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21 novembre 2016 1 21 /11 /novembre /2016 09:12

La rue Damrémont, dans le 18ème arrondissement de Paris, d'abord ouverte entre les rues du Poteau et Marcadet en 1858 a été prolongée jusqu'à la rue Joseph de Maistre une dizaine d'années plus tard. D'une longueur de 1 130 mètres, cette rue qui suit en partie le tracé d'une ancienne voie de Montmartre, porte depuis sa création le nom de Damrémont, général d'Empire né en 1783 à Chaumont (Haute-Marne) et mort en 1837 à Constantine (Algérie). Ses rives sont bordées d'immeubles élevés à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle dont beaucoup sont l'œuvre de l'architecte Armand Gauthier dont une rue porte le nom entre les rues Félix Ziem et Eugène Carrière.

Après Félix Ziem - qui avait son atelier rue Lepic et "c'est de là qu'il peindra Venise et sa lagune, dans les feux du soleil couchant" (1) - et Eugène Carrière - peintre qui a fait le portrait d'Alphonse Daudet et de Verlaine -, il ne manque que Renoir pour nous parler de cette rue Damrémont qui a attiré de nombreux artistes : "Quand les quatre étages de la rue de La Rochefoucauld devinrent trop pénibles pour mon père, dont les jambes s'ankylosaient lentement mais sûrement, nous allâmes habiter 43, rue Caulaincourt. Le nouvel appartement était au premier, mais, la maison étant bâtie à flanc de coteau, le derrière correspondait à un quatrième. Nous dominions les toits de la rue Damrémont et retrouvions presque les horizons familiers du Château des Brouillards." (2) L'appartement de Renoir devait aussi dominer les toits d'une rue toute proche qui porte le nom du peintre Steinlen, né à Lausanne et mort à Paris en 1923, qui a produit, entre 1914 et 1918, dix-sept affiches dénonçant l'insoutenable misère des soldats et des civils.

En direction du cimetière Montmartre, à deux pas des bureaux de Orlando Productions (10 rue Damrémont) qui appartiennent au frère cadet de la chanteuse Dalida, se trouve la rue Tourlaque qui elle aussi a attiré de nombreux peintres dont Joan Miro (natif de Barcelone) qui écrit en 1938 : "Je louai un atelier au 22 de la rue Tourlaque, Villa des Fusains, où ont habité Toulouse-Lautrec et André Derain et où Pierre Bonnard a encore son atelier. A cette époque il y avait là Paul Eluard, Max Ernst, un marchand belge de la rue de Seine, Goemans, René Magritte, Arp." (3) 

Le 13 novembre 1947 est décerné à un écrivain français le prix Nobel de littérature "pour son œuvre de grande envergure artistiquement perfectionnée, dans laquelle les problèmes et la condition de l'homme ont été exposés avec autant de franchise courageuse que de perspicacité psychologique". L'Académie suédoise parle là d'André Gide, heureux récipiendaire du prix, et non de celui qui était pressenti pour son attribution : André Malraux. Une plaque apposée sur la façade du 53 de la rue Damrémont rappelle que "Ici est né le 3 novembre 1901 André Malraux écrivain, ministre d'Etat 1959-1969, fondateur du ministère des Affaires culturelles". Celui qui disait : "Il faut faire de l'érotisme une valeur" (*), est décédé il y a quarante ans, le 23 novembre 1976.     

Laissons le mot de la fin à un autre ministre de la Culture : "Dix ans plus tard, j'ai vécu quelques temps au pied de la butte Montmartre, rue Félix-Ziem. (...) En deuxième lieu, l'emplacement de cette petite rue, entre celles de Lamarck et de Damrémont, m'a amené à explorer nuitamment - dans la journée je travaillais à l'Unesco - la butte Montmartre." (4)  

(1) Paris en cartes postales anciennes (Butte Montmartre) par Georges Renoy (Bibliothèque Européenne - Zaltbommel/Pays-Bas, 1973).

(2) Renoir par Jean Renoir (Hachette, 1962).

(3) Extrait du catalogue de l'exposition "Joan Miro 1917-1934 la naissance du monde" (Centre Pompidou, Paris, 2004).   

(4) Adieu, vive clarté..., Jorge Semprun de l'Académie Goncourt (Editions Gallimard, 1998).

(*) Citation mise en exergue sur la brochure du musée de l'érotisme qui se situait sur le boulevard de Clichy et qui a définitivement fermé ses portes le 6 novembre 2016.     

Immeuble des années 30, rue Damrémont (Paris 18ème).

Immeuble des années 30, rue Damrémont (Paris 18ème).

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17 novembre 2016 4 17 /11 /novembre /2016 13:26

Le mois de novembre 1976 a vu la disparition de quatre célébrités : Le sculpteur Alexander Calder (décédé à New York le 11), l'acteur Jean Gabin (à Neuilly-sur-Seine le 15), le photographe Man Ray (à Paris le 18) et l'écrivain et ministre des Affaires culturelles André Malraux (à Créteil le 23).

Il y a quelque part en France, dans une collection particulière, un portrait de Man Ray signé David Hockney. C'est un dessin au crayon fait en 1973, qui représente le peintre-cinémaphotographe, béret sur la tête, lunettes sur le nez. "Man Ray, Inventor, Painter, Poet" (Inventeur, peintre et poète) - comme dit le titre d'une exposition qui lui a été consacrée à New York à l'occasion de son 85ème anniversaire (1975) -, ne regarde pas celui qui le croque. Il a les "yeux du rêveur" comme dit Paul Eluard. 

De son vrai nom EmMANuel RAdnitzkY, il nait à Philadelphie (Etats-Unis) en 1890. Inventeur, il crée le procédé des rayographes qui consiste à réaliser des photographies par empreintes en négatif d'objets usuels. Peintre, il l'est après avoir suivi des cours de dessin au Ferrer Center et avoir découvert des expositions de peinture dans les galeries de la 5ème avenue (New York) dont celle d'Alfred Stieglitz, marchand d'art dont il fait le portrait en 1913. Poète, il collabore à des revues surréalistes et dadaïstes, illustre des recueils de poèmes dont Les Mains libres de Paul Eluard (1937). Il est surtout connu pour avoir été le photographe le plus célèbre du Paris des années 20. Ses modèles photogéniques s'appellent Kiki de Montparnasse, sa compagne dont le "corps aurait inspiré n'importe quel peintre académique" ("La regardant des pieds à la tête, je ne voyais aucun défaut.", dira-t-il) ; Dora Maar, photographe liée aux surréalistes, dont Pablo Picasso tomba amoureux en apercevant "dans mon studio un portrait d'elle que j'avais fait et me supplia de le lui donner" (1936) ; Yvonne Zervos, épouse de l'éditeur et critique d'art Christian Zervos, dont Man Ray photographie les mains peintes par Picasso (1937) ; Meret Oppenheim, créatrice d'objets surréalistes. Mais aussi Max Ernst, André Breton, Antonin Arthaud, Pablo Picasso qu'il photographie pour la première fois dans son atelier de la rue La Boétie en 1922 (Il se lieront d'amitié et se côtoieront régulièrement jusqu'en 1940, date du retour de Man Ray aux Etats-Unis, et passeront plusieurs étés ensemble à Antibes et à Mougins) et Henri Matisse, qu'il estime pour sa contribution à l'art moderne et qu'il photographie en utilisant le verre de ses lunettes ayant oublié son objectif (Ils se verront souvent dans les années 30 dans l'atelier du peintre à Nice).

En juillet 1925, René Crevel dit à propos de Man Ray : "Certains photographes ont imité les peintres et ainsi, de prestidigitateurs sont devenus sources pétrifiantes, et alors qu'ils se croyaient les plus habiles, n'ont point su se servir de ce miroir aux objets dont un Man Ray, par exemple, a obtenu des miracles."

Man Ray est décédé à Paris le 18 novembre 1976.

         

"Man Ray dessine pour être aimé." Paul Eluard

"Man Ray dessine pour être aimé." Paul Eluard

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2 novembre 2016 3 02 /11 /novembre /2016 08:47

En juin 1916, Antonio Machado a 40 ans. "Je suis né à Séville une nuit de juillet 1875, dans le célèbre palais de las Dueñas, situé dans la rue du même nom." (1) Le palais de las Dueñas est un bâtiment du 16ème siècle. Il a pris le nom du monastère de Santa Maria de las Dueñas qui se trouvait à proximité et qui fut démoli en 1868. Propriété de la Maison d'Albe depuis le 17ème siècle, il a été transformé en appartements au 19ème et a reçu depuis de nombreuses têtes couronnées et personnalités célèbres. "Mes souvenirs de la ville natale sont tous d'enfance. (...) Mon adolescence et ma jeunesse sont madrilènes." (1) Antonio Machado écrit ses premiers poèmes en 1898. Au cours de différents séjours à Paris (en 1899 et 1902) il fait la connaissance d'Oscar Wilde, de Jean Moréas, de Ruben Dario, "ce noble poète, qui a écouté les échos du soir et les violons de l'automne en Verlaine" (1). En 1907, il est professeur de français au lycée de Soria. Après le décès de son épouse, survenu prématurément en août 1912, il demande sa mutation et obtient un poste au lycée de Baeza en Andalousie. "Je fus muté à Baeza, où je réside aujourd'hui. Mes passe-temps préférés sont la promenade et la lecture." (1) En juin 1916, Antonio Machado reçoit la visite d'un groupe d'étudiants de l'université de Grenade parmi lesquels se trouve le jeune Federico Garcia Lorca.   

