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12 juin 2019 3 12 /06 /juin /2019 08:33

- Trobada gegantera dans les Allées Maillol à Perpignan le samedi 15 juin 2019 dès 17 heures. La Colla gegantera de Perpignan fête cette année ses 30 ans. Pour fêter cet anniversaire, trente couples de géants venus de toute la Catalogne se réuniront à Perpignan aux Allées Maillol. Une déambulation aura lieu dans le centre historique suivie d'une sardane gigantesque dansée par les Gegants sur le parvis du Palais des Congrès. Une ballada de sardanes suivra cette démonstration en collaboration avec la cobla Tres Vents dans le cadre de Perpignan, capitale de la Sardane 2019.

 

- Le dimanche 16 juin 2019 à 18h30, Canticel donnera un concert exceptionnel en la cathédrale d'Elne, à l'endroit même où le duo composé de la contralto Catherine Dagois et de l'organiste Edgar Teufel a, l'hiver dernier, enregistré son 16ème disque chez KNS Classical ainsi qu'un vidéo-clip mêlant Moyen-Age et modernité, une rareté pour des artistes dits "classiques". Au cours de ce récital, de célèbres pièces tel l'Agnus Dei de la Petite Messe Solennelle de Rossini, le Printemps des Quatre Saisons de Vivaldi encadreront l'intégrale de son admirable Stabat Mater. Idéalement composée pour une voix très rare de contralto comme celle de Catherine Dagois, cette oeuvre permet à l'organiste virtuose Edgar Teufel d'offrir une palette sonore d'une grande richesse expressive. Sera également joué un petit joyau composé par E. Teufel : "Douce Lumière".

Entrée : 10 euro au profit de la restauration de l'ensemble cathédrale-cloître d'Elne.

Renseignements sur le site internet de Canticel ou au 04 68 81 36 71

  

- Le Choeur TUTTI CANTI de Saint-Cyprien sous la direction de Eloïse Aymerich donnera le samedi 22 juin 2019 à 20h30 un concert en l'église Saint-Jacques de Canet-en-Roussillon (village) avec la soprano Magali Bourgarel et les 27 musiciens de l'orchestre de Canet.

Entrée libre. Renseignements sur tutticanti66.fr

 

- Le lundi 24 juin 2019 à 20 heures au Conservatoire à Rayonnement Régional Perpignan Méditerranée (rue Foch), l'orchestre d'harmonie du Conservatoire sous la direction de Olivier Sans donnera un concert entièrement consacré à la musique de Michel Legrand : Eté 42, Les Demoiselles de Rochefort, Les Parapluies de Cherbourg..., Rendre hommage à Michel Legrand, disparu le 26 janvier dernier, c'est rendre hommage à un cinéma français - La Nouvelle Vague - auquel il a donné toute sa couleur et son originalité en écrivant des musiques pour Jacques Demy, Agnès Varda, Jean-Luc Godard et tant d'autres.

Entrée libre dans la limite des places disponibles.

  

Concerts en juin
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29 mai 2019 3 29 /05 /mai /2019 09:20
Programme de concerts dans les Pyrénées-Orientales

- L'association Les Amis de François de Fossa vous invite à partager d'émouvants moments, mariant musique et littérature, en hommage à François de Fossa, guitariste-compositeur né à Perpignan, qui s'est éteint un 3 juin mais dont la musique continue à vivre.

Deux guitares, un piano et les mots de la romancière Nicole Yrle, auteure de plusieurs ouvrages sur François de Fossa, animeront ce moment musical et littéraire qui aura lieu chez Delmas Musique, 53 avenue du Général de Gaulle (Perpignan), le lundi 3 juin 2019 à partir de 18h30.

 

- Le samedi 15 juin 2019, l'association Les amis d'Alain Marinaro vous invite à participer à sa 4ème balade culturelle et gourmande en pays Pyrénées-Méditerranée qui se déroulera au Boulou. Les participants se donneront rendez-vous à 9h15 à l'Office de tourisme du Boulou (situé à côté de l'église), puis suivrons M. Stéphane Letellier (guide) pour découvrir le centre historique du village. La vie de Marie-Thérèse Figueur, dite Madame Sans-gêne leur sera contée en relation avec la célèbre bataille du Boulou.

Après une dégustation apéritive à la cave coopérative des vignerons du Vallespir, un repas sera servi au Casino JOA (présentation de la carte nationale d'identité obligatoire) où officie Wesley Durand, toque blanche du Roussillon et ex-bras droit de Jean Plouzennec.

Il y aura ensuite une visite de la Maison de l'Eau et de la Méditerranée (MEM) inaugurée en novembre 2018, imaginée et réalisée par l'architecte Philippe Dubuisson.

A 17 heures, au cinéma du Boulou, aura lieu un concert pianistique (entrée libre) durant lequel Vittorio Forte interprétera des compositions de Carl Philip, Emmanuel Bach, Clémenti, Rachmaninov et Gershwin. Le même concert sera donné le lendemain à 17 heures à la Salle Novelty de Banyuls-sur-Mer (12 euro ; 10 euro pour les adhérents de l'association Les amis d'Alain Marinaro). 

Pour s'inscrire à cette 4ème balade (60 euro ; 50 euro pour les adhérents), merci de contacter Mme Francine Libot au 06 18 00 63 24 ou par mail à francinelibot@orange.fr

 

- Le 12ème Festival de piano de Collioure, toujours organisé par Les amis d'Alain Marinaro aura lieu du 28 juin au 8 juillet 2019 à Collioure mais aussi à Torreilles, Banyuls-sur-Mer et Saint-Cyprien. Au programme,

10 concerts payants (de 5 à 25 euro);

3 séances de concours international pour 9 candidats;

1 master-class de piano de six jours avec 7 stagiaires;

8 moments musicaux gratuits;

1 création mondiale d'oeuvre pianistique en présence du compositeur.

Le programme complet est disponible sur http://www.alainmarinaro.fr/programme

 

- Le jeudi 20 juin 2019, l'association Walter Benjamin Sans Frontières présidée par Jean-Pierre Bonnel vous invite à une conférence qui aura lieu à l'UBU (place Rigaud, Perpignan) qui sera donnée par Clarisse Requena, secrétaire-presse de l'association et qui aura pour thème : Les Gitans, aperçu sur l'histoire, la culture, leur présence dans les arts et la littérature à partir de l'oeuvre de Prosper Mérimée."  

 

 

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2 mai 2019 4 02 /05 /mai /2019 15:42

Novembre 1918, la liesse passée, il fallait bien reprendre ses activités quotidiennes. On dit communément que quand le bâtiment va, tout va. La construction d'immeubles, bien que n'ayant pas vraiment cessé pour cause de guerre, reprendra de plus belle à partir de 1920 et Perpignan ne cessera alors de s'embellir et de s'étendre. Je ne citerai comme exemples que les immeubles édifiés par l'architecte Raoul Castan, l'un au coin de la rue de l'Argenterie et des Trois Journées (1920), l'autre au 12 boulevard Wilson (1923) et celui dessiné par Henry Sicart au 13bis rue Jeanne d'Arc (1922). 1925 est l'année de la construction de la Maison Rouge (41 rue Rabelais), toujours par le même Raoul Castan, sur une partie de l'ancienne enceinte médiévale, bâtiment qui deviendra la maison-atelier du peintre Louis Bausil. Cette année 1925 verra naître des projets ambitieux un peu partout en France. Pour Paris, l'architecte suisse Charles-Edouard Jeanneret alias Le Corbusier imaginera une rive droite de la Seine, face à l'île de la Cité, faite de gratte-ciel de bureaux et d'appartements de soixante étages, ceci pour aérer la ville, les immeubles n'occupant que 15% du sol, le reste étant dévolu aux espaces verts et sportifs. Démolie l'église Saint-Germain l'Auxerrois comme cela avait déjà été envisagé en 1838 afin de prolonger l'actuelle avenue Victoria jusqu'au Louvre; à terre les magasins de la Samaritaine, la Tour Saint-Jacques - ancien clocher de l'église Saint-Jacques-la-Boucherie jusqu'à la démolition de cette dernière en 1797 -, et l'église Saint-Merri qui, au milieu des gratte-ciel, aurait été aussi petite et discrète que certaines églises orthodoxes dans la Bucarest sous l'ère communiste. C'était le "Plan Voisin" qui ne sera pas réalisé. Pour Perpignan, l'architecte et urbaniste Adolphe Dervaux - concepteur de la gare de Rouen et de la Chambre de commerce de Sète - dessinera un nouveau plan avec de larges avenues et de grands carrefours dont l'actuel rond-point des Baléares qu'il imaginait gigantesque et d'où auraient rayonné quatorze rues et boulevards de ceinture - de la place de l'Etoile à Paris ne rayonnent que douze avenues ! - mais c'est surtout pour le quartier du Vernet que l'architecte avait de grands projets avec la construction d'un stade le long de l'avenue Joffre (mais sur sa rive gauche alors que le stade Aimé Giral inauguré dans les années 1940 est sur sa rive droite), un nouvel hôpital donnant sur l'actuelle place de Lancaster, un marché de gros qui quitterait les abords de l'avenue de la Pépinière pour l'emplacement des actuelles HLM Torcatis, etc. Ces projets ne seront pas réalisés hormis l'hôpital civil qui quittera bien les bords de la Basse en 1939 pour laisser place à la poste centrale (que l'on voudrait maintenant transformer en maison de retraite) et s'installer le long de l'avenue du Languedoc et le marché de gros qui quittera le centre ville mais pour s'installer plus loin encore, à Saint-Charles. Par contre, les ponts imaginés par l'architecte pour désengorger la ville seront bien réalisés : le pont Arago aboutissant sur le cours Lazare Escarguel en provenance de Narbonne sera jeté sur la Têt en 1976 et le "Quatrième Pont" qui joint la rue des Coquelicots à l'avenue Emile Roudayre verra le jour mais seulement dans les années 1990. Et sous ces ponts la Têt continue de couler avec ses petits et grands débits qui retiennent sans cesse toute l'attention de Météo France. J'ai déjà parlé dans un chapitre précédent des crues de la Têt et du Tech subies par la population des Pyrénées-Orientales au cours des siècles passés. En octobre 2018 (encore et toujours en octobre !), de fortes précipitations sur des sols déjà très humides faisaient craindre le pire. "Sur Perpignan, (...) les épisodes se sont répétés déjà trois fois avec à la clé, plus de 300 mm de cumul alors que la moyenne des précipitations est de 70 mm sur un mois d'octobre". (1) Le 17 octobre, on relevait sous le pont Joffre un niveau égal à 0,66 m alors que lors de la crue du 10 octobre 2010, le niveau de la Têt à cet endroit était de 1,40 m. La voie sur berge permettant aux automobilistes d'aller de Canet au Soler sans passer par le centre ville sera inondée pendant un jour ou deux. Pas de panique donc pour cette fois !

