans les Bouches-du-Rhône... oh ! pardon ! Bouco dou Rose, où il était né quatre-vingt-quatre ans plus tôt.  Il avait tissé des liens étroits avec les Catalans et il avait invité les Provençaux à boire "la coupe qui nous vient des Catalans (coupe, cadeau des Catalans à Mistral, ndlr) ; tour à tour buvons ensemble le vin pur de notre plant", comme il l'a écrit dans un poème des Iles d'or (Lis Isclo d'Or) en 1875. Grand défenseur de la langue provençale qu'il déplorait ne plus voir enseignée dans les écoles ("A l'école on t'arrache - le langage de tes aïeux - et l'on achève ton déshonneur - peuple, en te dénaturant."), Mistral s'est battu contre ceux qui jugeaient nécessaire d'annihiler les langues régionales. "En 1898, le ministère Brisson allait jusqu'à menacer de supprimer le traitement des prêtres qui prêcheraient en provençal. (...) Or, tandis que la France était avec l'Espagne à la pointe de la répression linguistique, des pays mieux inspirés, comme l'Empire allemand et le Royaume-Uni reconnaissaient la valeur des langues vernaculaires. C'est ainsi que depuis 1890 l'enseignement se fait, en Irlande, en Ecosse, dans les Hébrides, avec l'aide du Gaélique, et dans le Pays de Galles avec celui du Gallois." (2)

 

Les 26 avril et 10 mai 1914 ont lieu les élections législatives - sous la IIIème République, les députés sont élus pour 4 ans - selon le mode de scrutin uninominal à deux tours. Le département des Pyrénées-Orientales comptait alors - et encore en 2017 - quatre circonscriptions. Le nombre d'inscrits en 1914 est de 64 916. Il y eut 43 127 votants. Abstentions : 21 789. Sont élus dès le premier tour, Victor Dalbiez (radical socialiste) dans la 2ème circonscription de Perpignan et Emmanuel Brousse (gauche démocratique) dans la circonscription de Prades. Il faudra un second tour dans la deuxième circonscription de Perpignan et dans celle de Céret pour voir la victoire de Pierre Rameil (républicain socialiste) et celle de Léon Nérel (gauche démocratique). Le nombre de voix obtenues par les heureux élus par rapport au nombre des inscrits me laisse perplexe... ou plutôt sans voix. Je rappelle qu'en 1914, seuls les hommes âgés de 21 ans et plus pouvaient voter. Emmanuel Brousse est élu dès le premier tour avec 6 462 voix sur 13 230 inscrits. Votants : 8 419 ; abstentions : 4 811 ; bulletins nuls ou voix perdues : 1 882. Elu lui aussi dès le premier tour, le candidat Victor Dalbiez obtient 7 003 voix sur 18 999 inscrits. L'envie ne me manque pas d'écrire (sic). Votants : 11 266 ; abstentions : 7 733 ; bulletins nuls ou voix perdues : 393. Le 18 juin 2017, lors du second tour des élections législatives, le candidat de LREM, Romain Grau a obtenu 8 808 voix alors que le nombre des inscrits dans la circonscription concernée était de 42 979... re (sic) Votants : 16 713 ; suffrages exprimés : 15 124 ; blancs : 1 060 ; nuls : 529. Le candidat du FN, Louis Aliot a obtenu ce même jour 1 267 voix pour 7 889 inscrits. Votants : 2 669 : exprimés : 2 453 ; blancs : 125 ; nuls : 91. Je peux dire qu'à cent ans d'intervalle, ce n'était pas l'enthousiasme dans les urnes. Ce mode de scrutin poserait-il problème ? Pour en revenir à 1914, le second tour voit la victoire de Pierre Rameil dans la circonscription de Céret avec 3 814 voix (Inscrits : 14 045 ; votants : 9 289 ; abstentions : 4 756 ; nuls ou voix perdues : 434). Il bat d'Espie qui était pourtant arrivé en tête au premier tour. Dans la première circonscription de Perpignan, Léon Nérel gagne avec 4 836 voix (inscrits : 18 642 ; votants : 14 153 ; abstentions : 4 489 ; nuls ou voix perdues : 89). Il bat Casteil et Deslinières, ce dernier était arrivé en tête au premier tour, Nérel n'étant que troisième. A la suite des ces élections, Paul Deschanel est réélu président de la Chambre des députés ; il l'a été de 1912 à 1920, jusqu'à son élection à la présidence de la République.