En juin 1916, Federico Garcia Lorca a 18 ans. Il est né à Fuente Vaqueros à 17 kilomètres de Grenade, dans une maison de village - construite en 1880 - comme il en existe tant dans la campagne grenadine. "Toutes les maisons sont les mêmes et avec un même mobilier." (2) Acquise par la Diputacion (conseil général) de Grenade en 1982, elle a été transformée en musée en 1986. Son père est un propriétaire terrien aisé. Il fait ses études primaires auprès de sa mère, ancienne maîtresse d'école. Au début des années 1910, il entre au lycée à Grenade. S'intéressant à la musique, il apprend à jouer de la guitare et du piano. En 1915, il débute des études de lettres et de droit. Du 8 au 16 juin 1916, il entreprend, avec d'autres étudiants de son université, un voyage d'études en Andalousie au cours duquel il rencontre Antonio Machado.

Baeza, au nord-est de Jaén, est une ville aux magnifiques bâtiments Renaissance que l'empereur Charles Quint a traversée en 1526 alors qu'il se rendait à Séville pour convoler avec Isabelle de Portugal. La Porte de Jaén, sur la plaza del Populo est là pour en témoigner. Reconquise sur les Maures en 1227, c'est aux 16è et 17è siècles que la ville s'agrandit et s'embellit. A quelques kilomètres coule le Grand Fleuve (Guad-Al-Quivir). "Le fleuve s'écoule, entre de sombres végétations et de gris oliviers, dans l'allégresse des campagnes de Baeza. Les vignes sont chargées de pampres dorés sur les ceps rouges. Le Guadalquivir, comme un cimetière brisé aux morceaux dispersés, brille et miroite." (1) Le Guadalquivir, qui prend sa source dans la Sierra de Cazorla, à 1600 mètres d'altitude, a une longueur de 670 kilomètres. Le fleuve reçoit les eaux de plusieurs affluents dont le Genil qui coule à Grenade. "Le fleuve Guadalquivir va parmi oranges et olives. Les deux rivières de Grenade (le Genil et le Darro, ndlr) descendent de la neige au blé. (...) Le fleuve Guadalquivir a la barbe grenat. Des rivières de Grenade, l'une pleure, l'autre saigne. (...) Guadalquivir, haute tour et vent dans les orangers. Darro et Genil, tourelles mortes sur les étangs." (3)     

Antonio Machado est la "Galerie de l'âme... L'âme enfant!" (1) : "Machado était grand, dégingandé, et portait un complet froissé luisant aux genoux. Son chapeau melon était toujours poussiéreux. Il donnait l'impression d'être plus désemparé qu'un enfant devant les problèmes de la vie courante, un homme trop innocent, trop sensible, trop gauche, à la manière des érudits, pour survivre. (...) C'était un homme merveilleux." (4)

"Federico Garcia Lorca était le farfadet dissipateur, la joie centrifuge qui recueillait dans son sein le bonheur de vivre et l'irradiait comme une planète. Ingénu et comédien, cosmique et provincial, musicien étonnant, mime parfait, ombrageux et superstitieux, rayonnant et bon garçon, il résumait en quelque sorte les âges de l'Espagne, la floraison populaire; c'était un produit andalou-arabe qui illuminait et parfumait comme un buisson de jasmins la scène entière de cette Espagne hélas! disparue." (5)

Federico Garcia Lorca, qui avait une grande admiration pour la poésie d'Antonio Machado, connaissait par cœur une grande partie de son œuvre. Il avait lu Campos de Castilla (Champs de Castille), recueil de poésies paru en 1912 dont fait partie La Tierra de Alvargonzalez. Antonio Machado dira à un journal de Madrid en 1938 à propos de sa rencontre avec Lorca : "C'était alors un jeune garçon et il faisait une excursion artistique, non en quête de thèmes poétiques, mais de motifs musicaux populaires, car vous savez bien que Lorca était un excellent musicien." (6)

Musicien, compositeur, c'est à Grenade que Garcia Lorca participe, en juin 1922, à un concours de cante jondo. "Vers Grenade, des monts ensoleillés, des monts de soleil et de pierre." (1) Manuel de Falla s'y installe en 1920. Avec Lorca et un groupe d'intellectuels et d'artistes, il organise un concours "dans le but de revendiquer la pureté d'un art en train de mourir". (7) En préambule de ce concours, Lorca donne une conférence le 19 février 1922 au cours de laquelle il parle d'un musicien français, Claude Debussy, qui a merveilleusement évoqué la ville dans La Puerta del Vino (mouvement de habanera qui fait partie du deuxième Livre des Préludes, 1910/1912 - *) et La soirée dans Grenade (dans Estampes, 1903), qui faisait son admiration et celle de Falla. "Et le plus admirable dans tout ça, dit Lorca, est que Debussy, qui bien qu'il ait sérieusement étudié notre cante, ne connaissait pas Grenade."      

Antonio Machado, dans son poème Cante hondo écrit : 

"Je méditais profondément en déroulant

les fils de l'amertume et de la tristesse,

quand à mon oreille parvint,

par la fenêtre de ma chambre, ouverte

sur une chaude nuit d'été,

la plainte d'une copla songeuse,

brisée par les sombres trémolos

des rythmes magiques de la terre. (...)

Et sur la guitare, résonnante et tremblante,

la main en frappant brusquement évoquait

le bruit d'un cercueil qui vient frapper la terre." (1)

"Malheureusement, alors qu'intellectuels et artistes répondaient avec enthousiasme à l'appel de Manuel de Falla, en collaborant activement à son organisation, le peuple, lui, bouda cette manifestation alors qu'il a toujours été dit que le flamenco était la voix du peuple." (7) Le Concours de Cante Jondo sera remporté par El Tenazas, "personnage étrange ayant mené une vie de bohème" (7) qui avait 72 ans et Manolo Caracol qui n'en avait que 12. De son vrai nom Manuel Ortega Juarez, ce dernier "appartenait à une grande famille gitane de grande tradition flamenca. Cantaor exceptionnel qui versa, parfois, dans la chanson flamenquisée, accompagnée d'un orchestre et cela pour des raisons commerciales". (7)

En 1918, Federico Garcia Lorca publiera Impressions et paysages, livre en prose inspiré par ses excursions de juin 1916 en Andalousie et en Castille et en Galice du 15 octobre au 3 novembre 1916. Dans les années 30, Lorca fera jouer La Tierra de Alvargonzalez d'Antonio Machado par sa troupe de la Barraca.

En 1936, Antonio Machado écrira : "Ils ont tué Federico quand la lumière apparaissait. Le peloton de ses bourreaux n'osa le regarder en face. (...) Et mort tomba Federico - du sang au front, du plomb dans les entrailles - ... Apprenez que le crime a eu lieu à Grenade - pauvre Grenade ! -, sa Grenade..." (1)

(*) La Puerta del Vino (14ème siècle), dans l'Alhambra de Grenade, donne accès à l'Alcazaba depuis le Palais de Charles Quint. Elle n'avait pas de fonction défensive.            

(1) Champs de Castille et autres poèmes de Antonio Machado (Editions Gallimard, 1973).

(2) Mon village par Federico Garcia Lorca (Editions Gallimard, 1981).

(3) Poésies en quatre volumes par Federico Garcia Lorca (Editions Gallimard).

(4) La belle vie par John Dos Passos (Mercure de France, 1968).

(5) J'avoue que j'ai vécu par Pablo Neruda (Editions Gallimard, 1975). 

(6) La Tierra de Alvargonzalez par Antonio Machado avec une présentation par Josette et Georges Colomer (Imprimerie Graphic Eclair, 1985).

(7) Guide du Flamenco par Luis Lopez Ruiz (L'Harmattan, 2003).

Poème de Federico Garcia Lorca

Poème de Federico Garcia Lorca

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1 novembre 2016 2 01 /11 /novembre /2016 08:24

"Et ce long sifflement, qui est aussi une plainte... Et personne... Mais dans un coin ignoré, ce personne chante en langue étrangère..." Eugeni d'Ors (Les ports en hiver, 1914)

Le Barcelone de 1916 est une ville qui connait de grandes transformations. Depuis la fin du 19ème siècle, la ville s'agrandit : c'est l'Eixample (expansion en catalan) construite selon le plan géométrique de Ildefons Cerda. De nombreux architectes sont appelés pour bâtir des immeubles le long des nouvelles avenues qui s'étirent du quartier gothique à la colline du Tibidabo : Antonio Gaudi et sa Casa Mila dite "La Pedrera" (1906-1910), Josep Puig i Cadafalch et sa Casa Terrades dite "Casa de les Punxes" (1903-1905), Lluis Domenech i Montaner et son hôpital de Sant Pau (1902-1912) ainsi que son Palau (palais) de la Musica catalana (1905-1908). Si le Parc Güell de Gaudi et le Marché de la Boqueria ont été achevés en 1914, la Sagrada Familia est toujours en construction en 1916 (et ce depuis 1883).  