 

En 1914, la France (le reste du monde aussi) quittait le 19ème siècle et la Belle Epoque ; en 1918, elle entrait dans le 20ème siècle et dans les Années folles. Y a-t-il eu des gens pour dire que c'était mieux avant ? Parents, ne dites jamais à vos enfants que c'était mieux avant parce qu'entendre cette phrase ne leur donnerait certainement pas confiance en l'avenir. J'entends souvent des gens dire que c'était mieux avant. Cette réflexion me laisse pantois et pourtant il faudra bien que j'en dise ici quelque chose avant de clore ce chapitre et cette histoire de Perpignan durant la Première Guerre mondiale. C'était mieux avant ! Mais avant quoi ? et avant quand ? Interrogé sur la Belle Epoque, Jean Cocteau (qui était né en 1889 et qui avait donc 25 ans en 1914) répondit : "Je me demande pourquoi on l'appelle la Belle Epoque. C'était une époque épouvantable." Et d'énumérer des événements qui ne donnent pas envie de l'avoir connue : "... l'incendie du Bazar de la Charité; (...) ce sont les Boers; les premiers camps de concentration; (...) c'est l'affaire Dreyfus, la France déchirée..." (2) La génération dont je suis issu (je ne dirai ni "ma" génération parce qu'elle n'est pas mienne, et je ne dirai pas non plus "de mon temps" parce que le temps est volatile et que je n'ai pas voulu ou pu le retenir et que par conséquent il ne m'appartient pas) n'a pas connu de guerre sur le sol européen fors - hélas! - quelques conflits civils, en Irlande du Nord et en Yougoslavie. Elle a connu la chute de dictatures, en Espagne, au Portugal, en Grèce, dans les années 1970, puis dans les années 1980, la fin des démocraties populaires. On ne peut que s'en féliciter. Je ne vois donc pas comment cela pouvait être mieux avant. Ceux qui disent que c'était mieux avant (avant quand, je ne le sais toujours pas!), avancent comme arguments que c'était plus facile pour trouver du travail que maintenant, plus facile pour se loger que maintenant, que le coût de la vie était moins élevé que "dans le temps", etc. Ces gens-là ont la mémoire courte. Ou ils ont tout oublié. J'imagine des hommes - avec de l'embonpoint si possible - réunis autour d'une table de jeu, suçant leur cigare, se remémorant leur passé glorieux, parlant du bon vieux temps en général et du service militaire en particulier avec moult anecdotes grivoises - cela va de soi - vanter le passé et maugréer contre le présent. Tout allait pour le mieux avant dans le meilleur des mondes. Pourtant, des gens qui comptaient pour ne pas connaître des fins de mois difficiles, il y en avait déjà il y a cinquante ans. Quand j'ai voulu être autonome et gagner un peu de sous, j'eus bien du mal à me frayer un chemin sur le marché du travail. On ne trouvait pas, en 1983, du travail en traversant simplement la rue (pas comme en 2019!). Il fallait éplucher les annonces des journaux, téléphoner, envoyer des CV et autres lettres de motivation et souvent entendre des "on vous écrira". Le profil (quel drôle de mot mais il y en a d'autres comme "chasseur de têtes") ne correspondait jamais au poste proposé et grande était la déception à la lecture des lettres de refus, quand toutefois l'employeur daignait vous répondre. Quant à se loger ! Quand je vois les files d'attente de locataires potentiels et désireux de l'être dans les escaliers d'immeubles que l'on montre à la télé, je repense toujours à Florence (une collègue de travail dont j'ai changé le prénom) qui venant de la Nièvre n'arrivait pas à trouver un logement, même exigu, à Paris en 1984. "Alors Florence, lui demandait la cheffe (à ce moment-là on écrivait "cheffe"?) de bureau, comment s'est passé votre visite hier?" Elle répondait - et cela dura pendant des semaines voire des mois jusqu'à ce que ses parents décident finalement d'investir dans un studio -, qu'il y avait au moins cinquante personnes qui attendaient pour visiter le bien qu'elle aurait aimé occuper. Je ne blâme pas la décennie 80 comme je ne blâme celle des années 2010, C'était mieux avant, disent-ils. Peut-être parce qu'ils avaient 20 ans, la vie devant soi, beaucoup de projets en tête et que la retraite, ils la voyaient loin, loin, loin et à taux plein. Ils ont oublié la chanson que Pierre Perret chantait en 1968 devant un public hilare qui vivait non ses années folles mais ses trente glorieuses et qui ne pensait pas plus loin que le bout de sa joie ; une chanson qui disait quelque chose comme "sa taille est plus mince que la retraite des vieux..." C'était mieux avant! Il est certain qu'il est facile de louer le passé et de craindre l'avenir qui lui est incertain. J'en ai connu qui n'ont pas eu le loisir de penser à l'avenir. Dans les années 1980 et 90, j'en ai vu des collègues tomber comme des mouches et ce n'était, croyez moi, ni à cause de la guerre ni de la grippe espagnole. Je ne voudrais revivre ces années ni pour un coffre-fort empli de pièces d'or ni pour croire quelques secondes que je pourrais rajeunir de vingt-cinq ans. Auriez-vous aimé vivre au 14ème siècle pendant la grande peste ? Au 16ème siècle pendant les guerres de religion ? Au 18ème siècle pendant la Terreur ? Connaître les tranchées, les rats, la boue de la guerre de 14 ? Non, répondrez-vous car de toute façon vous n'étiez pas nés lors de ces événements. Le passé, je l'ai connu; je préfère me tourner vers l'avenir, cela me semble plus excitant. Soit on rebondit, soit on se morfond. A chacun de choisir sa voie.

    

Et la Têt, que pense-t-elle de tout ça ?

                        

(1) Extrait d'un article de L'Indépendant des Pyrénées-Orientales daté du 18 octobre 2018.

(2) Jean Cocteau Portrait souvenir, entretien avec Roger Stéphane (RTF et Librairie Jules Tallandier, 1964) 

 

 

Perpignan en 2050

Perpignan en 2050

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23 avril 2019 2 23 /04 /avril /2019 15:48

Sur invitation du Club Lions International et de la paroisse de la Real (Perpignan), le duo Canticel offrira le dimanche 28 avril 2019 à 15 heures un concert exceptionnel et solidaire au profit du petit Ugo, enfant de 6 ans atteint d'une maladie orpheline, la leucodystrophie, dont l'état de santé nécessite urgemment un fauteuil roulant médicalisé onéreux. 

Ce récital intitulé "Chants à Marie" sera interprété par Catherine Dagois, contralto accompagnée de l'éminent organiste Edgar Teufel, diplômé du prestigieux conservatoire de Stuttgart. Ils interpréteront entre autres des extraits du Stabat Mater de Vivaldi et l'Agnus Dei de la Petite messe solennelle de Rossini. En alternance avec le chant, Edgar Teufel jouera à l'orgue des pièces célèbres comme le Printemps extrait des Quatre Saisons de Vivaldi et la Farandole de Georges Bizet. 

Entrée avec libre participation reversée pour l'achat du fauteuil roulant médicalisé.

Renseignements au 06 07 41 71 84 et sur le site internet de Canticel  

Concert solidaire du duo Canticel à l'église de la Real
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23 avril 2019 2 23 /04 /avril /2019 11:53

"C'est l'invasion du style américain qui commence ; ça promet !" (dixit Misia Edwards en 1916)

 

Qu'elle soit ou qu'elle ne soit pas dite sur le ton de la plaisanterie, cette réflexion est symptomatique du regard que les Français portent sur les Etats-Unis. Car pour ce qui est des relations diplomatiques entre la France et les Etat-Unis, elles relèvent le plus souvent du je t'aime moi non plus. Si la France a bien aidé les Etats-Unis à conquérir leur indépendance, c'était avant tout pour faire la nique aux Anglais. La capitulation de Yorktown, ville jumelée avec Port-Vendres dans les Pyrénées-Orientales, assiégée par l'armée franco-américaine sous les ordres de Washington et de Rochambeau, capitulation donc rendue possible par la victoire navale remportée sur les Anglais dans la baie de Chesapeake, le 5 septembre 1781, par le comte de Grasse, La Fayette, l'Hermione, voilà quelques noms qui fleurent bon la présence française aux Etats-Unis. L'influence française y est encore bien visible : La capitale Washington DC a été construite selon les plans de l'architecte français Pierre Charles L'Enfant, La Nouvelle-Orléans a été fondée en 1718 par Jean-Baptiste Le Moyne, sieur de Bienville, sans parler de toutes ces villes qui portent des noms français comme Lafayette bien sûr (une quarantaine de villes aux Etats-Unis portent ce nom), mais aussi Baton Rouge, Abbeville, Charenton, Maurepas, Fond du Lac, etc. Mais les Etats-Unis seront répertoriés dans la nomenclature du ministère français des Affaires étrangères sous la rubrique des "pays divers" jusqu'en 1909, jusqu'à ce qu'un ancien locataire du Quai d'Orsay dans les années 1894-1898, Gabriel Hanotaux, crée le Comité France-Amérique dont la principale mission était de mettre en lumière auprès des dirigeants français l'importance et l'influence des Etats-Unis dans le monde.           

Au début de l'année 1918, il y eu les Quatorze points expliqués au Congrès américain par le président Wilson afin d'instaurer en Europe une paix durable et de créer un organisme international capable de mettre fin aux conflits qui pourraient avoir lieu parmi ses membres. Quelques mois auparavant, ce président qui gouvernait sur un Etat neutre n'aurait jamais imaginé être au centre des négociations qui aboutiront au traité de Versailles et à la création de la S.D.N.

 