  

Entre les deux tours des législatives - le 1er mai exactement -, décédait Albert Donnezan, archéologue et paléontologue, "inventeur du site du Serrat d'en Vaquer" comme l'indique l'inscription au 5 rue Font-Froide où il a vécu. Pendant les travaux de construction d'un fort destiné à protéger le Roussillon d'une éventuelle attaque espagnole sur une colline proche de Perpignan dite Serrat d'en Vaquer en 1885, un gisement paléontologique comportant des restes de fossiles vertébrés datant du Pliocène est découvert. La collection sera répertoriée par le Professeur Charles Depéret, membre de l'Institut, qui est né à Perpignan (inscription au 2 rue Jean-Jacques Rousseau). Deux jours plus tard, le 3, à Toulouse, l'ASP (qui deviendra l'USAP) est pour la première fois championne de France grâce à sa victoire sur Tarbes, 8 à 7. C'est le jeune Aimé Giral (18 ans) qui en transformant in extremis une pénalité donne la victoire à Perpignan. C'est l'Union athlétique du Collège de Perpignan qui introduisit le rugby à XV dans la cité catalane. Perpignan gagnera d'autres boucliers de Brennus, après la Première guerre mondiale (en 1921 et 1925) et plusieurs fois plus récemment dont la dernière en 2009.

                       

* Connaître le nom complet et exact de celles et ceux qui ont fait bon gré mal gré la petite histoire entre 1914 et 1918 à Perpignan n'apporterait rien de plus au déroulement des événements énoncés au fil de ce chapitre et des suivants.

(1) La France de M. Fallières par Jacques Chastenet de l'Académie française (F. Brouty, J. Fayard et Cie, 1949)  

(2) La vie quotidienne en Provence au temps de Mistral par Pierre Rollet (Librairie Hachette, 1972)

8 rue Jeanne d'Arc, Perpignan

8 rue Jeanne d'Arc, Perpignan

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23 février 2019 6 23 /02 /février /2019 09:25

Du 23 février au 24 mai 2019, les Collections de Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales) présentent une exposition séduisante autour des liens picturaux et intimes tissés par le peintre François Desnoyer (Montauban, 1894-Saint-Cyprien, 1972) et ses modèles :

"Les femmes inspirent le peintre par leur grâce, leur beauté et leur relief magnifiés par un regard esthétique. La vie, la joie, la gaieté sont le coeur de création de son oeuvre, animée par la seule présence de ses modèles dont la chair, le vêtement, le mouvement donnent corps à sa peinture."

L'exposition est ouverte au public du mardi au dimanche de 14 heures à 18 heures.

Collections de Saint-Cyprien, rue Emile Zola, 66750 Saint-Cyprien

François Desnoyer, le peintre et son modèle
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22 février 2019 5 22 /02 /février /2019 09:40