Barcelone devient, durant les années de conflit mondial, la nouvelle capitale de l'art. La galerie Dalmau, fondée en 1910 par le marchand d'art Josep Dalmau, se trouve au 18 de la carrer de la Portaferrissa, entre la cathédrale et la Rambla. La galerie devient rapidement le point de ralliement des artistes français. Dès sa création, plusieurs expositions y ont été organisées dont une exposition d'art cubiste (du 20 avril au 10 mai 1912) qui présentait des œuvres de Jean Metzinger, Juan Gris, Marcel Duchamp, Fernand Léger et Albert Gleizes. Du 29 avril au 14 mai 1916, une exposition est consacrée aux peintres russes Serge Charchoune et Hélène Grunhoff. Le peintre Albert Gleizes y expose seul pour la première fois du 29 novembre au 12 décembre 1916.

A Barcelone, tous ces artistes retrouvent l'ambiance du Montparnasse d'avant-guerre avec ces bals et ces cafés : cafés des Ramblas, music-halls du Paralelo, bars où l'on écoute du flamenco dans le Raval. La danse est un élément important dans l'œuvre de Gleizes. Parmi la trentaine de pièces exposées à la galerie Dalmau en décembre 1916, œuvres réalisées à New York (Gleizes y a séjourné en 1915) et à Barcelone, on peut y voir "Danseuse espagnole" et "Gitane".

L'Espagne de 1916 est le pays où se produisent les Ballets russes. La troupe de Serge Diaghilev qui vient de s'y réfugier se produit à Madrid, Barcelone et San Sébastian à l'invitation du roi Alphonse XIII, après avoir passé six mois en Suisse en 1915 et après une tournée aux Etats-Unis. Du 19 au 26 août 1916, les Ballets russes sont à San Sébastian, lieu de villégiature du souverain depuis que sa mère, la reine Marie-Christine de Habsbourg (épouse de Alphonse XII), y a fait bâtir le Palais Miramar qui donne sur sa baie en forme de coquille (la bahia de la Concha) et son île de Santa Clara. Au Teatro Victoria Eugenia sont créés deux ballets : Las Meninas d'après le tableau de Velasquez et Kikimora, joli conte pour enfants sur une musique de Anatoli Liadov (décédé en 1914) et chorégraphié par Léonide Massine. On y danse aussi Petrouchka, Le Prince Igor, Les Sylphides. Ces représentations placent San Sébastian dans une situation privilégiée alors que les Ballets russes créaient principalement leurs spectacles à Paris, Londres ou Monte Carlo.

Les artistes n'oublient pas cependant que la guerre fait rage en Europe. Juliette et Albert Gleizes sont informés, durant leur séjour à Barcelone, des nouvelles du front par les journaux français qui leur parviennent chaque jour. Juliette Gleizes écrit :

"Barcelone

exil des ramblas

paseos déserts

Siestes (...)

(le train de Paris apporte chaque matin les journaux de la veille.)"

Le livre de Henri Barbusse, Le feu, remporte le Prix Goncourt en 1916. "C'est aussi à Barcelone que nous lûmes Le feu, dira Juliette Gleizes. Plus encore que sa férocité la monstrueuse imbécillité de la guerre s'étalait en trois cents pages."

"Voilà-t-il pas qu'on voit un Boche, deux Boches, dix Boches, qui sortent de terre - ces diables gris-là ! - et nous font des signes en criant : "Kamarad ! Nous sommes des Alsaciens", qu'i' disent en continuant de sortir de leur Boyau International. (...) Et v'là qu'on travaille chacun de son côté, et même qu'on parle ensemble, parce que c'étaient des Alsaciens. En réalité, i'disaient du mal de la guerre et de leurs officiers. Not' sergent savait bien qu' c'est défendu d'entrer en conversation avec l'ennemi et même on nous a lu qu'il fallait causer avec eux qu'à coup de flingue." (1)

Au début de l'automne 1916, John Dos Passos embarque pour Bordeaux sur l'Espagne malgré les menaces que fait peser la guerre sous-marine. "Les gens informés avaient beau prétendre que les bateaux de la ligne française ne risquaient pas d'être torpillés, parce que la famille impériale autrichienne possédait des actions dans cette compagnie, quatre-vingt passagers n'en avaient pas moins annulé leurs passages au dernier moment." (2) Le jeune homme qui se dirige vers l'Espagne avec des lettres de recommandation obtenues grâce à son père, s'installe à la pension Boston, près de la Puerta del Sol, à Madrid, au moment où Wilson est réélu président des Etats-Unis. "Il trouve tout charmant : la courtoisie espagnole, les veilleurs de nuit à longues capes qui ouvrent les portes des maisons la nuit, le tapage et les fortes odeurs de la ville." (2) C'est ainsi qu'il rencontre Juan Ramon Jiménez et Valle Inclan. Entre deux excursions à Tolède et dans la Sierra de Guadarrama, l'étudiant natif de Chicago sort beaucoup avec ses amis américains comme lui, dont Roland Jackson dit Roly - qui "s'était engagé dans l'artillerie et avait été tué à peine arrivé au front" (2) et Lowell Downes. "Un des agréments de la compagnie de Roly et de Downes était qu'ils aimaient boire. Aucun de mes amis espagnols ne buvait plus d'un verre de vin et beaucoup ne buvaient que de l'eau. Notre meilleure soirée se passa dans une brasserie allemande appelée "El Oro del Rhin". Nous mangeâmes et bûmes beaucoup au dîner puis je les emmenai voir Pastora Imperio. Je l'avais déjà vue. J'estimais que c'était la plus grande danseuse de tous les temps. Nous étions hors de nous. Enfiévrés par le flamenco nous retournâmes à l'Oro del Rhin." (2) Pastora Imperio - dont le nom a été mentionné dans notre article du 26 octobre 2016 - était une danseuse (bailaora) de flamenco, née à Séville en 1889. De son vrai nom, Pastora Rojas Monje, elle était la fille de La Mejorana, elle-même danseuse à la carrière écourtée pour cause de nuptialité, mais qui avait révolutionné "la danse avec son jeu de bras, en les levant beaucoup plus que ce qui s'était toujours fait jusqu'alors". (3) Sa fille l'imita et fut "remarquée par son jeu de bras. Fit connaître plus amplement la danse qui utilise une traîne. Chantait et récitait des poèmes aussi. A gagné sa réputation en dansant le garrotin et la farruca". (3)

Tandis qu'Albert Gleizes exposent ses danseuses à la fin de cette année 1916, Pablo Picasso arrive à Barcelone pour y passer les fêtes de fin d'année avec sa famille. Mais cette apparente tranquillité au pays du flamenco est trompeuse. Le séjour des artistes français dans la péninsule ibérique n'est pas sans risque :

- Le 13 avril 1916, les peintres Robert et Sonia Delaunay, qui vivent au Portugal depuis le début des hostilités, sont accusés d'espionnage en faveur de l'Allemagne par le consulat de France à Porto où Sonia venait chercher un passeport afin de pouvoir se rendre à Barcelone. On les accuse de communiquer avec l'ennemi au moyen de disques colorés (le fameux cubisme orphique cher à Apollinaire). De plus, de la correspondance en allemand est trouvée dans les bagages de Sonia. Il s'agit en réalité de lettres sans importance qu'elle a reçues de ses amis artistes.

- Après l'exposition de décembre 1916 à la galerie Dalmau, le couple Gleizes est dénoncé comme espion. Otto von Watgen, époux de Marie Laurencin, grand buveur et grand bavard avait convaincu un vice-consul qu'il faisait partie du contre-espionnage et mêla même le peintre Francis Picabia à l'affaire. Les Gleizes décident alors de quitter Barcelone pour New York.   

(1) Le feu de Henri Barbusse, prix Goncourt 1916.

(2) La belle vie par John Dos Passos (Mercure de France, 1968).

(3) Guide du flamenco par Luis Lopez Ruiz (L'Harmattan 2003).

Sources :

Catalogue de l'exposition "Albert Gleizes, le cubisme en majesté" au Musée Picasso, Barcelone (2001) et au Musée des Beaux-Arts de Lyon (2001).                        

Barcelone : panorama depuis la colline du Tibidabo.

Barcelone : panorama depuis la colline du Tibidabo.

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31 octobre 2016 1 31 /10 /octobre /2016 15:13

"Il y a désormais un Espagnol qui veut

vivre et commence à vivre,

entre une Espagne qui se meurt

et une autre Espagne qui baille." (Antonio Machado)

L'Espagne de 1916, neutre, connait grâce à ses exportations vers les pays alliés un essor commercial et financier. Malgré cela, des revendications sociales, qui portent en elles les germes de la crise de 1917, se font entendre. La forte inflation n'est pas compensée par l'augmentation des salaires. "Celle-ci est en moyenne de 25% en quatre ans alors que, dans le même temps, les prix augmentent de plus de 60% et les bénéfices des entreprises de 133%." (1) Il y a un "désir de réforme des trois forces sociales les plus importantes du moment : la bourgeoisie (représentée par les industriels catalans), l'armée (avec la constitution de "juntas de defensa" (*) qui s'érigent en véritable groupe de pression) et le prolétariat uni à la petite bourgeoisie (forces syndicales de l'UGT et de la CNT, républicains et socialistes, toujours unis depuis l'alliance électorale de 1909, renouvelée en 1913). (1)

"Oh! toi, Azorin, écoute : L'Espagne veut

surgir, jaillir, toute une Espagne commence !