Thomas Woodrow Wilson est né dans l'Etat de Virginie en 1856. Après des études à l'université de Princeton, il devient avocat puis professeur d'histoire et de sciences-politiques. En 1902, il est nommé recteur de l'université où il avait étudié. En 1910, il est élu gouverneur démocrate de l'Etat du New Jersey. Deux ans plus tard, le parti démocrate le désigne comme candidat à l'élection présidentielle du mois de novembre. Profitant de la division du parti républicain qui présente deux candidats, il est élu et entre à la Maison-Blanche le 4 mars 1913 en tant que 28ème président des Etats-Unis d'Amérique. Wilson est alors à la tête d'un pays qui vient de s'enrichir de deux nouveaux Etats : l'Arizona et le Nouveau-Mexique. En août 1914, son épouse meurt à l'âge de cinquante ans des suites d'une mauvaise chute. Elle est inhumée dans l'Etat de Géorgie auprès de ses parents. Wilson se remariera dix-huit mois plus tard avec Edith Bolling Galt. En 1916, Wilson est candidat à sa succession. Cette fois, point de chamaillerie au sein du parti républicain. Il n'y a qu'un candidat et il se nomme Charles Hughes. L'issue du scrutin est indécise. Tous les journaux des Etats-Unis comme ceux de France font imprudemment leur une sur la victoire du candidat républicain. Paul Morand écrivit qu'il fallut "rattraper toute la presse française qui s'était empressée de jeter par la fenêtre le cadavre du "germanophile Wilson", croyant Hughes élu". (1) Le dépouillement des voix dans les Etats de l'Ouest fera la différence. Celui qui avait fait campagne sur le slogan "Il nous a tenus hors de la guerre" était réélu. Germanophile, Wilson ? Disons qu'au début du conflit, il ménageait les descendants d'Allemands venus aux Etats-Unis pour trouver du travail et une vie meilleure. Des observateurs, spécialistes de l'histoire des Etats-Unis du 19ème siècle, s'accordent sur le fait que ces "Allemands" avaient vaillamment combattu durant la guerre de Sécession et que c'est eux qui avaient fait pencher la victoire du côté des Nordistes. Ces descendants d'Allemands vivent principalement dans les Etats du Middle West. Il s'en trouve aussi dans le Sud, en Louisiane et au Texas. En Louisiane, une ville s'appelle même Des Allemands, ville fondée dans la première moitié du 18ème siècle et qui est, de nos jours, la capitale mondiale du poisson-chat (catfish) car elle se trouve dans une zone importante de pêche et aussi de chasse aux canards. Au Texas, Castroville, à quelques miles de San Antonio, a été peuplée d'Alsaciens et de ressortissants du pays voisin de Bade à partir de 1845. Il est à noter que le cinéaste William Wyler qui réalisa Ben-Hur en 1959 est né à Mulhouse en 1902, quand l'Alsace faisait partie de l'empire allemand et qu'il a fait toute sa carrière cinématographique aux Etats-Unis. Mais Wilson aura vite maille à partir avec l'Allemagne dès 1915 et il se trouvera dans l'obligation de mettre fin à sa politique de neutralité. Le torpillage par des sous-marins allemands de paquebots battant pavillon américain ou britannique à bord desquels voyageaient de nombreux citoyens américains, le sabotage d'usines sur le territoire américain, les grèves de marins et de dockers organisées par des meneurs à la solde de l'Allemagne et "last but not least" la découverte du document allemand qui promettait aux Mexicains de recouvrer les territoires perdus en 1848 c'est-à-dire le Texas et le Nouveau-Mexique, forcèrent le président des Etats-Unis à intervenir dans le conflit. En avril 1917, sénateurs et représentants votaient la déclaration de guerre à l'Allemagne. Afin de préparer au mieux l'accueil des soldats américains sur le sol européen et aussi afin de demander des piastres (dollars en langage cajun) pour pouvoir continuer la guerre, le gouvernement français envoya aux Etats-Unis une délégation composée à sa tête de Joseph Joffre promu maréchal en décembre de l'année précédente et de René Viviani, ministre de la Justice du gouvernement Ribot. Tous deux seront reçus par Wilson à la fin du mois d'avril. Viviani prononcera plusieurs discours dont un sur la tombe de George Washington le 3 mai. Après la signature de l'armistice, Wilson s'embarque à New York pour l'Europe. A Paris, il est reçu par Poincaré et Clemenceau. En Angleterre, il fait un pèlerinage sur la terre de ses ancêtres paternels. Puis il se rend en Italie. Il est venu à Paris pour assister à la Conférence de la Paix qui doit élaborer le traité de Versailles. Il restera en France environ six mois hormis un bref retour aux Etats-Unis en février. A Paris, le président américain loge à l'hôtel Murat - sis au 28 de la rue de Monceau - dont le parc à l'époque s'étendait jusqu'à la rue de Courcelles. En la présence de ses interlocuteurs Clemenceau et Lloyd George, Wilson entend bien faire respecter ses Quatorze points et créer "sa" Société des Nations. Mais le président américain va se heurter à l'hostilité des républicains qui ne veulent pas entendre parler d'une organisation qui engagerait leur pays dans un système d'alliances contraire à leurs valeurs. "Isolationism first of course". La SDN est qualifiée par eux d'invention infernale. En novembre, lors des élections de mi-mandat, le Congrès passe aux mains des républicains. Leur chef, Henry Cabot Lodge, qui éprouve pour Wilson une haine implacable, fera tout pour contrecarrer les souhaits du président. Wilson entreprend alors une tournée épuisante à travers les Etats-Unis pour expliquer sa politique en espérant faire basculer le peuple américain en sa faveur et ainsi faire céder le Sénat. Mais affaibli par la maladie, Wilson est obligé d'abréger son périple et de rentrer à Washington. Le Congrès ne ratifiera pas le traité de Versailles en 1920 et refusera d'adhérer à la SDN qui deviendra un petit club franco-anglais. L'Allemagne n'entrera à la SDN qu'en 1926 au grand dam de l'Espagne qui la quittera à ce moment-là pour la réintégrer trois ans plus tard. Les Etats-Unis retourneront alors à leur isolationnisme favori et pour Wilson, la fin de son mandat sera physiquement et politiquement difficile pour ne pas dire lamentable. Lors des élections de 1920, il soutiendra le candidat démocrate James Cox qui forme un "ticket" avec Franklin Delano Roosevelt mais c'est le républicain Warren Harding qui sera élu. Ce même Harding qui, bien qu'en meilleure forme que Wilson, mourra en août 1923 dans l'exercice de ses fonctions, quelques mois avant l'ex-président démocrate (février 1924). En l'espace de six mois, les Etats-Unis enterreront deux présidents. Le vice-président Calvin Coolidge prête aussitôt serment. L'après-guerre sera surtout marquée par une suite sans fin de conférences sur la fixation des réparations et des dettes de guerre. A cause de ces dernières, les relations franco-américaines seront loin d'être au beau fixe. En 1926, on pensera avoir trouvé la solution en élaborant un échelonnement des paiements qui doit courir sur 62 annuités soit jusqu'en 1988 (!) Ce sont les accords Mellon-Béranger. Bien que retiré des affaires depuis six ans, Georges Clemenceau monte alors au créneau et écrit au président des Etats-Unis une lettre sèche et incisive dont le texte a été reproduit dans un livre de l'historien Jean Garrigues. Depuis sa retraire de Saint-Vincent-sur-Jard en Vendée, il écrit : "Venez lire dans nos villages la liste sans fin des morts et comparons si vous voulez ! N'est-ce pas "compte de banque", la force vive de cette jeunesse perdue ?" (2) Sur le Monument aux Morts de Prats-de-Mollo, petite commune fortifiée du Haut-Vallespir à une soixantaine de kilomètres de Perpignan, on peut lire le nom de cent vingts, j'ai bien dit 120 (mais je l'ai déjà dit dans un chapitre précédent), jeunes qui sont morts au champ d'honneur. Le Monument aux Morts de Gustave Violet qui s'élève à l'entrée du square Bir-Hakeim à Perpignan (voir photo ci-dessous) portait, lors de son inauguration en 1924 la mention "Aux 8 400 Roussillonnais morts pour la France", remplacée dans les années 1950 par celle de "Aux morts pour la France". 8 400 Roussillonnais sont donc morts au combat en quatre ans alors que le département des Pyrénées-Orientales comptait en 1911, 212 986 habitants. Perpignan a perdu 1 687 jeunes hommes alors que sa population totale était de 39 510 habitants, toujours en 1911.

 

Comme il paraît qu'en France tout finit par des chansons, ce chapitre finira par de la musique. En novembre 1918, les Français découvraient le jazz amené dans leur paquetage par les soldats américains. (Ils amenaient aussi le Coca Cola.) Même si on ne sait pas exactement quand le jazz est né ni comment ce mot de jazz est apparu, ce style musical envahira la France des années 1920. Aux Etats-Unis, les villes de La Nouvelle-Orléans et de Chicago sont considérées comme étant le berceau du jazz. Le jazz a succédé au ragtime rendu célèbre par le compositeur Scott Joplin décédé en avril 1917, et remis à la mode en 1973 par le réalisateur américain George Roy Hill dans son film intitulé "The Sting" (sorti en France en 1974 sous le titre L'arnaque) avec Robert Redford et Paul Newman. Sur le clavier d'un piano tout droit sorti d'un saloon de Far West, Marvin Hamlisch a joué pour ce film les plus beaux airs de Joplin : Solace, Pine apple rag et bien sûr The Entertainer. L'arrivée du jazz en Europe inspirera à Igor Stravinsky, en 1918, l'écriture de Ragtime pour onze instruments. En 1919, un jeune clarinettiste natif de La Nouvelle-Orléans s'embarque pour l'Europe afin de se produire au sein du Southern Syncopated Orchestra. Ce musicien talentueux est vite remarqué par le public et par Ernest Ansermet - celui-là même qui a dirigé l'orchestre lors des représentations de Parade au théâtre du Châtelet en mai 1917 - qui écrira dans La Revue romande : "Je veux dire le nom de cet artiste de génie, car pour ma part, je ne l'oublierai jamais : c'est Sidney Bechet." Sidney Bechet fera une brillante carrière en France, sur la Côte d'Azur comme à Paris, où il jouera avec d'autres musiciens non moins célèbres comme Claude Luter, Pierre Dervaux (futur président chef-d'orchestre des concerts Colonne) et Mowgli Jospin, demi-frère de l'homme politique français Lionel Jospin. Si je n'ai pas eu l'honneur de voir Sydnet Bechet sur scène à Paris ou dans les rues d'Antibes, j'ai eu le plaisir d'entendre un dimanche sous les arcades de la place des Vosges au début des années 1990, le Jacques Doudelle Jazz Orchestra dans lequel jouait à la batterie Daniel Sidney Bechet, fils de Sidney Bechet né en 1954. A la maison, on écoutait du jazz, principalement Sidney Bechet et Claude Luter, du "New Orleans Revival", et par la suite j'ai élargi ma discothèque avec l'achat de disques de musiciens talentueux comme McCoy Tyner, pianiste dans l'orchestre de John Coltrane, et de saxophonistes comme Stan Getz et Grover Washington Jr. sans oublier la musique de Dexter Gordon dans le film de Bertrand Tavernier Autour de minuit (1986). Le piano de Herbie Hancock, la voix de Bobby McFerrin, la trompette de Chet Baker, le saxophone de Wayne Shorter, les percussions de Tony Williams ont alors enchanté des dizaines de milliers de spectateurs. Paris sera pendant plusieurs décennies une des capitales du jazz avec le Slow Club - rue de Rivoli -, le Petit Journal Montparnasse et le Jazz Club Lionel Hampton à l'hôtel Méridien Etoile. A La Nouvelle-Orléans, "il faut abandonner toute idée préconçue pour chercher le jazz. (...) La meilleure façon de goûter le jazz est de se promener dans la rue, l'oreille à la traîne. Quand on aime ce que l'on entend, on entre, puis on ressort." (3) A Paris, au début des années 1920, il y avait un bar Le Gaya (rue Duphot à deux pas de la Madeleine) "alors, le samedi soir, nous y allions en bande. Nous jouions nous-mêmes du jazz. J'ai moi-même joué. (...) Ensuite Moyzès a découvert un local, rue Boissy-d'Anglas, et il y a transféré son bar. Il m'a demandé d'appeler ce bar Le Boeuf sur le toit." (4) Si on ne sait pas comment le jazz est né en Louisiane, on sait du moins comment il est arrivé en France. Cette France où on continuera de faire jouer des opérettes comme Phi-Phi d'Albert Willemetz, Sollar et Christiné, créée au théâtre des Bouffes-Parisiens le 12 novembre 1918, dont le refrain le plus connu sera repris en choeur par un public en pleine liesse due à la fin de la guerre : "C'est une gamine charmante, charmante, charmante..." Willemetz, décédé en 1964, fut successivement secrétaire de Georges Clemenceau (J'ai lu cela sur le site internet du ministère de la Culture, alors que je croyais qu'il avait été un haut fonctionnaire au ministère des Finances), directeur du théâtre des Bouffes-Parisiens et président de la Sacem. "Elle a vraiment un nom charmant : Aspasie... i... eu."

 

11 novembre 1918. La guerre était finie... ou presque. Les mobilisés rentreront petit à petit chez eux. Je pense souvent à la mine étonnée voire déconfite des enfants en train de jouer, qui aperçoivent soudain un homme sur le pas de la porte de leur maison et qui demandent à leur mère : "C'est qui ce meussieur ?" Et la mère de répondre : "C'est ton père !" Aïe ! Fini de jouer avec les copains, de se comporter en chef de famille, de faire les quatre cents coups en ville, etc. Pour beaucoup, le quotidien cessera d'être vécu sur un air de fox-trot ou de charleston et avec le paternel, de retour du front, en état de dépression avec ses angoisses et ses cauchemars, la vie sera dorénavant rythmée par les tambours et les fifres de la musique militaire. Il faudra marcher au pas. Mais ces jeunes polissons n'auront aucun souci à se faire quant à leur avenir car le paternel est revenu du champ de bataille avec une très bonne nouvelle. Cette guerre, c'était la der des ders.