Un intermède. Je m'offre un intermède nez au vent et regard vers le ciel bleu sans nuages de ce mois de février. 18°C à 15 heures. C'est trop, c'est chaud, comme dans une certaine chanson. Y a plus de saisons ma pauv' dame ! Je m'arrête un moment dans le parc de la Pépinière, version XXIème siècle, c'est-à-dire coincé entre un hôtel de police, une voie rapide et sa bretelle de sortie et un pont automobilistique jeté en 1976 sur la Têt pour désengorger un centre ville déjà congestionné. En somme, un paysage de science-fiction. Sur un banc, je repense aux explications du guide et m'évade dans moult réflexions. J'imagine ou j'essaie d'imaginer quel a pu être le parc de la Pépinière au début du siècle précédent, avec ses arbres, cyprès, lauriers, ses haies de buis, ses promeneurs qui flânaient en discourant sur les affaires du temps ou qui seulement le traversaient, vite, pour rejoindre un autre quartier en quête de quelque chose à acheter, à essayer, à échanger. Je regarde ces quelques enfants qui jouent dans un bac à sable et ces adultes qui fixent un quelconque i-phone ou smartphone le regard planté dans des choses virtuelles. Ils ne regardent pas autour d'eux en tout cas. "Caution - Children playground". Il y avait un panneau planté sur le trottoir pour alerter les conducteurs qui devaient là ralentir, être prudents. C'était dans les années 1970 en Angleterre. J'allais cueillir des mûres - blackberry en anglais - dans les parcs avec les enfants de ma famille d'accueil pendant que la mère des dits enfants parlait avec des voisines du quartier. Je parlais mal anglais et ma timidité m'empêchait de parler fort et intelligiblement. "You're a little tweet", me disait-elle souvent, pour m'indiquer qu'elle n'avait pas compris ce que je venais de dire, qu'il me fallait le répéter, que je faisais l'idiot. J'ignorais que, bien des années plus tard, blackberry deviendrait un téléphone et que tweet serait un moyen de communication dont le commun des mortels abuserait, les chefs d'Etat aussi.

 

Quand l'avenue du Maréchal Leclerc s'appelait encore avenue de la Pépinière, mais je vous parle d'un temps que les moins de soixante-quinze ans n'ont pas connu, il y avait côté pair des cafés et sur la rive opposée le parc de la Pépinière qui s'étendait jusqu'au banc sur lequel je suis assis en ce moment. Des cafés, il y en avait beaucoup et leur clientèle était les employés et les clients du marché de gros et de l'abattoir tout proches. Il y avait un café tout en longueur avec une terrasse ensoleillée - appelé Café du Commerce je crois - où il faisait bon boire un Byrrh ou une absinthe. C'était trois décennies avant la loi du 24 septembre 1941 qui régit toujours de nos jours les licences III et IV. Au premier étage de ce Café du Commerce, dans une grande salle éclairée par de larges fenêtres avec vue sur le parc, un pianiste argentin donnait des cours de solfège aux enfants le jeudi après-midi et faisait danser les couples le dimanche. Mais comment s'appelait ce pianiste ? L'ai-je su ? Me l'a-t-on dit ? Hahn peut-être ? Ce nom me vient comme ça, spontanément. Mais Reynaldo Hahn n'était pas argentin ; il était né à Caracas, une ville dont on parle beaucoup en ce moment mais pour d'autres raisons. Il y a toujours un café à cet endroit, ou plutôt un bar à vin. Le pianiste argentin a rangé ses partitions mais on y vient toujours pour déguster différents cépages accompagnés de charcuterie et de fromage. Sur quels airs dansait-on au premier étage ? Sur des valses ? Sur du tango ? Ou bien sur des airs romantiques de Brahms ou de Chopin ? Sur des musiques de Déodat de Séverac ? Dans un coin de la pièce, un gramophone avec pavillon faisait chanter la sublime cantatrice Renée Vidal. Zélia était son nom de scène. La mezzo soprano, native de Perpignan, a fait, à la fin du 19ème siècle, chavirer le coeur des nombreuses personnalités qui à la fin de chaque représentation lui lançaient des fleurs par brassées. Armand Fallières, président de la République de 1906 à 1913, était, dit-on, un de ses plus grands admirateurs. Elle finit sa vie dans le château qu'elle s'était fait construire près d'Ille-sur-Têt au lieu dit La Sybille. Elle y mourut en 1911 et fut inhumée dans un tombeau visible depuis la route qui mène à Bélesta. Dans ma famille, côté maternel, il y eut aussi une cantatrice, soprano je crois. Marie-Jeanne Martin était son nom. Dans les archives familiales, j'ai pu lire, dans un article qui parle d'elle, édité dans La Vie Lilloise (Organe hebdomadaire, mondain, théâtral, artistique, sportif et financier) - j'aime bien quand la finance passe après le théâtre et l'artistique- dans son numéro 35 daté du 28 août 1928 : "Notre gracieuse compatriote vient de se couvrir de lauriers au dernier concours du Conservatoire à Paris en remportant le premier prix de chant, le 2è prix d'opéra, et un premier accessit d'opéra-comique (...) a été engagée à l'Opéra-Comique où elle débutera bientôt dans Louise, sa pièce préférée, qu'elle chante et qu'elle joue, parait-il, avec une ferveur passionnée."