Va-t-elle se glacer dans l'Espagne qui meurt ?

Va-t-elle s'abîmer dans l'Espagne qui baille ?" (2), écrit Antonio Machado dans son poème - composé à Baeza (Andalousie) en 1913 - intitulé De mon recoin.

En avril 1916, la revue catalane Vell i Nou consacre un article à Marie Laurencin. La muse du Bateau-Lavoir, amie des cubistes - bien qu'elle n'est pas cubiste elle-même -, ex-compagne de Guillaume Apollinaire, s'est réfugiée à Barcelone avec son mari, le peintre allemand Otto von Watgen. La capitale catalane devient durant ces années de guerre la capitale de l'art. En effet, Paris, qui continue d'être bombardé par les zeppelins (°), est trop occupé par ce qui se passe sur le front (L'attaque allemande sur Verdun débute le 21 février 1916). Barcelone est une terre neutre et francophile qui accueille nombre d'artistes français, mais aussi russes (Serge Charchoune et Hélène Grunhoff exposent leurs œuvres à la galerie Dalmau en avril-mai 1916). Des artistes espagnols et sud-américains comme Pablo Gargallo - deux expositions lui sont consacrées à Barcelone en 1916 -, Celso Lagar, Rafael Barradas - natif de Montevideo en Uruguay - qui travaillaient à Paris avant le conflit viennent vivre à Barcelone. La majeure partie des revues d'art catalanes est ouvertement dans le camp des Alliés. Il s'agit pour les Catalans engagés dans un processus de revendication d'autonomie politique et culturelle de suppléer à la domination de Paris - suspendue durant les hostilités - dans le domaine de l'art.

Le 18 mai 1916, est créée au Teatro Lara (Madrid) une comédie en trois actes et un prologue de Jacinto Benavente (Prix Nobel de Littérature 1922) intitulée La Ciudad alegre y confiada (La Ville joyeuse et insouciante), critique impitoyable d'un monde belliqueux et inhumain. Les gouvernants d'une ville sont confrontés à un dilemme : négocier avec la République de Venise ou déclarer la guerre. Finalement ils prennent une décision dans l'indifférence des habitants qui, insouciants, continuent de vaquer à leurs occupations avec la certitude de la sagesse de ceux qui les gouvernent. Durant le conflit mondial, Jacinto Benavente a une attitude ambigüe. Il joue un rôle politique de premier plan à la tête d'un mouvement franchement pro-allemand. Approuvant la neutralité de son pays, il oublie sa sympathie pour tout ce qui est français, ses voyages à Paris - comme en Angleterre alliée de la France - et surtout ce qu'il doit à la culture française et aux auteurs français. Mais il affirme ne pas louer l'Allemagne belliciste de l'empereur Guillaume II mais cette Allemagne qui dès le 19ème siècle a pris la tête des nations en matière de progrès matériels et de prévoyance sociale.

C'est l'époque où le peintre Albert Gleizes et son épouse s'installent à Barcelone. Des journaux comme La Veu de Catalunya (en date du 12 juin 1916) et Vell i Nou (le 30 juin) parlent de Gleizes. Ces articles rappellent que le peintre cubiste n'est pas un inconnu et qu'il a déjà exposé à Barcelone en avril-mai 1912, date à laquelle Josep Maria Junoy a été le premier en Catalogne à publier un ouvrage dont un chapitre est entièrement consacré au cubisme. Les Gleizes, rejoints par Francis Picabia, Marie Laurencin et son mari et la peintre native de Tbilissi (Géorgie) Olga Sacharoff, passent l'été à Tossa de Mar, petit port de pêche dont les rues sont enserrées dans des murailles du 13ème siècle. Là, ils louent un voilier et font des promenades le long de la Costa Brava. Albert Gleizes prépare une exposition qui aura lieu à la galerie Dalmau (carrer de la Portaferrissa, Barcelone) entre le 29 novembre et le 12 décembre 1916.               

(*) En 1916 et 1917.

(°) Le 29 janvier 1916 à dix heures du soir, dix-sept bombes lâchées par un zeppelin font 26 morts et 32 blessés dans le quartier de Ménilmontant ainsi que des dégâts considérables. André Gide note dans son Journal : "Samedi, 29. Je lis un conte de Maupassant (Le Parapluie), lecture coupée par le bruit des (ou du) zeppelin(s). (...) Assez tard nous restons aux aguets. Nuit à peu près blanche..." (Journal, André Gide - Editions Gallimard, 1951). 

(1) Temps de crise et "années folles" - les années 20 en Espagne par Carlos Serrano et Serge Salaün (Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 2002).

(2) Champs de Castille et autres poèmes d'Antonio Machado (Editions Gallimard, 1973).

Sources :

Catalogue de l'exposition "Albert Gleizes, le cubisme en majesté" au Musée Picasso, Barcelone (2001) et au Musée des Beaux-Arts de Lyon (2001).

Tossa de Mar (Costa Brava) où le peintre cubiste Albert Gleizes a passé l'été 1916.

Tossa de Mar (Costa Brava) où le peintre cubiste Albert Gleizes a passé l'été 1916.

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26 octobre 2016 3 26 /10 /octobre /2016 10:30

"Medio planeta en armas contra el teuton milita." ("Une demi-planète en armes milite contre le Teuton.") Antonio Machado

Le 29 janvier 1915, paraît le premier numéro de España. Fondé et dirigé par José Ortega y Gasset - "fils du romancier-homme de presse J. Ortega Munilla (...) cet universitaire madrilène, formé à la philosophie en Allemagne, demeure en étroite relation, en effet, avec le monde de la communication" (1) -, l'hebdomadaire publie dans son neuvième numéro un poème d'Antonio Machado écrit quelques mois plus tôt (à Baeza (Andalousie), le 10 novembre 1914) et intitulé España en paz (L'Espagne en paix) :

"La guerre est barbare, stupide, régressive;

pourquoi sur l'Europe à nouveau cette sanglante rafale

qui fauche l'âme et cette folie agressive ?

Pourquoi l'homme à nouveau de sang se saoule-t-il ?

(...) Eh bien ? Le monde en guerre; l'Espagne seule en paix." (2)

Car, dès juillet 1914, l'Espagne confirme son isolationnisme en matière de politique internationale et proclame sa neutralité même si elle est partagée entre les germanophiles qui se trouvent principalement dans l'aristocratie, l'Etat-major et au Palais royal et les "aliadophiles" chez de nombreux intellectuels.

L'Espagne des années 1910 est un pays de 18,5 millions d'habitants (21,3 millions en 1920). L'espérance de vie à la naissance est de 34,8 ans en 1910 (de 41,2 ans en 1920). Jusqu'en 1910, la population est composée à 66% d'agriculteurs et de pêcheurs. Ce pourcentage tombera à 58,8 en 1920. La population en âge de travailler croît plus vite que la population active ce qui entraîne un excédent de main d'œuvre potentielle qui n'accède pas au travail et par conséquent une forte émigration, notamment vers l'Amérique, avec un pic en 1912. Le conflit mondial arrête ce phénomène qui reprendra au retour de la paix.

Le pays est gouverné par le roi Alphonse XIII et par des ministres dont le premier d'entre eux a pour nom Eduardo Dato du parti conservateur (jusqu'en décembre 1915) puis Alvaro de Figueroa y Torres du parti libéral (jusqu'en avril 1917). Né en 1886, Alphonse XIII est le fils posthume du roi Alphonse XII. Après la régence de sa mère, Marie-Christine de Habsbourg, il accède au trône à sa majorité en 1902. Il fait la connaissance de sa future épouse, petite-fille de la reine Victoria, trois ans plus tard au cours d'un voyage en Angleterre. Victoria Eugénie de Battemberg devient reine d'Espagne à l'âge de dix-neuf ans. Elle est la seconde Britannique à monter sur le trône d'Espagne après Marie Tudor (fille de Henry VIII et de Catherine d'Aragon) au 16ème siècle.

Depuis 1875, subsiste un système politique mis en place par Antonio Canovas del Castillo qui consiste, afin d'éviter des coups d'Etat comme ceux qui ont paralysé les régimes précédents, d'avoir recours à des élections truquées et de maintenir coûte que coûte une alternance organisée par les dirigeants des deux partis dominants, le parti conservateur et le parti libéral. Le fait qu'est déclaré élu à la députation tout candidat qui n'a pas d'adversaire prive de participation aux scrutins une grande partie des électeurs (35% en 1916). Le pouvoir législatif ne contrôle pas le pouvoir exécutif et le parlement est fermé dès qu'un débat gênant pour le gouvernement pourrait avoir lieu.