                   

(1) Journal d'un attaché d'ambassade 1916-1917 par Paul Morand de l'Académie française (Editions Gallimard, 1996) 

(2) Le monde selon Clemenceau par Jean Garrigues (Editions Tallandier, 2014)

(3) La Louisiane aujourd'hui par Michel Tauriac (les éditions j.a., 1986)

(4) Jean Cocteau Portrait souvenir, entretien avec Roger Stéphane (RTF et Librairie Jules Tallandier, 1964)       

L'Allée Maillol et le Monument aux Morts de Gustave Violet (Perpignan)

L'Allée Maillol et le Monument aux Morts de Gustave Violet (Perpignan)

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11 avril 2019 4 11 /04 /avril /2019 09:43

"C'est une personnalité très complexe que celle de Mlle Gertrude Stein. (...) La vivacité de son regard trahit vite, chez elle, l'observateur à qui rien n'échappe." (1) L'amatrice d'art, la collectionneuse née aux Etats-Unis en 1874, achètera l'année même de son installation à Paris en 1904, et ce grâce à l'héritage perçu à la suite de la mort de ses parents, plusieurs tableaux à Ambroise Vollard, des Gauguin, des Cézanne, des Renoir. Au fil des ans, sa collection ne cessera de s'étoffer et son appartement du 58 rue Madame (ouvert à un public averti chaque samedi à partir de 21 heures) puis celui du 27 rue de Fleurus constitueront des galeries d'art à part entière. Y seront accrochés principalement des Matisse, des Picasso, des Maurice Denis, des Renoir, des Braque. La rue Madame et la rue de Fleurus se trouvent dans le 6ème arrondissement. Dans la rue Madame - appelée ainsi en l'honneur de Marie-Joséphine-Louise de Savoie, épouse de Monsieur -, des peintres comme Flandrin et Gaillard y ont vécu au 19ème siècle, précédant ainsi Gertrude Stein de quelques décennies ; dans la rue de Fleurus, à deux pas du jardin du Luxembourg, se trouvait jusqu'à la fin du Second Empire un café que fréquentèrent les peintres Gérôme et Corot. Au début de l'été 1914, Gertrude Stein achète ses premiers tableaux de Juan Gris. Elle et son amie Alice Toklas séjournent en Angleterre quand cette dernière déclare la guerre à l'Allemagne. Elles rentrent à Paris en octobre mais la capitale est bien vide après que beaucoup de ses habitants l'eussent quittée par peur d'une occupation de leur ville par les Allemands. Aussi, les deux femmes quittent Paris au printemps 1915 pour n'y revenir qu'à l'automne 1916 après un séjour à Palma de Majorque et un long périple en Espagne. A leur retour dans un Paris glacial où le charbon manque, les deux amies décident de mener une action en faveur des blessés de guerre. A l'instar de Anne Morgan - fille du banquier américain John Pierpont Morgan - qui à partir de 1917 a oeuvré depuis le château de Blérancourt (Aisne) pour porter assistance aux populations touchées par la guerre, Gertrude Stein et Alice Toklas vont elles aussi se muer en nurses en se mettant au service du "Fonds Américain pour les Blessés Français" - le sigle anglais étant A.F.F.F.W. -, dont le siège se trouvait avenue Gabriel non loin de l'actuelle ambassade des Etats-Unis. Il est à noter que durant la Première guerre mondiale, l'ambassade des Etats-Unis se trouvait au 5 de la rue de Chaillot (16ème arrondissement). Ce n'est qu'en 1933 que la légation s'installera avenue Gabriel après que le Gouvernement des Etats-Unis eût acheté l'hôtel Grimod de la Reynière construit en 1769 pour le faire démolir et faire construire en lieu et place un bâtiment, pastiche du 18ème siècle, par les architectes Delano et Laloux, pendant de l'hôtel du duc de la Vrillière situé au coin des rues de Rivoli et de Saint-Florentin. Après avoir été envoyé à Nîmes, à Perpignan et en Alsace pour une mission de réconfort auprès des soldats, Gertrude Stein et Alice Toklas rentrèrent à Paris en 1918. Après la guerre, Gertrude Stein achètera de nouveau des tableaux à Juan Gris, André Masson, Henri Matisse... Elle quittera la rue de Fleurus en 1938 et emménagera au 5 rue Christine - appelée ainsi en hommage à la fille d'Henri IV et de Marie de Médicis -, toujours dans le 6ème arrondissement, non loin de la rue des Grands-Augustins, où, l'année précédente Picasso peignait Guernica. Elle décédera en 1946 et sera inhumée au cimetière du Père-Lachaise. Une grande exposition intitulée Matisse, Cézanne, Picasso... L'aventure des Stein a eu lieu en 2012 au Grand Palais à Paris avant d'être présentée au Metropolitan Museum of Art à New York.

 

C'est au volant de leur petite Ford directement amenée des Etats-Unis que Gertrude Stein et Alice Toklas traversèrent la France, la Bourgogne, Nîmes, pour arriver à Perpignan au moment où leur pays d'origine s'engageait dans le conflit. Là, elles visitèrent les blessés soignés dans les hôpitaux de la ville et leur remirent des colis offerts par de généreux donateurs américains. Il faisait à Perpignan une chaleur accablante et Gertrude Stein écrira "qu'elle avait été cuite au four comme une gaufre". (2) Cette réflexion de Gertrude Stein à propos du climat que doivent supporter les habitants de Perpignan durant l'été m'a fait repenser à une lettre que j'avais reçue, en 1995, du maire de Lake Charles, ville de Louisiane située entre Lafayette et Houston et jumelée avec Perpignan depuis 1991. Souhaitant alors connaître les raisons qui avaient fait naître ce jumelage - qui depuis deux décennies est au point mort - et avec le souhait secret de développer entre les deux villes une véritable fraternité, j'avais écrit à M. Willie L. Mount alors maire de Lake Charles qui m'avait gentiment répondu quelques semaines plus tard en abordant, entre autres, le climat estival de Perpignan, une délégation louisianaise ayant, peu après la signature de convention du jumelage, passé quelques jours dans la cité catalane. Je reproduis dans le texte un extrait de cette lettre : "Those who have visited Perpignan have commented on the beauty of the ancient walled city and the extensive history of that area. The climate of Perpignan has many similaries to the climate of Lake Charles." Des similitudes avec le climat de Lake Charles, c'est-à-dire un air très humide et des températures qui peuvent atteindre les 104° Fahrenheit (40°C).

 

Au printemps 1917, à Barcelone, les milieux favorables aux Alliés organisaient un Salon des artistes français au Palais des Beaux-arts. La capitale catalane exposait déjà depuis le début de la guerre dans ses nombreuses galeries les artistes français qui s'étaient réfugiés en Espagne comme Albert Gleizes qui avait emménagé dans un immeuble de la carrer Balmes et qui a exposé en décembre 1916 ses oeuvres à la galerie Dalmau à l'époque située au 18 de la carrer Portaferrissa ou le peintre Francis Picabia dont l'appartement donnait sur l'avinguda de la Republica Argentina. Robert et Sonia Delaunay, Marie Laurencin habitèrent aussi à Barcelone durant la guerre. Paris, pendant le conflit, ne pouvait plus concevoir de grandes expositions et de grands Salons (Salon d'automne, Salon des Indépendants...), même si quelques galeristes proposaient de la peinture - c'est en juillet 1916 qu'André Salmon montrera pour la première fois Les Demoiselles d'Avignon de Picasso au public parisien - et Barcelone, en prenant le relais de la capitale française était devenue une grande "capitale de l'art", comme le titrera le journal La Veu de Catalunya en avril 1917. Ce Salon des artistes français fut inauguré le 23 avril. Il présentait plus de mille quatre cents oeuvres allant des impressionnistes au fauves. Le marchand Ambroise Vollard se rendra à Barcelone pour y prononcer deux conférences. Le Museu Nacional d'Art de Catalunya (MNAC) expose encore de nos jours des pièces qui ont été achetées à l'issue de cette exposition. Pour la Barcelone de 1917, il s'agissait non seulement de se substituer à Paris mais aussi de montrer à Madrid qu'elle était capable d'être une véritable capitale culturelle et ainsi être en mesure d'imposer ses revendications politiques. Alors qu'en classe de terminale, le professeur d'histoire nous parlait de la guerre civile espagnole qui était au programme, il nous dit : "Les Catalans veulent l'autonomie pour mieux demander l'indépendance." Nous étions alors en 1979 et une nouvelle constitution venait d'être approuvée en Espagne par référendum. La rivalité entre Madrid et Barcelone ne date pas d'hier. Je pourrais dire sans me tromper qu'elle date du 11 septembre 1714 (le 11 septembre est d'ailleurs un jour férié en Catalogne), jour funeste pour les Catalans qui ce jour-là perdirent leur autonomie. La Première guerre mondiale a exacerbé les tentations indépendantistes face à une Madrid qui hésitait entre aliadophilie et germanophilie. A Barcelone, les milieux intellectuels étaient ouvertement aliadophiles et des journaux comme Iberia qui a paru entre 1915 et 1919 ne cachaient pas leurs opinions catalanistes, libérales et républicaines. Dans les bureaux de la rédaction du dit hebdomadaire situés au 28 carrer Portaferrissa, de nombreuses personnalités célèbres comme celles du journaliste et homme politique Antoni Rovira (décédé à Perpignan en 1949), du romancier et peintre à ses heures, Prudenci Bertrana et du journaliste et poète Josep Maria Junoy ont apposé leurs signatures au bas de ses articles. On pense qu'entre 400 et 800 volontaires catalans combattirent sur le sol français pendant la Première guerre mondiale. En 1917, suivant l'exemple de la révolution russe, la formation de comités d'ouvriers et de soldats en Catalogne et les progrès des idées républicaines pouvait laisser penser qu'une révolution était imminente. Au moment de la signature de l'armistice du 11 novembre 1918, les conseils municipaux de nombreuses villes espagnoles se satisfirent ouvertement de la victoire des Alliés et aux Cortès le député républicain catalan Francesc Macia affirmait "que la Catalogne voulait former une nation libre et indépendante afin que la nationalité catalane puisse faire partie de la Société des Nations*", (SDN) organisme voulu par le président des Etats-Unis Woodrow Wilson. La dictature instaurée par José Antonio Primo de Rivera qui "rit, grogne, s'esclaffe, sourit, parle et recommence. Il n'écoute jamais ses interlocuteurs" (3) - au début des années 1920 empêchera ce désir de se réaliser. La fuite du roi Alphonse XIII à la suite des élections municipales de 1931 fera renaître une lueur d'espoir. Mais le gouvernement de droite réprimera durement les grèves et autres émeutes à travers le pays en 1934. La grève générale qui eut lieu à Barcelone en octobre 1934 fera l'objet d'articles signés Joseph Kessel pour un grand quotidien parisien. L'écrivain, décédé en juillet 1979, obtiendra la permission de rendre visite à Perez Ferras, chef des Mossos d'Esquadra, dans sa cellule de la prison de Montjuich et de l'interviewer avant qu'il ne soit exécuté. A peine deux ans plus tard, la guerre civile et l'accession au pouvoir du caudillo anéantiront pour longtemps toute velléité d'indépendance, voire d'autonomie. Le retour à la démocratie en 1975 et l'adoption d'une nouvelle constitution en 1978 réveilleront les passions et la volonté des Catalans de se détacher de Madrid et de sa politique qualifiée de répressive par Barcelone. Les mots prononcés par le prof d'histoire en 1979 sont toujours d'actualité. Le dernier épisode du bras de fer entre Barcelone et Madrid a eu lieu le 27 octobre 2017 quand les députés du Parlement de Catalogne ont voté en faveur de l'indépendance de la Catalogne et de l'instauration d'une République catalane. J'ai sous les yeux le texte du statut d'autonomie de la Catalogne édité par la Generalitat de Catalunya (dans sa 2ème édition qui date de 1986). L'article 3 alinéa 2 stipule que "la langue catalane est la langue officielle de la Catalogne, de même que le castillan, langue officielle dans tout l'Etat espagnol". L'article 31 relatif au Parlement de Catalogne stipule lui que "les membres du Parlement de Catalogne seront inviolables pour les votes et les opinions qu'ils émettront dans l'exercice de leur charge. Pendant leur mandat, ils ne pourront être arrêtés ou retenus pour des actes délictueux commis sur le territoire de la Catalogne, sauf en cas de flagrant délit, et il appartiendra, en tout cas, à la Cour d'Appel de décider de leur inculpation, prison, arrêt d'accusation et jugement. Hors de ce territoire, la responsabilité pénale pourra leur être exigée dans les mêmes termes devant la Chambre Pénale de la Cour Suprême".