 

A quelques pas du café de l'avenue de la Pépinière, devant le Castillet, le dimanche, on dansait la sardane. En 2019, Perpignan est Capitale de la sardane. Cette ronde autour du soleil, danse sacrée des Catalans, que Max Jacob et Charles Trenet ont si bien mise en vers, sera à l'honneur tout au long de cette année. Le flabiol aussi. Petit par sa taille mais aussi important que les autres instruments de la cobla (faut-il prononcer "cobl" ou "coblaa" ?), de nombreux compositeurs de sardanes ont donné au flabiol - petite flûte à une main au son très aigu - ses lettres de noblesse. Des compositeurs de sardanes, vous n'en connaissez peut-être pas. Je citerai Joan Carreras i Dagas, Bartomeu Vallmajo i Soler et de ce côté-ci des Pyrénées, Max Havart, qui vit le jour à Perpignan en 1924. Deux spécialistes du flabiol, tous deux professeurs au Conservatoire de Perpignan, ont retranscrit des compositions classiques en l'intégrant dans des concerts de musique de chambre. Le flabiol ne se cache plus donc et devient noblement l'égal du violon et du violoncelle. Je ne peux, pour terminer ce court paragraphe sur la sardane, ne pas citer Enric Morera (1865-1942), compositeur de la sardane intitulée Santa Espina, véritable hymne d'une Catalogne qui voudrait être reconnue non plus comme une région mais comme un Etat.

      

Le Conservatoire de Perpignan offre, plusieurs fois par mois aux Perpignanais, des concerts de très grande qualité. Aller écouter des concerts classiques me manquait. Après avoir été un fidèle abonné aux concerts Colonne dans les années 1970 - concerts présentés par Pierre Hiégel - qui m'ont permis d'écouter de grands interprètes comme Yehudi Menuhin, Paul Paray, Maxime Chostakovitch, Michel Béroff, Jean-Philippe Collard, Miyoko Sato, Olivier Messiaen, la trépidante vie parisienne m'a éloigné un certain temps des salles de spectacles. J'avais hâte de revenir à mes loisirs premiers. Le Conservatoire de Perpignan m'a permis de me replonger dans les délices de la musique symphonique et la musique de chambre. Et de me faire connaître deux compositeurs nés à Perpignan : François de Fossa et Ange-Georges Bousquet. Les interprètes, professeurs comme élèves, sont magnifiques. De grand talent. Je repense à ce qu'a dit le guide un peu plus tôt, que la caserne Saint-Martin avait cédé la place à un conservatoire. La musique adoucit les moeurs, dit-on. Le grand violoncelliste Pablo Casals a dit : "La musique, ce merveilleux langage universel compris de tous les hommes, devrait contribuer à les rapprocher." (Vous avez 4 heures !) Je quitte mes pensées. Le soleil rougeoie le ciel. Des dizaines d'oiseaux jaillissent d'un arbre en piaillant ou zinzibulant. Les enfants continuent de jouer dans le bac à sable ; les adultes fixent toujours avidement leurs boîtes connectées à des choses virtuelles.                            

12 avenue du Maréchal Leclerc, Perpignan

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