La capitale, Madrid, est une ville en pleine transformation : la Gran Via, avenue d'une longueur de 1 300 mètres est en construction depuis 1910. Percée en trois tronçons - dont le premier est achevé en 1917 -, elle ne sera terminée qu'après la guerre civile. Des bâtiments conçus par les architectes Antonio Palacios, Pablo Aranda Sanchez, Eduardo Reynals (décédé en 1916), Julio Martinez Zapata sortent de terre sur ses rives.  

Malgré le conflit mondial et les nombreux problèmes économiques qui en résultent pour le pays, c'est dans cette Espagne que vont vivre, travailler, voyager de nombreux artistes souvent venus de France, d'Allemagne, de Russie et qui vont faire connaissance ou y retrouver des intellectuels et artistes espagnols, écrivains, musiciens, peintres.

Le 15 avril 1915 est créé au Teatro Lara (Madrid) un ballet ("gitaneria") de Manuel de Falla en un acte et deux tableaux spécialement écrit pour la danseuse de flamenco Pastora Imperio et qui a pour titre El Amor brujo (L'Amour sorcier). Il conte l'histoire d'une jeune gitane hantée par le fantôme de son défunt mari. C'est alors une œuvre théâtrale chantée et parlée (le compositeur réorchestrera l'œuvre l'année suivante et supprimera les voix) dans laquelle on peut entendre la célèbre Danza del fin del dia communément appelée Danse du Feu.

Le mois suivant (mai 1915), Gertrude Stein - connue pour avoir acheté les premiers Picasso et les premiers Matisse dès le début du 20ème siècle - et son amie Alice Toklas, que les raids des zeppelins sur Paris effraient, quittent la capitale française pour l'Espagne. "Nous décidâmes d'aller nous aussi à Palma et d'oublier un peu la guerre." (3) Après un séjour à Barcelone, elles embarquent pour Majorque où "la vie à Palma était agréable. (...) Au lieu de partir à la fin de l'été nous y séjournâmes jusqu'au printemps suivant". (3) Et en effet, les deux femmes restent aux Baléares jusqu'au printemps 1916 avant de regagner Paris via Madrid. Elles fréquentent la petite communauté anglaise et française présente sur l'île. "L'opinion publique était alors fort divisée dans l'île de Majorque au sujet de la guerre. (...) Le garçon de l'hôtel parlait toujours de l'entrée de l'Espagne dans la guerre aux côtés des Alliés. Il était sûr que l'armée espagnole serait un appoint important pour les Alliés, car elle pouvait marcher plus longtemps avec moins de nourriture que nulle autre armée au monde." (3)

C'est l'époque de la première guerre sous-marine déclenchée par les Allemands. Le 7 mars 1916, Enric Granados est reçu avec tous les honneurs à la Maison Blanche (Washington DC) par le président Woodrow Wilson. Le compositeur est aux Etats-Unis depuis quelques jours pour y diriger au Metropolitan Opera de New York son opéra tiré de ses Goyescas. A la fin du même mois, il embarque avec son épouse à bord d'un bateau qui doit l'emmener en Angleterre. Après un court séjour à Londres, il monte à bord du Sussex qui fait la navette entre Folkestone et Dieppe. C'est au cours de cette traversée que le navire est torpillé par un sous-marin allemand. Le compositeur et son épouse disparaissent au milieu de la Manche.   

 

(1) Histoire de la littérature espagnole par Jacques Beyrie et Robert Jammes (PUF, 1994)

(2) Champs de Castille, Antonio Machado (Editions Gallimard, 1973)

(3) Autobiographie d'Alice Toklas par Gertrude Stein (Editions Gallimard, 1934)

Sources :

- Temps de crise et "années folles", les années 20 en Espagne par Carlos Serrano et Serge Salaün (Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 2002)

- L'Espagne au XXe siècle par Jacques Maurice et Carlos Serrano (Hachette, 1992) 

 

Palma de Mallorca (Iles Baléares) où Gertrude Stein passa l'hiver 1915-16

Palma de Mallorca (Iles Baléares) où Gertrude Stein passa l'hiver 1915-16

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7 octobre 2016 5 07 /10 /octobre /2016 14:16

Le torpillage de navires à bord desquels voyagent des citoyens américains, les attentats ourdis par des diplomates allemands pour détruire sur le sol américain des usines de munitions et de denrées alimentaires à destination des Alliés, le projet d'un soulèvement pour l'indépendance de l'Irlande fomenté pour déstabiliser le Royaume-Uni, les grèves de marins et de dockers organisées par des meneurs à la solde de l'ambassade d'Allemagne à Washington exacerbent les passions patriotiques. La bombe qui, en juillet 1916, tue dix personnes à San Francisco lors d'une parade pour l'entrée en guerre des Etats-Unis provoque une telle fureur que les slogans de la campagne pour l'élection présidentielle de novembre tournent autour de l'intervention ou pas des Etats-Unis dans le conflit. "Si je me souviens bien, j'étais violemment pour Wilson. "Grace à lui, nous ne sommes pas en guerre." (...) C'est la première fois que les femmes votent dans l'Illinois, et on présume qu'elles voteront pour Wilson à cause de son discours en faveur de la paix." (1) C'est avec l'argument démocrate "Il nous a tenus hors de la guerre" que Wilson bat de peu - de 600 000 voix seulement et par 277 grands électeurs contre 254 - le candidat républicain Charles Evans Hughes en novembre 1916, la majorité des Américains ne désirant nullement entrer dans la guerre européenne. "Quant à Woodrow Wilson, ses souvenirs d'enfance sur la guerre de Sécession n'étaient pas faits pour le rendre belliciste. (...) L'envoi d'un corps expéditionnaire en France couterait fatalement la vie à des milliers de jeunes Américains, qui, tous, étaient aussi chers à l'ancien professeur que ses élèves de Princeton." (2) Fidèle à ses convictions, le président américain fait, fin décembre, une nouvelle tentative pour inciter les belligérants à cesser la guerre. "21 décembre : "Mr. Lansing, le secrétaire d'Etat, a fait aujourd'hui une proclamation belliqueuse qui a affolé la Bourse, a causé une semi-panique, presque un krach. Mais, ce soir, Mr. Lansing a corrigé sa déclaration dans un sens plus conservateur. Je ne puis imaginer en vertu de quelle loi de la diplomatie internationale, Mr. Wilson fait cette déclaration aux belligérants parce que le temps n'est pas sûr pour une chose pareille... Les journaux du soir ne parlent que de ça." (1) Le 22 décembre, l'ambassadeur des Etats-Unis à Paris porte à Aristide Briand un message du président Wilson conviant les belligérants à faire connaître leurs buts de guerre, message qui provoque la colère du gouvernement français. "Le 27 (décembre 1916, ndlr), Dedi m'écrit qu'il part pour Washington. (...) Il travaille à une courte critique de la lettre de Monsieur Wilson aux belligérants. C'est une lettre très médiocre et c'est dommage de le voir intervenir juste au moment où les Alliés étaient sur le point de répondre à la communication des Allemands et des Pouvoirs centraux. "Mais ton ami le Président ne se laisse pas guider par les règles du droit international. Il fait ce qui lui plaît. Comme dans le cas du Mexique, tout ce qu'il fait aggrave la guerre au lieu de la combattre. Nous verrons dans six mois." (1)