                      

En France, "à partir de l'hiver 1916 et durant l'année 1917, ce sont les permissionnaires qui ne regagnent pas leurs unités de front. On commence même à parler de la nécessité d'engager des négociations avec l'Allemagne et de mettre fin à la guerre, entre autres dans les colonnes d'un nouveau journal, le Cri Catalan, de Victor Dalbiez et Joseph Payrà." (4) "Quantité de divorces. Jusqu'en 1915, il n'y en eut aucun, mais depuis le début de 1916 ils se multiplient. Les bombardements ont lézardé les maisons et disloqué les ménages", écrivit Paul Morand dans son Journal d'un attaché d'ambassade le 21 août 1916. (4) En 1917, la politique de neutralité de l'Espagne est sujette à de âpres discussions à la Chambre. Accueillante envers les Alliés comme envers les Allemands - on ne compte pas moins de quatre-vingt mille ressortissants allemands en Espagne durant la Première guerre mondiale -, les ports espagnols abritent en leur sein de nombreux navires qui pourraient à tout moment bombarder la côte méditerranéenne de la France. Bien que neutre, l'Espagne déplore, en 1917, la perte de trente-quatre vaisseaux coulés par la marine allemande. Le 26 mai 1917, la politique franco-espagnole fait l'objet d'une intervention du député des Pyrénées-Orientales Emmanuel Brousse qui dénonce l'Espagne comme véritable base de ravitaillement des Allemands et où il n'a pas de mots assez durs envers l'ambassadeur de France à Madrid. Le 8 octobre, Paul Morand écrit : " Tant que nos torpilleurs ne croiseront pas dans les eaux espagnoles et ne couleront pas eux-mêmes les bateaux boches, nous n'en sortirons pas." (5)

   

Et pendant ce temps, le 15 juin 1917, était fondée à Perpignan la revue Tramontane - revue nouvelle du Roussillon qui "signale les manifestations de littérature, d'art, de folklore qui intéressent le Roussillon et s'attache à conserver à nos annales le tableau fidèle et complet de la vie intellectuelle régionale". Et dans les salles de cinéma de Perpignan, les films projetés étaient L'Indépendance de la Belgique, film qualifié de grandiose reconstitution historique (janvier 1917), la comédie dramatique en trois actes Fleur de Paris avec Mistinguett, Arsène Lupin - comédie policière - de Leblanc et F. du Croisset avec Gérald Amès (mai 1917) et Andrée de Victorien Sardou avec Francesca Bertini (septembre 1917).

 

* Extrait d'un article de L'Indépendant des Pyrénées-Orientales du lundi 11 novembre 1918.   

(1) Souvenirs d'un marchand de tableaux par Ambroise Vollard (Editions Albin Michel et Les Libraires Associés, Paris 1957)

(2) Autobiographie d'Alice Toklas par Gertrude Stein (Editions Gallimard, 1934)

(3) Vingt ans de suspense diplomatique par Geneviève Tabouis (Editons Albin Michel, 1958) 

(4) Abrégé d'histoire des terres catalanes du nord par Alicia Marcet i Juncosa (Llibres del Trabucaire, 1991)

(5) Journal d'un attaché d'ambassade par Paul Morand de l'Académie française (Editions Gallimard, 1996)

Affiche du Salon des artistes français (Barcelone, printemps 1917)

Affiche du Salon des artistes français (Barcelone, printemps 1917)

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8 avril 2019 1 08 /04 /avril /2019 11:14

"Impossible est un mot que je ne dis jamais." (Collin d'Harleville : 1755-1806)

 

Je déambule dans Perpignan et l'envie me vient tout à coup d'entrer dans la cour Mailly du musée d'Art Hyacinthe Rigaud. Le musée est encore ouvert au public. Il fermera dans une heure. Cela ne fait rien. La fermeture des portes ne me surprendra pas ; elle me laissera indifférent. L'employé aura beau crier que le musée ferme, aura beau insister sur le fait que c'est tout pour aujourd'hui, qu'il faudra revenir demain ou un autre jour pour pouvoir poursuivre la visite, son insistance n'aura pas de prise sur moi. Quand les derniers visiteurs auront franchi le lourd portail d'entrée, je resterai là, avec pour seule compagnie celle des peintres dont les ombres me conteront leur histoire. Me laisser enfermer dans un musée, passer une nuit entière dans un musée, voir des oeuvres exposées sous la faible lueur de quelques ampoules encore restées allumées, voilà qui était pour moi depuis longtemps le summum du fantasme culturel. Et le meilleur moyen étant de céder à une tentation pour s'en libérer, je veux être debout toute une nuit face aux oeuvres quand autour de moi régnera le calme et que le monde sera lové dans les bras de Morphée. Je vivrai dans un monde de silence qui en dira long, un monde de couleurs en noir et blanc, un monde étalé sur plusieurs siècles qui durera seulement une nuit. Je ne dérangerai pas les personnages portraiturés, je ne perturberai ni l'alarme, ni l'agent de sécurité qui somnolera devant ses écrans de contrôle. Je ne ferai pas craquer les parquets, je marcherai sur la pointe des pieds, mes pas ne laisseront pas de traces sur les tommettes et je ressortirai demain, ni vu ni connu, libre, satisfait et comblé par cet intermède ludo-éducatif. Apprendre en s'amusant, tel est le secret pour se constituer une culture générale bien agencée, bien rangée, bien organisée. Depuis que des acteurs ont joué dans "La Nuit au Musée" (film sorti en France en 2007 et dont le titre original est "Night at the Museum"), je voulais aussi vivre ma nuit au musée, mais sans spectateurs, sans témoins, sans que personne autour de moi ne vienne faire de commentaires sur ma - mauvaise - conduite, bref, une nuit sous les étoiles, avec les stars du pinceau, de la palette et du ciseau. 

 

Quand suis-je pour la première fois entré dans un musée ? Je ne pourrais dire la date exacte et c'est sans importance. Un jour que j'étais chez un cousin éloigné déjà assez âgé (mais quand on a douze ans, toute personne plus âgée que soi est forcément vieille) et alors qu'il me parlait d'art en me montrant la toile accrochée au-dessus du buffet de sa salle à manger qu'il avait peinte après avoir posé son chevalet sur la Via Appia dans les années 1930, il me tint à peu près ce langage : "Dis donc petit, à ton âge, il faudrait aller dans des musées !" Lui-même habitait rue Franklin au-dessus du musée Clemenceau. Je ne lui ai jamais demandé s'il avait vu le Tigre sortir de son appartement ou pire s'il l'avait vu se faire tirer dessus le 19 février 1919*. Ambroise Vollard raconte dans ses Souvenirs d'un marchand de tableaux qu'après avoir quitté un ami qui habitait au 8 rue Franklin, il croisa Clemenceau dans le hall de l'immeuble. Cet ami était-il mon cousin éloigné ? Je ne le saurai jamais. Quoi qu'il en soit, il m'emmena sur le champ au musée de la Marine où je le suivis jusqu'aux toiles de Vernet qui montrent les Ports de France au 18ème siècle et au musée national des Monuments français où je pus voir, grandeur nature, les chefs-d'oeuvre de l'art roman. Puis, comme j'aimais les chinoiseries, il me conseilla d'aller au musée Cernuschi et m'encouragea à aller voir une exposition sur la vie quotidienne - peut-être durant la Première guerre mondiale ? - dans un village appelé Minot - en Châtillonnais - au musée national des Arts et traditions populaires. Je dois avouer que voguer au fil de la Rivière enchantée dans le Jardin d'Acclimatation voisin me laissa un meilleur souvenir que cette exposition dont j'ai tout oublié. Le cousin disparu, demeurant seul avec mes buts de promenades, je continuai à aller dans des musées. Toujours les mêmes je dois le dire. Les dimanches après-midi d'hiver, mon petit plaisir était de prendre le métro jusqu'à Châtelet (c'était direct depuis chez moi) de marcher jusqu'au Louvre (à l'époque gratuit le dimanche) dans lequel je pénétrais par l'étroite et presque dérobée porte Denon et d'aller voir les toiles de Hyacinthe Rigaud (à ce moment-là je ne savais pas qu'il était né à Perpignan), le portrait de Louis XIV et celui de Bossuet, celles de Clouet dont le portrait de François Ier m'enchantait, le Louis XIII de Philippe de Champaigne et de passer devant la Victoire de Samothrace et la Vénus de Milo. Les salles où peuvent être admirées de nos jours les toiles de Rigaud - au deuxième étage de la cour Carrée - étaient celles où se visitait le musée de la Marine avant son transfert au Palais de Chaillot en 1937. Après avoir traversé la Cour Napoléon où je me frayais un chemin entre les voitures des visiteurs - à l'endroit même où s'élèvera une douzaine d'années plus tard la Pyramide de Pei -, je marchais jusqu'à Saint-Paul et m'engageais dans la rue de Sévigné jusqu'au musée Carnavalet. Le Marais, en 1975 ou 1976, ne ressemblait en rien au quartier qu'il est aujourd'hui. Le dimanche après-midi, surtout l'hiver, les rues étaient vides et les magasins fermés. Le Centre Pompidou était en construction, le musée Picasso n'existait pas, le musée Cognacq-Jay se trouvait encore sur le boulevard des Capucines à deux pas de l'Opéra et le musée consacré à l'histoire de Paris n'avait pas encore investi l'hôtel Saint-Fargeau même si au début des années 1960, il était déjà prévu de déménager la bibliothèque de la Ville de Paris vers l'hôtel de Lamoignon - rue Pavée - pour faire de cet hôtel sis au 29 de la rue de Sévigné une extension du musée Carnavalet. L'extension en question ne sera inaugurée qu'à la fin des années 1980. Si j'en avais encore le temps car en février les jours sont courts et si je ne devais pas rentrer assez tôt pour réviser une leçon ou finir une quelconque rédaction, je marchais jusqu'à la place des Vosges et l'immeuble que Victor Hugo avait occupé sous le règne de Louis-Philippe. Victor Hugo y a son musée ; pas Théophile Gautier qui pourtant habitait à côté (au 8, Victor Hugo habitant au 6). La plaque indiquant que Gautier avait vécu là me paraissait un hommage bien mince, bien ingrat, bien injuste au regard de la hauteur de l'immeuble voisin où Hugo vivait avec sa famille et ses amours collatérales.