Même si le parti démocrate a mené campagne sur le slogan "He kept us out of war" ("Grâce à lui, nous ne sommes pas en guerre."), il devient évident que les Etats-Unis ne pourront plus rester neutres bien longtemps. Depuis la présidence de Theodore Roosevelt (1901-1909), les Etats-Unis interviennent de plus en plus dans la politique mondiale et exercent un pouvoir de gendarme du monde dans des situations jugées contraires à ses intérêts nationaux modifiant ainsi la doctrine de James Monroe (président de 1817 à 1825) qui, tout en réaffirmant le principe de neutralité cher à George Washington, stipulait que si les Etats-Unis s'interdisaient désormais de s'immiscer dans les affaires européennes, l'Europe devait s'interdire toute intervention dans les affaires américaines et le continent américain devait rester libre de toute colonisation européenne ("L'Amérique aux Américains" ou l'établissement d'une hégémonie des Etats-Unis sur les trois Amériques). C'est ainsi que Theodore Roosevelt propose sa médiation lors de la guerre russo-japonaise et fait signer à Portsmouth (New Hampshire) un traité qui lui vaut le prix Nobel de la Paix en 1906. En Amérique latine, "il obtient en 1901 la cession des droits britanniques sur le projet de canal de Panama (traité Hay-Pauncefote), et lorsque la Colombie, propriétaire de l'isthme, se révèle trop exigeante à son goût, il crée de toutes pièces, en 1903, un mini-Etat fantoche, Panama, qui loue immédiatement le futur canal (ouvert en 1914) et sa zone aux Etats-Unis pour 99 ans". (3) Les Etats-Unis qui en 1903 s'étaient retirés de Cuba (indépendante depuis 1898) tout en gardant une base navale à Guantanamo, réoccupent l'île en 1906 quand a lieu une insurrection à la suite d'élections contestées. Ils interviennent aussi au Nicaragua à la suite de troubles et le président sortant Taft (battu par Wilson en novembre 1912) justifie clairement, dans son message sur l'état de l'Union en décembre 1912, cette politique interventionniste. Même si Wilson a critiqué cette politique de Roosevelt appelée big stick policy (politique du gros bâton) vis-à-vis de l'Amérique latine, il est amené à intervenir à Haïti, en République Dominicaine et au Mexique. Dans ce dernier pays, Wilson intervient en 1916 lorsque Pancho Villa déclenche une rébellion - qui cause la mort de dix-huit Américains - et conduit des raids contre le Texas et le Nouveau-Mexique. Le général John Pershing, avec une armée de 7 000 hommes, est chargé par le président des Etats-Unis de capturer le rebelle, expédition qui prend fin en février 1917. Pendant ce temps, les Allemands annoncent le début de la guerre sous-marine à outrance et les Etats-Unis interceptent un télégramme en provenance d'Allemagne qui promet au gouvernement mexicain de lui rendre les provinces perdues en 1848 (Texas, Arizona et Nouveau-Mexique) s'il entre en guerre contre les Etats-Unis. Fin janvier 1917, Wilson se fait encore l'avocat devant le Sénat d'une paix sans vainqueurs et sans vaincus mais il sait qu'il ne pourra peser de tout son poids lors du règlement du conflit que si les Etats-Unis y entrent. Le 3 février, les Etats-Unis rompent leurs relations diplomatiques avec l'Allemagne. Le 2 avril, le président Wilson demande au Congrès de déclarer la guerre à l'Allemagne. Le 6, les deux chambres approuvent cette demande à une large majorité - le Sénat par 86 voix contre 6, la Chambre des Représentants par 373 voix contre 50 -, même si les Etats-Unis n'étaient pas préparés au conflit car ils n'avaient pas d'armée permanente et ignoraient la conscription. Les premiers "sammies" débarquent à Saint-Nazaire fin juin. Le 4 juillet, Pershing "descendant d'une famille alsacienne qui s'était installée en Amérique au milieu du XVIIIe siècle, avait vu le jour en 1860 dans un petit village du Missouri" (4) et Stanton fleurissent la tombe de La Fayette au cimetière de Picpus (Paris) mais c'est Stanton qui prononce la célèbre phrase : "La Fayette, nous voilà !"

Le 3 février 1919, Woodrow Wilson, premier président des Etats-Unis à se rendre en Europe dans l'exercice de ses fonctions, prononce devant l'Assemblée Nationale (Paris) le discours suivant : "L'Amérique a payé son tribut de reconnaissance à la France, en envoyant ses fils combattre sur la terre française. L'Amérique fit davantage. Elle a aidé à réunir les forces du monde afin que la France puisse ne plus jamais se retrouver dans l'isolement, afin que la France puisse ne jamais craindre que le péril ne retombe sur elle seule, qu'elle n'ait jamais à se demander : "Qui donc viendrait à mon secours ?"

(1) La belle vie par John Dos Passos (Mercure de France, 1968).

(2) Woodrow Wilson de la guerre à la paix par Gene Smith (1964).

(3) Les Etats-Unis de 1860 à nos jours par Pierre Gervais (Hachette Livre 2001).

(4) Bagatelle par Maurice Denuzière (Jean-Claude Lattès, 1981)

L'Institut Jean Vigo (avec le parrainage du CNC) présente jusqu'au 6 novembre 2016 une exposition d'affiches de cinéma "1892.1929 - l'Affiche invente le cinéma" au couvent des Minimes (rue Rabelais, Perpignan, Pyrénées-Orientales) du mardi au dimanche de 11 heures à 17h30. Entrée gratuite.

Détail d'une affiche de film avec Fatty (1917)

Détail d'une affiche de film avec Fatty (1917)

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5 octobre 2016 3 05 /10 /octobre /2016 16:20

Le 4 mars 1913, c'est sourire aux lèvres que le président nouvellement élu quitte la Maison Blanche en compagnie de son prédécesseur pour le Capitole où doit se tenir la cérémonie d'inauguration de son mandat. Woodrow Wilson, candidat démocrate élu en novembre de l'année précédente, devient le 28ème président des Etats-Unis d'Amérique.

Avocat à Atlanta dans les années 1880 avant d'enseigner le droit constitutionnel, il passe vingt ans à l'université de Princeton dont il est nommé recteur en 1902. C'est là qu'il acquiert sa réputation de défenseur des humbles et des déshérités en souhaitant instaurer une règle selon laquelle étudiants riches et pauvres travailleraient et mangeraient ensemble. Mais devant le refus des clubs et d'une partie des étudiants, il démissionne de son poste avec les honneurs. En 1910, il est investi par le parti démocrate comme candidat au poste de gouverneur de l'Etat du New Jersey. Une fois élu, il mène des réformes "dans le domaine de la santé publique et de l'équipement scolaire, réglementant de façon stricte le travail des femmes et des enfants, combattant la corruption sous toutes ses formes. Le New Jersey avait été le bastion des syndicats patronaux et des politiciens influents. Les uns et les autres furent mis au pas". (1) On peut aussi ajouter que "dans le New Jersey, il avait fait modifier la loi électorale, réprimé la corruption, réorganisé les services publics et rendu obligatoire une assurance contre les accidents du travail." (2)

Deux ans plus tard, à la convention du parti démocrate qui se tient à Baltimore, il est investi comme candidat pour la présidentielle de novembre contre William Jennings Bryan (^). Il doit affronter le président sortant Howard Taft - choisi lors de convention du parti républicain de Chicago en juin 1912 -, l'ancien président Theodore Roosevelt, candidat républicain malchanceux qui se présente sous la bannière du parti progressiste - en octobre, il est blessé par balle au cours d'un meeting dans le Wisconsin - et Eugene Debs, candidat socialiste. Le "ticket" Woodrow Wilson-Thomas Riley Marshall (vice-président) l'emporte à la majorité relative. "Avec 6 286 214 suffrages populaires et les 435 voix des électeurs d'Etat, M. Wilson battait Theodore Roosevelt, arrivé en deuxième position avec 4 216 020 suffrages populaires et 88 voix de grands électeurs." (2) Taft qui n'arrive que troisième, ridiculise le parti républicain.

Sitôt installé à la Maison Blanche, Wilson entreprend une série de réformes. "Après un an d'exercice du pouvoir, il avait accompli une œuvre plus importante que ses prédécesseurs pendant toute la durée de leur mandat : abaissement des tarifs douaniers, création de la Réserve fédérale et de la commission fédérale du Commerce, augmentation des garanties aux droits des travailleurs." (1) "A l'intérieur, son passage à la présidence marque une reprise de la poussée démocratique et une extension de l'activité du gouvernement fédéral : Le 16ème amendement, qui autorise le Congrès à établir un impôt fédéral sur le revenu, assure des ressources accrues au gouvernement de Washington et déplace la frontière des pouvoirs entre les Etats et l'Etat (1913) ; le 17ème, ratifié également en 1913, dispose que les sénateurs, désignés jusque-là à la discrétion des Etats, généralement par les législateurs d'Etat, seront désormais élus au suffrage universel." (3) "Premier Sudiste appelé à conduire le pays depuis la guerre civile, il ne craignait pas de confier des postes importants à ceux que les républicains avaient longtemps écartés, par rancune contre les sécessionnistes." (2)

John R., père de l'écrivain John Dos Passos - avocat d'affaires surnommé le Commodore - qui avait assisté à la convention démocrate de 1912 comme quinze mille autres personnes et qui soutenait plutôt William Jennings Bryan, "se trouvait de plus en plus du côté impopulaire. Il s'opposait au vote des femmes (*) et aux efforts du président Wilson pour établir la journée de huit heures. Il se méfiait du vote au premier degré. Il prononçait des discours et faisait circuler un pamphlet contre l'élection des sénateurs des Etats-Unis par vote populaire, système qui, d'après lui, porterait préjudice à la balance des pouvoirs établis par la Constitution". (4)

Le 6 août 1914, alors qu'en Europe l'Allemagne a déclaré la guerre à la Russie (1er août) et à la France (3 août), la Première Dame des Etats-Unis, Ellen Wilson, décède à la Maison Blanche à l'âge de 50 ans. Epouse de Woodrow Wilson depuis vingt-neuf ans, ils avaient trois filles : Jessica, Margaret et Nelly. Le président se remarie en décembre 1915 avec Edith Bolling Galt (décédée en 1961 à l'âge de 88 ans).

A l'extérieur, "quand éclate la guerre en Europe, le peuple américain est unanime dans sa volonté de rester en dehors du conflit." (3) Le président Wilson et son conseiller, le colonel Edward Mandell House jouent les pacifistes tandis que le secrétaire d'Etat William Jennings Bryan est un pacifiste et un anti-impérialiste convaincu. Le président multiplie les propositions pour mettre fin au conflit, essayant même d'imposer une médiation aux belligérants et sa conception de la paix. Repoussées aussi bien par les Alliés que par les Puissances centrales, Wilson en est personnellement ulcéré. Des événements sur mer et sur le sol même des Etats-Unis vont le conduire à faire entrer son pays dans la guerre. L'Allemagne qui veut impressionner les Etats-Unis, torpille tous les navires qui s'approchent des côtes du Royaume-Uni. En mai 1915, le paquebot britannique Lusitania qui avait quitté New York quelques jours plus tôt avec de nombreux Américains à son bord, est coulé au large de l'Irlande. Trop pacifiste, Bryan démissionne en juin 1915 et est remplacé par Robert Lansing. En juillet, sont découvertes des preuves que l'Allemagne organise des réseaux d'espions et de saboteurs aux Etats-Unis. Au cours de l'année 1916, d'autres navires ayant à leur bord des Américains sont coulés et des explosions et incendies d'usines de munitions travaillant pour les Alliés et de navires prêts à transporter ces munitions vers l'Europe se multiplient. "Ces actes de terrorisme étaient le fait d'agents allemands, comme les grèves fomentées parmi les marins et les dockers par des meneurs à la solde de l'ambassadeur d'Allemagne." (2) Wilson fait alors expulser plusieurs diplomates allemands.