 

Puis des musées, j'en visitai en Europe lors de mon "Grand Tour" effectué en 1979. A l'instar des jeunes aristocrates anglais du 18ème siècle, je fis le tour de l'Europe mais moins luxueusement qu'eux, les quelques sous que j'avais gagnés durant l'été ne me permettant pas de descendre dans des palaces et de voyager en première classe. Je dormais - souvent - dans les trains et finissais - de temps en temps - la nuit dans les salles d'attente des gares ou sur des bancs au bord des quais. Mais la satisfaction de voir dans des musées des oeuvres différentes de celles que j'avais vues à Paris me faisait oublier la fatigue de la nuit et les dizaines de kilomètres parcourus à pied dans les villes car je ne prenais jamais ni métro ni bus. Voir des oeuvres différentes de celles accrochées à Paris ? Quoique ! C'est à Copenhague que je vis pour la première fois Le Baiser de Rodin et au musée des Beaux-arts de Tournai Argenteuil d'Edouard Manet. Certains de ces musées m'ont laissé un souvenir impérissable comme la Galerie des Offices à Florence avec le Printemps de Botticelli, le musée National de Tarente qui présente tous les trésors de la Grande Grèce, le musée National Germanique de Nuremberg, le musée Focke de Brême, le musée néerlandais de la Céramique de Leeuwarden (l'amateur de céramique chinoise que j'étais ne pouvait être qu'en admiration devant les pièces exposées) et comme un "Grand Tour" digne de ce nom ne pouvait pas ne pas passer par Rome, les Musées du Vatican avec la Chapelle Sixtine - non encore restaurée à l'époque - et les "Chambres" de Raphaël. 1979, quelle année ! Si les historiens s'accordent pour dire que le 20ème siècle a commencé en 1914, je pense que le 21ème siècle a commencé en 1979. On a commencé cette année-là de parler de sujets dont on parle encore aujourd'hui, la désindustrialisation de la France, l'élection des députés européens au suffrage universel, la mal bouffe, l'Iran, l'Afghanistan. Le sujet que je choisis lors de l'épreuve de philosophie au baccalauréat était : "Une société sans religion est-elle possible ?" Je ne sais plus ce que je mis dans la copie mais je sais ce que maintenant j'y écrirais. 1979 est aussi l'année où fut inauguré à Perpignan le nouveau musée Rigaud dans lequel personne ne sait que je passe en ce moment la nuit, le 9 juillet 1979 précisément quand Madame Valéry Giscard d'Estaing est venue couper le cordon tricolore en compagnie du maire de l'époque, Paul Alduy et de l'adjoint à la Culture, le docteur Bernard Nicolau. Le lendemain, la première dame - mais qui est donc la deuxième, la troisième, la quatrième ? - inaugurait une exposition collective de la tisserande belge Yvette Cauquil Prince, du peintre espagnol Fernando San Martin Felez, dit S.M. Felez et de la sculptrice britannique Patricia Rowland au musée d'Art moderne de Céret. Certes je voyais des oeuvres que je ne voyais pas à Paris. Pourtant la similitude est partout et nulle part, l'Europe étant multiple et une, les artistes ayant beaucoup voyagé même si les moyens de transports n'étaient pas aussi confortables et rapides que maintenant. Rubens né en Allemagne a vécu à Anvers et a peint à Londres et à Paris ; Le Gréco né en Crète a vécu à Tolède ; Le Titien né en Italie a peint à Madrid ; Ary Scheffer né aux Pays-Bas a peint à Paris... l'Art n'est pas national, il fait voyager, il fait découvrir, il est universel. C'est ce que j'appris lors de ce "Grand Tour". J'ai peut-être eu besoin de ce périple pour comprendre que l'Europe n'est pas fractionnée, que chaque pays qui la compose n'est pas une île isolée - pardon pour le pléonasme - sans rien autour, que ses frontières ne furent jamais fermées, que l'Italie est belle, que l'Allemagne l'est aussi, comme l'Autriche, l'Espagne, etc. Il n'y eut pas que les jeunes aristocrates anglais pour voyager à travers l'Europe. Victor Hugo alla à Madrid, Théophile Gautier et Henri Matisse parcoururent l'Andalousie, George Sand et Frédéric Chopin séjournèrent aux Baléares, Raoul Dufy alla rejoindre des amis en Allemagne, Auguste Renoir peignit à Guernesey, Claude Monet en Italie et en Norvège... L'art est donc universel. Le récent décès de la réalisatrice Agnès Varda m'a remémoré un dialogue entendu dans son film Cléo de 5 à 7 : "- Tu vois bien, la peinture s'appelle "Femme" et moi j'y vois un toro ; ça prouve que Miro est Espagnol. - Et Picasso, quand il peint un hibou, on dirait une femme ; ça prouve quoi alors ?" Il y avait dans beaucoup de familles, comme certainement dans la mienne, d'irréductibles Gaulois qui répétaient à l'envi que la France est belle, qu'il n'y a qu'en France qu'on mange bien et j'en passe. Comment le savaient-ils, comment pouvaient-ils être aussi affirmatifs puisqu'ils n'avaient jamais voyagé ?

 

Je passe devant le portrait que Hyacinthe Rigaud a fait en 1689 de Philippe d'Orléans, duc de Chartres, futur Régent. Quand je le regarde, je voyage loin, très loin, à six mille kilomètres d'ici. Je me dis que sans lui La Nouvelle Orléans ne serait pas La Nouvelle Orléans, ville fondée en 1718 sur les bords du Mississippi et baptisée en son honneur, lui, le neveu de Louis XIV, même s'il n'a jamais foulé les trottoirs de Bourbon Street et qu'il n'a jamais su que "The Crescent City" a été plus tard le berceau du jazz. Peut-être n'a-t-il jamais quitté le Palais-Royal qu'il avait reçu de son père ? Ce Palais-Royal où furent donnés, paraît-il, des soupers incongrus dont les menus plaisirs ont été détaillés, peut-être même exagérés, dans le film de Bertrand Tavernier intitulé Que la fête commence. Au moment où j'entre dans la salle dédiée à Pierre Daura, un coup de tonnerre annonce une forte précipitation dont les murs épais du musée me gardent à l'abri. Le bruit du tonnerre mêlé à celui que fait la pluie sur la toiture est comme un concert de musique acousmatique ; on entend mais on ne voit rien, les musiciens étant cachés derrière un rideau noir. Plus loin, je passe devant le tableau qui représente le peintre Georges-Daniel de Monfreid dans son appartement de la rue Liancourt (Paris 14ème) pointant du doigt un autoportrait que Gauguin lui avait offert. Avec Gauguin, ce sont encore des voyages en perspective : la Martinique, les Marquises. Bien que dans mon enfance, j'écoutais beaucoup Dans les steppes de l'Asie centrale de Borodine et Sur un marché persan de Albert Ketelbey, je n'allai pas dans des contrées si lointaines.

 

Mais le temps passe et les bruits que j'entends dans le hall me ramènent au musée. Il faudra que je sois discret pour sortir de ce lieu. Je m'exfiltre sans avoir été vu. Dehors les premiers rayons du soleil éclairent le haut des façades. Je me dirige vers la place Arago pour y prendre un copieux petit-déjeuner. Devant une tasse de chocolat, je repense à cette nuit indicible. Je ne pourrai en effet jamais dire un jour à qui que ce soit que je me suis laissé enfermer dans un musée, que j'ai approché des toiles et des sculptures dans une demi-obscurité, que j'ai voyagé les yeux fermés et que j'ai imaginé les yeux ouverts la vie et le travail des artistes. Mais on le sait bien, tôt ou tard les langues se délient. L'envie est toujours très forte de se vanter de ses exploits. Non, vous n'obtiendrez aucune confidence de ma part et quand je retournerai au musée parmi les visiteurs qui ont payé leur entrée, je ferai profil bas à la caisse ; je ne voudrais pas être reconnu. En attendant, j'appelle le garçon et lui demande combien je dois. Dernièrement, lors d'un vernissage, une dame bien mise s'est approchée de moi pour me dire qu'il n'y avait pas eu de femmes peintres dans l'histoire de l'art. Cette affirmation, cette assertion, m'interloqua. Si cette dame n'a visité durant sa vie que le musée Rigaud, je ne peux que lui donner raison car les femmes peintres sont totalement absentes de ses collections permanentes. Et moi de récapituler brièvement les auteurs des oeuvres vues lors de cette nuit au musée : Hyacinthe Rigaud, Georges-Daniel de Monfreid, Raoul Dufy, Pablo Picasso, Jean Lurçat, Maurice Denis et la prochaine exposition prévue pour l'été qui aura pour thème Maillol et Rodin, donc que des hommes en effet ! Un phalanstère phallique qui a phagocyté le monde de l'art. Quand le musée exposera même temporairement Sonia Delaunay, Maria Blanchard, Marie Laurencin, Olga Sacharoff ou Hortense Dury-Vasselon, j'inviterai cette dame à passer avec moi une nuit au musée, en tout bien tout bonheur, pour avoir un regard différent sur l'histoire de la peinture. A ce moment-là, il faudra bien que j'avoue que je passe de temps en temps une nuit en catimini dans un musée. Que des hommes ? Je suis injuste avec Emilie Dumas qui expose en ce moment quelques-unes de ses oeuvres dans une petite salle du rez-de-chaussée. Son tableau en noir et blanc - ou sépia - où j'ai vu un soldat de la Première guerre mondiale debout - enfin c'est ce que j'ai vu ! - près d'un autel dans une église qui a été frappée par un bombardement, et où le désordre est indescriptible, m'a interrogé. J'ai longuement regardé ce soldat, qui, s'étant certainement réfugié là pour éviter de disparaître sous la mitraille, a les yeux levés vers des arcs en ogive et qui est en même temps impressionné par les conséquences du bombardement et en admiration devant l'architecture et le calme du lieu. Il se croit protégé de tous les malheurs de la terre comme je me sentais moi-même invulnérable entre les murs de ce musée entre lesquels, j'en étais certain, rien ne pouvait m'atteindre en cette nuit étoilé et douce.

Voilà !

  

* Durant la Conférence de la Paix (18 janvier-28 juin 1919), Georges Clemenceau dut prendre dix jours de repos après la tentative d'assassinat dont il fut victime en sortant de chez lui le 19 février, commise par un ouvrier ébéniste qui professait des opinions anarchistes et qui répondait au nom de Emile Cottin. A la suite de son procès, ce dernier fut condamné à mort. Sa peine se verra commuée en dix ans de réclusion sur intervention de Clemenceau lui-même auprès du président de la République.                                         

Musée d'Art Hyacinthe Rigaud, 21 rue Mailly (Perpignan)

Musée d'Art Hyacinthe Rigaud, 21 rue Mailly (Perpignan)

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4 avril 2019 4 04 /04 /avril /2019 08:48

1916, année terrible, "an de disgrâce 1916" pour André Gide. 1916, c'est Verdun, l'offensive franco-britannique sur la Somme, la guerre sous-marine allemande, Joffre écarté du Haut Commandement mais promu maréchal de France.

 

Dès le début de l'année, les communications téléphoniques privées sont supprimées entre le département des Pyrénées-Orientales et les départements limitrophes ainsi que les communications interurbaines en provenance ou à destination de postes publics comme les hôtels, restaurants, garages, etc. Par mesure de sécurité nationale, il n'y a désormais plus d'abonnés aux numéros que vous ne pouvez plus demander.

  

La misère, pas seulement la misère pécuniaire, mais aussi la misère morale, intellectuelle, frappe dans le quartier Saint-Jacques en ce début janvier 1916. A la suite de lettres envoyées au procureur de la République par des voisins inquiets, on retrouve dans un logement de la rue des Farines, caché sous une capote de soldat, le cadavre d'un bébé de six mois, un bébé que la mère a laissé mourir de faim. Un bébé dont la mère occupe ce logement depuis que son compagnon a été mobilisé - il est alors dans les tranchées en Champagne - et dont le père, un sergent de passage, ne l'a pas reconnu. Cette histoire, on dirait un fait - hélas ! - divers, me rappelle un drame similaire survenu il y a quelques années en France, je précise en France parce qu'il y a tellement de reportages à la télé sur des faits divers qui se sont passés aux Etats-Unis. Une mère qui avait froidement tué et enterré son enfant en bas âge a fait croire pendant quelques heures à la police qu'il avait été enlevé - peut-être par son ancien compagnon - pendant qu'elle était descendue au bas de son immeuble pour fumer une cigarette en laissant la porte de son appartement entrouverte. Il faut être bien malheureux, bien faible, bien seul pour commettre un tel acte, et ensuite le nier. En juillet 1916, la mère sera condamnée par la cour d'assises des Pyrénées-Orientales à deux années d'emprisonnement. Et pendant ce temps au cinéma, les actualités projetées avant le film "nous donnent l'illusion de vivre la vie sublime de nos soldats". (L'Indépendant des Pyrénées-Orientales daté des 1er et 2 janvier 1916) Au Cinéma-Castillet, le film en question est "Les vainqueurs de la Marne", qualifié d'oeuvre patriotique de toute beauté.

  

Mais les faits divers et autres infractions aux bonnes moeurs cédèrent rapidement la place à un événement important : le venue à Perpignan d'une délégation espagnole francophile qui souhaitait aller à la rencontre des élus français pour leur apporter un soutien sans faille dans les épreuves que traversait le pays ami. En préambule à ce séjour, fut donnée, le 27 janvier au théâtre municipal de Perpignan, une conférence sur l'attachement des Espagnols à la France. Affirmant que jamais la culture allemande ne pourrait prendre racine dans l'âme espagnole, le conférencier - espagnol lui-même -, qui parlait devant un public nombreux dans lequel on pouvait compter de nombreuses personnes de la communauté espagnole de Perpignan, conclut en disant qu'il était nécessaire pour le bien des deux pays mais aussi pour le bien de l'Humanité tout entière que l'Allemagne soit vaincue. Deux semaines plus tard, des hommes politiques et des personnalités du monde littéraire et artistique en provenance de Barcelone - je n'aime pas beaucoup le mot "intellectuel" - arrivaient à Cerbère où ils furent accueillis par le maire de cette ville puis à Perpignan où ils furent d'abord reçus par Jules Pams, puis à la mairie par le maire Joseph Denis, puis au Grand-Hôtel pour un banquet, puis au théâtre municipal avant de visiter les blessés dans les hôpitaux de la ville. Les artistes espagnols faisant partie de la délégation étaient Angel Guimerà, Pompeu Fabre, Ramon Casas, Miquel Utrillo, Jose Maria Sert et Santiago Rusiñol. Les commerçants et les particuliers avaient été priés de pavoiser leurs vitrines et leurs fenêtres aux couleurs espagnoles et françaises. La nouvelle qui s'était répandue durant le trajet ferroviaire selon laquelle Angel Guimerà serait fait chevalier de la Légion d'honneur au cours de ce séjour perpignanais avait produit une énorme joie et une grande émotion parmi les délégués espagnols. Angel Guimerà, natif de Santa Cruz de Tenerife, était un auteur de pièces de théâtre à succès et un poète reconnu. Une rue de Perpignan porte son nom dans le quartier Saint-Martin. Le poète, heureux récipiendaire de la superbe décoration ne manquera pas de remercier par télégramme le président de la République française, Raymond Poincaré, et de lui transmettre "le respectueux hommage de [sa] vive gratitude et de [son] dévouement à la noble et douce France". Les journaux de Barcelone parleront sur cinq colonnes à la une de ces deux magnifiques journées en terre nord-catalane, journées qui auraient pu mal commencer, deux Allemands ayant tenté de se glisser dans la délégation espagnole pour y semer la zizanie mais mis en déroute en gare de Port-Bou. Ceci ne devait pas être pris à la légère car, en avril, on arrêtera un citoyen qui se disait être de nationalité turque, porteur de plusieurs cartouches de dynamite à qui le consulat d'Allemagne aurait fait miroiter une prime alléchante pour faire sauter le tunnel entre Cerbère et Port-Bou. Il y a quelques années on disait "info ou intox ?" Maintenant on dit : "Fake news ?"

 

Ce qui est tout à fait vrai par contre, c'est que le Castillet - monument emblématique de Perpignan - se transformera en Foyer du Soldat en novembre 1916 dans le but de procurer aux militaires en poste à Perpignan ou simplement de passage une maison où ils pourront, pendant leurs heures creuses, trouver refuge dans des salles chauffées et bien équipées avec bibliothèque, écritoire pour pouvoir rédiger leur correspondance à l'adresse de leur famille, restauration légère et foyer servant des boissons sans alcool, bref pour "pour soustraire le soldat désemparé aux tentations de la rue et des cabarets interlopes." (L'Indépendant des Pyrénées-Orientales daté du 28 novembre 1916) Non ! Je ne pensais pas que Perpignan fût, il y a cent ans, une telle ville de perdition. Ce n'est évidemment plus le cas de nos jours, vous vous en doutez bien.

          

1916, c'est Verdun, ai-je écrit plus haut. Je ne pourrais clore ce chapitre sans parler du héros du fort de Vaux qui a longtemps vécu à Perpignan : l'aspirant Léon Buffet. Né en 1896, instituteur en 1914, il est mobilisé dès le début du conflit et se trouve au fort de Vaux (au nord-est de Verdun) en 1916. Il lui est demandé de sortir du fort, encerclé par les Allemands, pour porter des messages urgents au Commandement. L'entreprise est périlleuse mais l'aspirant Buffet mène à bien la mission qui lui est confiée. Mais il compte bien retourner dans le fort au péril de sa vie. Il se porte volontaire pour faire parvenir des messages aux officiers restés à Vaux. Déjouant la surveillance de l'ennemi, il y parvient. Mais en juin 1916, le fort de Vaux doit se rendre. Léon Buffet, auréolé de son exploit, quitte la place la tête haute mais est fait prisonnier. Après la guerre, il enseignera à Perpignan, à Céret et à Narbonne. Il décédera en octobre 1966 et sera inhumé au cimetière Saint-Martin à Perpignan. Une plaque rue Voltaire (n° 19) rappelle que là était le domicile de l'aspirant Léon Buffet, héros du fort de Vaux.

  

L'Indépendant des Pyrénées-Orientales dans son numéro daté du 8 novembre 1916, comme d'ailleurs tous les journaux de France et de Navarre, fait ses gros titres sur la victoire du candidat républicain à l'élection présidentielle américaine. Les voix des Etats de l'Ouest seront décisives. Finalement, c'est Wilson, le candidat démocrate, qui sera réélu président des Etats-Unis d'Amérique avec un slogan utilisé par ses partisans : "Ils nous a tenus hors de la guerre." Pourtant le 3 février suivant, ce sera la rupture des relations diplomatiques avec Berlin et en avril, le Congrès américain donnera à Wilson l'autorisation de déclarer la guerre à l'Allemagne.               

Carrer Petritxol (Barcelone)

Carrer Petritxol (Barcelone)

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3 avril 2019 3 03 /04 /avril /2019 10:14

"... Mme Lacroix dont le fils unique est au front. La lettre qu'elle a reçue de lui hier était du 22. Sortira-t-il de cette traversée de l'enfer ?" André Gide (*)

 

Tandis que le journal de Clemenceau L'homme enchaîné est suspendu en août 1915 pour une durée de quatre jours par la censure après qu'il ait émis des critiques envers le général Joffre, L'Indépendant des Pyrénées-Orientales publie le 18 juillet un article intitulé : "En Joffre va salvar la França." Le général natif de Rivesaltes demeurait la personnalité préférée des poilus. Ces derniers continuaient d'avoir en lui une confiance éperdue quant à la suite des opérations. Le quotidien catalan, suspendu en septembre 1914 comme on l'a vu dans un précédent chapitre - tout comme le quotidien royaliste Le Roussillon (dont le siège se trouvait au 1 de la rue des Trois Rois, actuelle rue des Trois Journées) pour avoir donné à ses lecteurs le lieu précis de destination d'un régiment, information précieuse qui aurait pu tomber aux mains de l'ennemi -, n'a été que peu frappé par la censure au cours du conflit. Parmi les articles qui n'ont pas eu l'autorisation de paraître dans ses colonnes, on peut citer pour l'année 1915 : "Départ des troupes" et "Nos prisonniers en Allemagne" (en février), puis "Front turc - Autour des Dardanelles" (en juin).

 

En août, la Chambre votait une loi proposée depuis juin par le député des Pyrénées-Orientales Victor Dalbiez (promu le 7 février courant au grade de sous-lieutenant). Cette loi promulguée au Journal Officiel le 19 août était une "loi assurant la juste répartition et une meilleure utilisation des hommes mobilisés ou mobilisables". 350 000 militaires seraient retirés du front et affectés dans les usines de fabrication d'obus et de fusils tandis que 150 000 autres seraient affectés dans les mines et dans l'industrie métallurgique, tous ayant l'interdiction absolue de faire grève. Cette loi révisait aussi la situation militaire de tous ceux qui avaient été dispensés de se rendre au front et que la population qualifiait d'embusqués. De la mobilisation jusqu'au mois de juillet 1915, aucune permission ne fut autorisée pour les soldats qui tous devaient obligatoirement demeurer à leur poste. Des permissions - voir chapitre précédent - avaient toutefois été accordées aux agriculteurs et viticulteurs pour aider leur famille aux travaux des vignes et des champs. Ces permissions ne concernaient toutefois pas les soldats sur le front mais seulement ceux de la territoriale et ceux demeurés à l'arrière dans les dépôts. La loi Dalbiez se voulait équitable quant à la délivrance des permissions entre les soldats au front depuis le début du conflit et les effectifs mobilisables qui n'avaient pas encore été engagés. Afin d'aider aux travaux agricoles pendant la période des labours et des semailles, les habitants des Pyrénées-Orientales apprenaient le 9 octobre 1915, que le ministre de la Guerre prévoyait "l'attribution de permissions de quinze jours à certaines catégories de militaires exerçant effectivement les professions suivantes : propriétaires exploitants, fermiers métayers, maîtres-valets, domestiques agricoles, ouvriers agricoles". En rapportant la décision du ministère, le préfet n'omettait pas de mettre en garde les maires des Pyrénées-Orientales que tout certificat de complaisance entraînerait pour eux des "inconvénients". Cette loi sera appliquée avec tous les excès qu'on imagine. "La nouvelle loi Dalbiez fait repasser une visite médicale à tous les soldats des services auxiliaires et réformés. On convoque même les aveugles", écrira Paul Morand dans son Journal d'un attaché d'ambassade.

      

A Perpignan, si la météo est souvent au beau fixe, les quelques averses qui arrosent de temps en temps la ville suffisent à perturber la distribution d'eau. "L'eau qui coule des robinets est boueuse." (29 mai 1915) Mais la météo consultée dans les numéros du journal catalan du 15 au 23 octobre 1915 fait état de belles journées. Youpi !, le temps est superbe et "la série des belles journées continue". Ce beau temps ne va hélas pas durer. Les habitants de Perpignan et des communes environnantes vont vivre, durant les six derniers jours du mois d'octobre 1915, un véritable cauchemar.