"Quand je reçus mon diplôme de sortie, en 1916, la guerre européenne était la grande préoccupation nationale. Les gars de Teddy Roosevelt réclamaient à grands cris la préparation. La propagande franco-américaine battait le tambour en faveur de l'intervention américaine. Les professeurs perdaient la tête ; la haine de l'Allemand était devenue une manie." (4)

(1) Woodrow Wilson de la guerre à la paix par Gene Smith (1964).

(2) Bagatelle par Maurice Denuzière (Editions Jean-Claude Lattès, 1981).

(3) Histoire des Etats-Unis par René Rémond (Presses universitaires de France, 1959).

(4) La belle vie par John Dos Passos (Mercure de France, 1968).

(^) William Jennings Bryan fut par trois fois le candidat du parti démocrate à la présidence, en 1896 et 1900 - deux fois battu par le républicain Mc Kinley - puis encore en 1908 - battu par le républicain Howard Taft. A la convention démocrate de 1912, il soutient Wilson. Cela lui vaut d'être nommé secrétaire d'Etat dès l'entrée de Wilson à la Maison Blanche. Il le restera jusqu'à sa démission en juin 1915.

(*) Celui-ci ne sera adopté pour tout le pays qu'en 1920. Cependant, les femmes votaient déjà en Californie, Utah, Idaho, Arizona, Oregon et au Kansas.

A Atlanta (Etats-Unis d'Amérique) où Woodrow Wilson exerça comme avocat.

A Atlanta (Etats-Unis d'Amérique) où Woodrow Wilson exerça comme avocat.

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13 septembre 2016 2 13 /09 /septembre /2016 17:33

Au cœur du quartier résidentiel de la Prade, l'impasse Raoul Dufy se trouve à deux pas du parc de la Prade, magnifique lieu de promenade qui offre de belles vues sur le massif des Albères et qui propose autour de ses plans d'eau un parcours sportif et de santé.

Le 10 juin 1940, l'Italie déclare la guerre à la France. Raoul Dufy, atteint de polyarthrite, quitte Nice avec son épouse pour Céret (Pyrénées-Orientales) dont on lui a vanté le climat favorable. Il y rencontre le peintre Albert Marquet, l'écrivain Pierre Camo (*) et Ludovic Massé avec qui il entretiendra un important échange épistolaire. Mais malgré la douceur du climat, l'état de santé du peintre natif du Havre ne s'améliore pas et celui-ci quitte Céret pour Perpignan où il est soigné dans la clinique du docteur Pierre Nicolau qui lui offre ensuite l'hospitalité dans sa demeure de la rue Jeanne-d'Arc. En 1946, il s'installe dans un atelier de la rue de l'Ange dont les fenêtres donnent sur la place Arago. C'est l'époque où il fréquente le violoncelliste Pau Casals, la pianiste Yvonne Lefébure, le marchand d'art Nicolas Karjinsky et reçoit Marcelle Oury (**), mère du cinéaste Gérard Oury, qu'il a connue le 24 juin 1911 lors d'une fête persane "La Mille et deuxième nuit" donnée par Paul Poiret en son hôtel particulier de la rue du Faubourg Saint-Honoré à trois cents invités dont de nombreuses clientes du couturier. Dufy en avait dessiné l'invitation et avait décoré le vélum en bleu et or qui protégeait le jardin de la chaleur du premier jour de l'été. Son séjour à Perpignan - où il reste jusqu'en 1949 - est interrompu par des séjours à Paris, à Barcelone, et par une cure dans la station thermale de Caldes de Montbui en Catalogne... L'année suivante, il s'embarque sur le De Grasse pour les Etats-Unis d'Amérique afin de recevoir les soins du professeur Freddy Homburger à Boston.

En 1946, Raoul Dufy peint une aquarelle sur papier intitulée Nature morte aux poires et aux citrons et y appose en bas la dédicace suivante : "A Marcelle Oury que je retrouve à Perpignan ce 23 février 1946". Son atelier de la rue de l'Ange comporte deux fenêtres entre lesquelles il y a une console de style Louis XV surmontée d'une glace. Le sol est carrelé de tomettes rouges. Une méridienne où s'allongent les modèles du peintres a été placée au centre de la pièce. C'est ce que l'on peut voir dans les œuvres Console jaune aux deux fenêtres (1948), huile sur toile exposée au musée des Beaux-Arts Jules Chéret de Nice, La Console (1946-1949), huile sur toile exposée au musée national d'Art moderne du Centre Pompidou à Paris et Le compotier de pêches à la console. Ce dernier tableau qui a fait partie de la Collection Gérard Oury a été présenté à Paris lors de l'exposition "Raoul Dufy le plaisir" (Musée d'Art moderne de la Ville de Paris du 17 octobre 2008 au 11 janvier 2009). Le catalogue de la vente la Collection Gérard Oury (Artcurial, Paris, 20 avril 2009) nous explique que : "Contrairement à la série des vues de son atelier parisien où pénètre l'espace intérieur, celles de Perpignan évoquent un espace clos, un lieu de réclusion, lié à la période de la guerre d'une part, et surtout à la maladie qui l'empêche de se mouvoir à son gré." On pourrait aussi citer d'autres œuvres de Dufy peintes à Perpignan : Atelier de Perpignan, "La Frileuse" ou "Frileuse", atelier de la rue Jeanne d'Arc (huile sur toile de 1942 exposée au musée d'Art moderne de la Ville de Paris), Atelier de Perpignan, rue Jeanne d'Arc (huile sur toile de 1942 exposée au musée d'Art moderne de la Ville de Paris), L'Atelier de la rue Jeanne d'Arc à Perpignan (huile sur toile de 1943 exposée au musée des Beaux-Arts de Valence).

Alors qu'une grande exposition se tient à la Ny Carlsberg Glyptotek de Copenhague, Raoul Dufy décède à Forcalquier (Alpes de Haute Provence) le 25 mars 1953. Il est inhumé le même jour au cimetière de Cimiez à Nice.

Perpignan a rendu hommage à Raoul Dufy lors d'une exposition au Palais des Rois de Majorque (Raoul Dufy et le Midi) qui a eu lieu du 10 juillet au 3 septembre 1990.

(*) Pierre Camo (1877-1974) a publié deux monographies : Dans l'atelier de Dufy (Paris, Le Portique, 1946) et Raoul Dufy l'enchanteur (Lausanne, Marguerat, 1947)

(**) Marcelle Oury (1894-1980) a publié Lettre à mon peintre, Raoul Dufy (Librairie Académique Perrin, 1965)

Céret (Pyrénées-Orientales)

Céret (Pyrénées-Orientales)

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13 septembre 2016 2 13 /09 /septembre /2016 16:54
Nîmes, ville où Guillaume Apollinaire a été incorporé en décembre 1914.
Nîmes, ville où Guillaume Apollinaire a été incorporé en décembre 1914.

Dans le quartier dit "Le Village", se trouve la rue Guillaume Apollinaire, artère paisible à deux pas de la mairie de Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales).

Le 18 mai 1917 a lieu au théâtre du Châtelet (Paris) la première d'un ballet conçu par Jean Cocteau sur une musique d'Erik Satie, des décors et costumes de Picasso et dont le texte du programme est signé Apollinaire : Parade. Jean Cocteau se rappelle dans Le Rappel à l'ordre des répétitions qui avaient eu lieu à Rome quelques mois plus tôt : "Je n'oublierai jamais l'atelier de Rome. Une petite caisse contenait la maquette de Parade, ses immeubles, ses arbres, sa baraque. Sur une table, en face de la Villa Médicis, Picasso peignait le Chinois, les Managers, l'Américaine, le cheval, dont madame de Noailles écrivit qu'on croirait voir rire un arbre, et les Acrobates bleus comparés par Marcel Proust aux Dioscures." Dans la ville éternelle, Jean Cocteau est descendu à l'Hôtel de Russie et des Iles Britanniques au 9 de la Via del Babuino (*), "rue où vous êtes né", comme l'auteur des Enfants terribles l'écrit à Guillaume Apollinaire (resté à Paris) en mars 1917.

Guillaume de Kostrowitzky (qui signera ses œuvres du nom d'Apollinaire à partir de 1902) est donc né à Rome, dans un immeuble de la Via del Babuino, le 16 août 1880. Cette rue, dominée par la colline du Pincio et qui relie la piazza del Popolo à la piazza di Spagna fait partie de ce quartier qui date du 16ème siècle, formé de trois rues qui partent de la piazza del Popolo : Il Tridente (Le Trident). Le nom de cette rue vient du fait que l'on y découvrit la statue d'un Silène dont les Romains avaient comparé la laideur à celle d'un babouin. Si de nos jours la rue est connue pour ses nombreux antiquaires, s'élèvent sur ses deux rives de beaux palais des 17ème et 18ème siècles dont l'hôtel de Russie - conçu en 1816 par Giuseppe Valadier, architecte et urbaniste préféré des papes Pie VI et Pie VII - qui fut surnommé "l'hôtel des rois" tant il accueillit de têtes couronnées ainsi que l'église anglicane "All Saints" de style néogothique (bâtie dans les années 1880) dont l'abside a été décorée par le peintre Edward Burne-Jones et qui se dresse non loin du lieu où Madame Récamier tenait salon vers 1823 (au n° 65). Le sculpteur italien Antonio Canova y avait son atelier au numéro 150. Propriété de la famille Tadolini jusqu'en 1967 (l'un de ses membres a été l'élève de Canova), c'est maintenant un salon de thé où sont exposées de nombreuses œuvres du sculpteur connu en France pour son Buste de Napoléon exposé au château de Fontainebleau.

"Passent les jours et passent les semaines

Ni temps passé

Ni les amours reviennent

Sous le pont Mirabeau coule la Seine." (1)

Après avoir séjourné à Monaco, Cannes, Nice, Aix-les-Bains et Lyon, le jeune Guillaume s'installe à Paris en 1899 avec sa mère et son frère Albert (de deux ans son cadet). A partir de 1901, il compose et publie ses premiers poèmes et textes en prose. Il passe un an en Allemagne (à partir du mois d'août 1901) comme précepteur et tombe amoureux de la miss anglaise de son élève.

"Adieu faux amour confondu

Avec la femme qui s'éloigne

Avec celle que j'ai perdue

L'année dernière en Allemagne

Et que je ne reverrai plus." (2)

Entre 1903 et 1907, il rencontre André Salmon, Derain, Vlaminck, Max Jacob, Picasso, Marie Laurencin - à qui il dédie son poème Crépuscule -, se fait critique d'art dès 1902 et ne cessera jusqu'à sa mort de montrer son attachement aux expérimentations modernes : Fauvisme, cubisme, orphisme. Il a, au cours d'un voyage de plusieurs mois en Europe centrale (1902), visité les plus grands musées de Berlin, Munich, Prague, Vienne.

"Le mai le joli mai a paré les ruines

De lierre de vigne vierge et de rosiers

Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers

Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes." (3)

Entre 1907 et 1911, il publie deux romans érotiques Les Mémoires d'un jeune don Juan et Les Onze mille verges, La chanson du Mal-aimé, L'Enchanteur pourrissant - illustré de gravures sur bois signées André Derain - et L'Hérésiarque et Cie.

"Je suivis ce mauvais garçon

Qui sifflotait mains dans les poches

Nous semblions entre les maisons

Onde ouverte de la Mer Rouge

Lui les Hébreux moi Pharaon." (2)

Le 13 juillet 1909, il lit un poème pour le mariage d'André Salmon : "L'amour veut qu'aujourd'hui mon ami André Salmon se marie." (4)

En septembre 1911, il est jugé, soupçonné d'avoir été l'instigateur du vol de la Joconde et de diverses statuettes au musée du Louvre. Malgré la plaidoirie de son avocat, maître José Théry, il est incarcéré à la Santé pendant une semaine. A sa libération, le peintre Robert Delaunay l'héberge pendant deux mois de novembre à mi-décembre dans son atelier du 3 rue des Grands-Augustins où avait été installé un lit de fortune. "C'était un plaisir d'avoir Guillaume Apollinaire à table ; il était un gros mangeur qui appréciait les bons petits plats, tout en me racontant sa journée. Souvent, après le dîner, on sortait se promener dans ce beau quartier si calme à cette époque." (5) Il s'installe ensuite dans un appartement - qu'il occupera jusqu'à son décès - au 202 boulevard Saint-Germain.

En 1913, il se rend à Berlin avec Robert Delaunay. Le catalogue de l'exposition des œuvres de ce dernier s'ouvre sur le poème Les Fenêtres. Il publie Les Peintres cubistes. Albert Gleizes, dont Apollinaire parle dans son essai (paru en mars 1913), dit à propos du développement du cubisme que c'était une tentative de retrouver le sens de la "forme" qui avait été perdu par les impressionnistes et que cette tentative avait connu trois étapes : La première, fondée sur le volume (d'où le cube), la deuxième sur une multiplicité de points de fuite (l'image totale) et la troisième sur l'affirmation de la nature réelle de la surface à recouvrir de peinture (la surface plane).

Eté 1914 : L'Allemagne déclare la guerre à la France. Guillaume Apollinaire qui souhaite s'engager (mais qui pour cela doit déposer une demande de naturalisation) est à Nice où il fait, au cours d'un déjeuner dans un restaurant de la vieille ville, la connaissance de Louise de Coligny-Châtillon, jeune femme de trente-trois ans descendante en ligne directe de l'amiral de Coligny. Il remarque immédiatement ses grands et beaux yeux de biche et en tombe amoureux. Avec elle, il excursionne à Menton et à Sospel.

"Il y a des rues étroites à Menton où nous nous sommes aimés

Il y a une petite fille de Sospel qui fouette ses camarades" (7)

Fin 1914, il est incorporé au 38ème régiment d'artillerie de campagne de Nîmes, ville où Lou le rejoint du 7 au 16 décembre. Quand ils ne sont pas ensemble (Apollinaire est envoyé sur les champs de bataille où il sera blessé en mars 1916), ils entretiennent une relation épistolaire qui durera de septembre 1914 à décembre 1916. Mais la belle est fidèle dans l'infidélité et la relation s'effiloche au profit d'une relation avec une jeune fille rencontrée dans un train : Madeleine Pagès.

Fin 1916, Guillaume Apollinaire rencontre Jean Cocteau. "Je l'ai connu en uniforme bleu pâle, le crâne rasé, la tempe marquée d'une cicatrice pareille à l'étoile de mer. Un dispositif de bandes et de cuir lui faisait une manière de turban ou petit casque." (6)

Tandis que Parade fait scandale, Guillaume Apollinaire monte sa pièce Les mamelles de Tirésias qui sera jouée le 24 juin (1917) au théâtre Renée Maubel à Montmartre. Marcel Herrand - qui a récemment débuté chez Antoine -, y joue le rôle du mari, tandis que Max Jacob fait partie des chœurs accompagnés par Niny Guyard au piano, la partition d'orchestre n'ayant pu être exécutée du fait du manque de musiciens en ces temps de guerre. Ce drame en deux actes et un prologue est qualifié par son auteur "d'un néologisme qu'on me pardonnera car cela m'arrive rarement et j'ai forgé l'adjectif surréaliste qui ne signifie pas du tout symbolique comme l'a supposé M. Victor Basch, dans son feuilleton dramatique, mais définit assez bien une tendance de l'art qui si elle n'est pas plus nouvelle que tout ce qui se trouve sous le soleil n'a du moins jamais servi à formuler aucun crédo, aucune affirmation artistique et littéraire". Le qualificatif surréaliste fera florès quelques années plus tard et désignera des peintres, des poètes, des écrivains.

En avril 1918, il publie Calligrammes. En novembre, il décède des suites de la grippe espagnole. "Le matin de l'armistice de 1918, Picasso et Max Jacob étaient venus au 10 de la rue d'Anjou. J'y habitais, chez ma mère. Il me dirent que Guillaume Apollinaire les inquiétait, que la graisse enveloppait son cœur et qu'il fallait téléphoner à Capmas, docteur de mes amis. Nous appelâmes Capmas. Il était trop tard. (...) Le soir, lorsque j'arrivai rejoindre Picasso, Max et André Salmon, boulevard Saint-Germain, ils m'apprirent que Guillaume était mort." (6)

(1) Extrait du poème Le Pont Mirabeau (Alcools, Poèmes 1898-1913, Gallimard, 1913).

(2) Extrait de La chanson du Mal-Aimé (Alcools, 1913).

(3) Extrait du poème Mai (Alcools, 1913).

(4) Extrait du Poème lu au mariage d'André Salmon - le 13 juillet 1909 (Alcools, 1913).

(5) Nous irons jusqu'au soleil, Sonia Delaunay (Editions Robert Laffont, 1978).

(6) Jean Cocteau, La Difficulté d'être (Editions du Rocher, 1983-1989).

(7) Extrait du poème Il y a, Apollinaire, Lettres à Lou (Ed. Gallimard, 1969).

(*) Rue "toujours pleine de femmes de fleurs et d'orgues de barbarie jouant des refrains Espagnols au fond de l'eau." (Jean Cocteau)

Sources :

- Correspondance Jean Cocteau - Guillaume Apollinaire présentée par Pierre Caizergues et Michel Décaudin (jeanmichelplace, 1991).

- Jean Cocteau Romans, poésies, œuvres diverses (La Pochothèque, 2003).

- Lettres à Lou, Apollinaire (Editions Gallimard, 1969).

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