Des inondations, le département des Pyrénées-Orientales en a connues de nombreuses au cours des siècles. Je rappellerai simplement celle survenue lors de la terrible crue de la Têt en 1421 qui a entre autres emporté trois ponts à Villefranche-de-Conflent, celle qui suite à la crue du Tech en octobre 1763 a emporté douze maisons et provoqué la mort de onze personnes à Prats-de-Mollo, et bien sûr l'aiguat (averse en catalan) du 16 octobre 1940 qui a détruit une partie de Vernet-les-Bains et mis en émoi les habitants de Perpignan déjà durement touchés par le deuxième conflit mondial. Le dimanche 24 octobre 1915, alors qu'il pleut à verse tout l'après-midi et une partie de la nuit suivante sur tout le département des Pyrénées-Orientales, on ressent une secousse sismique principalement dans la partie du Roussillon proche de la mer, de degré 3 (sur l'échelle de Richter, géophysicien américain qui n'avait que quinze ans cette année-là !). Le lundi 25 et le mardi 26, les pluies incessantes font sortir la Têt et la Basse de leur lit. Le mercredi 27, les Perpignanais, bloqués chez eux la veille par la brusque montée des eaux qui atteint dans certaines rues le premier étage des immeubles, ne pouvaient que constater les dégâts. La Basse sortant de son lit vers onze heures avait déjà inondé les quais devant le tribunal et le Grand Hôtel (aujourd'hui siège du Conseil départemental), la place Arago, la place Bardou-Job, la rue du Rempart-Villeneuve, la place de Catalogne et le magasin "Les Dames de France" - où l'eau est arrivée à une hauteur de 1 mètre 30 -, la promenade des Platanes et suite à la crue du Réart, la voie ferrée Perpignan-Collioure est inondée jusqu'à Corneilla-del-Vercol. L'Indépendant s'inquiète pour ses rotatives et sa salle des machines "en bordure de la rue Lazare Escarguel dans laquelle l'eau de la Basse coule comme un fleuve." (mercredi 27 octobre) Les deux clubs de rugby ASP et SOP marqueront leur solidarité en jouant un match au profit des victimes de ces inondations le dimanche 31 octobre. On remarquera que les catastrophes dues aux caprices des fleuves nord-catalans ont souvent eu lieu en octobre. Le dixième mois de l'année -comme son nom ne l'indique pas - est le mois du huitième signe du zodiaque, celui du Scorpion, petit arachnide qui sort de sa torpeur en automne, saison qui se voudrait calme et reposante avec ses couleurs photogéniques - ce roux et cet orangé qui donnent au feuillage des arbres un caractère incomparable -, mais qui comme un empêcheur de tourner en rond et parce qu'il est gouverné par Mars, dieu de la Guerre, agit toujours sans compromis. Il est à noter que ni Joffre, ni Clemenceau, ni Dalbiez n'étaient du signe du Scorpion.

 

Victor Dalbiez proposera une loi destinée à venir en aide à la population des Pyrénées-Orientales victime des inondations. En 1915, il proposera aussi une loi tendant à réprimer l'exportation frauduleuse de produits ou objets dont la sortie a été prohibée pour sauvegarder l'intérêts de la défense nationale. L'importation des marchandises faisait aussi l'objet d'un strict contrôle. Le 28 octobre 1915, était inaugurée à L'Eldorado par les autorités militaires et civiles du département des Pyrénées-Orientales, l'Exposition anti-allemande dont le but était de "stimuler les commerçants français dans la lutte contre les produits austro-allemands". Certaines marchandises qui arrivent en France via l'Espagne en provenance d'Allemagne sont souvent des contrefaçons comme ces sucettes d'une marque française bien connue où apparaît sur l'emballage la tête du Kaiser - en lieu et place d'un pierrot aux yeux gourmands - à côté de la marque.

                                 

(*) Extrait du Journal d'André Gide (29 septembre 1915)           

La Basse à Perpignan

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1 avril 2019 1 01 /04 /avril /2019 13:02

"Je vois encore Joffre, à Londres, après la Marne, adossé à la cheminée et nous disant : "Tout sera fini à Noël." Paul Morand (*)

 

En cette année 1915, "tout est à la guerre et nul ne songe à Sa Majesté Carnavalesque" comme le déplore un article de L'Indépendant des Pyrénées-Orientales. Désormais, Perpignan vit au rythme des nouvelles du front et, comme toujours - ou depuis toujours -, de ces petites choses qui font la vie habituelle d'une ville. Alors que le journal cité précédemment parle en une du tremblement de terre qui vient de secouer la région de L'Aquila en Italie (15 janvier 1915) et qui a arraché à la vie entre dix et douze mille personnes - sans parler des blessés -, à la rubrique "Dernière locale", les lecteurs apprenaient que le propriétaire d'un mas proche de la ville avait déclaré un vol d'artichauts tandis qu'une semaine avant, ce sont vingt-quatre choux-fleurs qui avaient été volés dans un jardin de Saint-Jacques et que des enquêtes étaient ouvertes. La misère, la précarité comme on dit trop souvent maintenant, le manque d'argent en pousseront beaucoup à commettre de petits larcins, voire pis encore dans le domaine de l'aberration ! La rapide augmentation du prix du pain, elle-même due au manque de ravitaillement en farines, et dont le journal catalan parlera à de nombreuses reprises au cours de l'année 1915, sera un coup terrible porté au pouvoir d'achat des plus humbles et des plus démunis - en 1915, on parlait déjà de Sans Domicile Fixe. Le pain blanc de un kilogramme passe en février de 45 à 50 centimes et les autorités seront vigilantes quant à la tolérance de cent grammes (pas un de plus) accordée aux boulangers et qui pourrait en cas de son non respect entraîner des poursuites. Dura lex sed lex. Les autorités constateront que les boulangers inspectés dans différents quartiers de la ville donnent bien le poids du pain réglementaire. Le ministre du Commerce annoncera bientôt dans un télégramme adressé au préfet des Pyrénées-Orientales qu'il fait "une cession de cinq mille quintaux de blé à 32 frs sur un vapeur incessamment attendu à Marseille pour ravitailler ville de Perpignan". (19 mai 1915) Les articles sur l'explosion de gaz dans l'immeuble du 37 rue Saint-Martin - face à l'hôpital militaire - en janvier 1915 et le chahut provoqué tous les soirs par un groupe de perturbateurs qui narguent et agressent les habitants de la place du Puig et de ses alentours "qui se demandent s'il ne sera pas nécessaire de se munir de gourdins avant de sortir en promenade" (L'Indépendant daté du 29 août 1915) auraient pu passer inaperçus rapport aux événements tragiques qui se déroulent dans le reste du pays.

 

Le département des Pyrénées-Orientales est un département viticole, comme déjà indiqué dans des chapitres précédents. Et, avec le départ de très nombreux jeunes pour le front, la main-d'oeuvre fait cruellement défaut dans les exploitations malgré la venue d'ouvriers espagnols qui ne sont plus seulement autorisés à entrer en France par Cerbère (jusqu'en juillet 1915) sinon aussi par Bourg-Madame et Le Perthus suite à la demande émise auprès du ministre de l'Intérieur par le député Emmanuel Brousse.  C'est aussi Emmanuel Brousse et Léon Nérel qui entament, dès le mois de janvier, une démarche auprès de l'Exécutif pour que soient accordées des permissions de quinze jours aux fils de viticulteurs afin d'aider à la taille de la vigne. Les députés se battent pour la préservation des activités viticoles et horticoles dans le département dont ils sont les élus. C'est ainsi qu'Emmanuel Brousse insiste pour que soit généralisée la consommation de légumes dans l'armée pour la bonne santé du soldat mais aussi pour maintenir une activité économique viable dans les régions horticoles et c'est encore lui, de concert avec son collègue Léon Nérel, qui s'insurge auprès des ministres des Finances et de l'Agriculture pour que ne soit pas appliquée la décision de la Chambre de Commerce de Marseille "de produire en vins de sucre le 1/5 de la récolte déclarée en 1914 sous prétexte de parer à l'insuffisance de la récolte de 1915" ce qui provoquerait selon les deux députés "la déchéance irrémédiable de la viticulture française" (20 juillet 1915). Comme le département des Pyrénées-Orientales compte aussi quelques stations thermales, le député Emmanuel Brousse n'a pas manqué de demander au ministre de la Guerre quelles mesures il prendrait en vue de l'utilisation par l'armée de ces stations pour le traitement des douleurs, des maladies, des blessures subies par les soldats (mars 1915). A propos de blessures et autres bobos, j'ai lu dans un numéro du journal L'Indépendant daté du mois de juillet 1915 cette étrange publicité : "Chaque soldat doit avoir un tube de RADIOLE contre rhumatismes, douleurs, maux de reins, sciatiques."

   

Côté météo, en 1915, comme le chantera plus tard Henri Salvador, "c'est pas la joie". Dans l'après-midi du 22 février, la tramontane qui soufflait a rapidement gagné en intensité, faisant tomber des arbres dans le parc de la Pépinière et dans la promenade des Platanes, arrachant des toitures dans les quartiers du Vernet et de Saint-Martin, renversant des véhicules et interrompant la circulation des tramways. Cette tempête a aussi été ressentie de la Gironde au Gard en passant par l'Aude et l'Hérault. L'automne ne sera pas plus gâté par le temps.

 

C'est au printemps 1915 que le jeune Aimé Giral - ce talentueux joueur de rugby qui avait donné à l'ASP son premier titre de champion de France le 3 mai 1914 -, subit son baptême du feu après avoir effectué ses classes à Pézenas. Né à Perpignan en août 1895 (inscription au 10 rue Grande-la-Réal), il sera grièvement blessé par un éclat d'obus et décédera à l'âge de 19 ans le 22 juillet 1915 près du village de Somme-Suippe (à une vingtaine de kilomètres à l'est de Mourmelon) dans le département de la Marne. Sa dépouille sera rapatriée en 1922 et déposée dans le caveau familial du cimetière de l'Ouest (Perpignan). Un stade, celui de l'USAP, porte son nom depuis 1940. Avec lui, ce furent sept jeunes joueurs de l'ASP qui tomberont au champ d'honneur pendant la Grande Guerre. J'ai récemment vu un tableau signé de Max Beckmann (peintre allemand décédé à New York en 1950) dans une exposition qui lui est consacrée actuellement à Barcelone. Il représente un soldat qui va partir pour le front et qui dit au revoir - ou adieu - à sa fiancée. En regardant ce tableau d'une simplicité et d'une cruauté infernales, j'avais en tête une chanson de Jacques Larue - pour les paroles - et Philippe-Gérard - pour la musique - intitulée Miséricorde, chanson qu'Edith Piaf a enregistrée en studio le 28 février 1955 mais qu'elle avait déjà interprétée le mois précédent à l'Olympia. Cette chanson, véritable réquisitoire contre la guerre, dont, à mon avis, il faudrait faire étudier le texte dans tous les collèges de France, relate une scène similaire à celle vue sur le dit tableau mais cette fois dans une gare où la fiancée n'est "pas la seule à chialer sur le quai" - je cite les paroles de mémoire. "Avec leurs boniments, ils ont tué mon amant", "les p'tites croix blanches ont des dimanches qui n'sont pas gais" - je cite toujours de mémoire -, et la chanson se termine par ces mots terribles : "Mais la vie est si moche que même ça je l'oublierai." Une phrase qui m'avait beaucoup marqué - et qui m'interroge encore -, quand j'ai entendu cette chanson pour la première fois à l'âge de treize ou quatorze ans. "Mais la vie est si moche, que même ça je l'oublierai."

 

Certains ne moururent pas l'arme au poing mais le pinceau à la main. Le peintre Francis Tattegrain - qui était né à Péronne (Somme) en 1852 - fut tué alors qu'il peignait sous un bombardement le beffroi d'Arras. Classé monument historique avant la guerre, et offrant, avec ses 75 mètres de hauteur, une vue imprenable sur la ligne de front, il était une cible de choix pour l'artillerie allemande. Elevé à partir du 15ème siècle et achevé au siècle suivant, le beffroi, comme l'hôtel de ville attenant, sera reconstruit à l'identique dans les années 1920. Francis Tattegrain, peintre naturaliste, qui a longtemps vécu à Berck (Pas-de-Calais) avait un pied-à-terre au 12 boulevard de Clichy à Paris. Il est donc mort le vendredi 1er janvier 1915 à Arras.

          

(*) Journal d'un attaché d'ambassade 1916-1917 par Paul Morand de l'Académie française (Editions Gallimard, 1996)

A Vernet-les-Bains (Pyrénées-Orientales)

A Vernet-les-Bains (Pyrénées-Orientales)

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