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29 octobre 2018 1 29 /10 /octobre /2018 10:00

Le Monument aux morts de Perpignan qui s'élève sur l'esplanade des allées Maillol sera, après quelques semaines d'une restauration effectuée au cours de l'été dernier, inauguré le lundi 5 novembre 2018 à 11 heures 30. Il est l'oeuvre de l'artiste roussillonnais Gustave Violet. 

En 1919, un comité chargé de lancer une souscription publique est créé en vue de la réalisation à Perpignan d'un monument en hommage aux morts de la Première Guerre mondiale. Plusieurs artistes proposent alors des projets et c'est Gustave Violet qui remporte le concours. Gustave Violet, né à Thuir (Pyrénées-Orientales) en 1873 est issu d'une famille de viticulteurs qui s'est enrichie grâce à l'invention du Byrrh. Jeune homme, il part pour Paris afin d'étudier l'architecture. Il rentre définitivement dans le Roussillon au début du 20ème siècle et s'installe à Prades dans une maison-atelier dont il a supervisé la construction : Saint-Martin. Ce lieu, qu'il dédie à la céramique et à la sculpture, va rapidement se convertir en un centre actif qui accueille de nombreux artistes roussillonnais et catalans. Son ami Miquel Utrillo (qui a créé, en 1897, avec Ramon Casas et Pere Romeu l'établissement "Els 4 Gats" à Barcelone) diffuse et promeut le savoir-faire de Violet à travers différentes expositions dont celle organisée à la Sala Parés en mai 1905 et celle - toujours à Barcelone - en mars 1914 où il fait l'acquisition de dix-huit oeuvres en terre cuite qui feront partie de la collection de Charles Deering à Maricel* (Sitges). La même année, Utrillo commande à Violet quatre médaillons en bronze à l'effigie de Santiago Rusiñol, Angel Guimerà, Ramon Casas et Charles Deering, destinés à orner la passerelle reliant deux bâtiments du Maricel à Sitges. Le conflit mondial qui éclatera quelques mois plus tard empêchera la réalisation de cette commande. Mobilisé, Gustave Violet rentre du front affaibli et meurtri par la mort de son ami l'écrivain Louis Codet (en 1914). Il quitte alors Prades pour Céret où il s'installe dans un nouvel atelier : Saint-Jean. Il y reçoit souvent la visite du sculpteur Manolo Hugué et celle du compositeur Déodat de Séverac (décédé en 1921). Lorsqu'il remporte le concours pour le monument aux morts de Perpignan, il reprend ses thèmes favoris pour les bas-reliefs et mosaïques a savoir les traditions locales incarnées par le berger, le pêcheur, la maraîchère. 

Inauguré le 2 novembre 1924 par Victor Dalbiez alors ministre des Régions libérées (futur maire de Perpignan entre 1929 et 1935), le monument aux morts de Perpignan, monument départemental et non municipal qui fut d'abord dédié "Aux 8400 Roussillonnais morts pour la France" (inscription remplacée dans les années 1950 par "Aux morts pour la France"), se présente comme un retable avec sa prédelle avec trois statues qui personnifient le Pays catalan, sa partie médiane où les vivants pleurent les disparus et sa partie supérieure faisant l'apothéose du courage du "poilu". Une Victoire était prévue pour surmonter la partie centrale du monument qui culmine à 11 mètres de hauteur mais il semble que l'insuffisance des crédits alloués n'ait pas permis de réaliser cette statue. Ce monument comportait à l'origine de part et d'autre des grilles monumentales en fer forgé donnant accès au jardin public situé derrière lui qui ont été enlevées par la suite.

Gustave Violet en plus d'être un architecte et un sculpteur est aussi connu comme écrivain. En 1906, il participe à la création de la Société d'Etudes Catalanes avec les poètes Jean Amade et Josep Sebastià Pons. Considérant que la représentation de pièces en catalan pouvait être un plus pour la langue catalane, il met en scène avec une compagnie d'acteurs dirigée par Enric Borràs des pièces qu'il traduit lui-même comme l'Arlésienne d'Alphonse Daudet. Artiste discret, travaillant loin de l'agitation parisienne, il meurt pauvre à Perpignan en 1952.

D'autres oeuvres de Gustave Violet sont visibles à Perpignan comme la statue de la Tradition catalane dans le vestibule de la salle des mariages de la marie, la sculpture en pierre de Jean Jaurès près de la place de Catalogne, les ferronneries de la maison Escoffier (place Arago), les frises et les ferronneries de sa maison qu'il a conçue et décorée au 15 rue Sully (près de la place Jean Payra), ainsi que des sculptures et céramiques exposées au musée d'Art Hyacinthe Rigaud (rue Mailly). 

Le monument renferme des cendres de déportés inconnus. L'écrivain Rudyard Kipling, journaliste au Daily Telegraph en 1915 et 1916, pressenti dès 1917 pour faire partie dans son pays de la Commission des Sépultures de guerre (il a souvent séjourné à Vernet-les-Bains dans les Pyrénées-Orientales avant le conflit mondial) et dont un fils est mort au combat en octobre 1915 dans la région de Loos, a contribué à faire retenir l'idée d'un monument au Soldat inconnu britannique, idée qui fut adoptée ultérieurement par les autres pays belligérants.                 

* Actuel musée de Maricel (inauguré en 1970), cette demeure a été construite à partir de 1911 par Miquel Utrillo pour le milliardaire américain Charles Deering à Sitges, station balnéaire au sud de Barcelone mise à la mode au début des années 1890 par le peintre catalan Santiago Rusiñol.        

Les allées Maillol à Perpignan ; au fond, le Monument aux morts de Gustave Violet

Les allées Maillol à Perpignan ; au fond, le Monument aux morts de Gustave Violet

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25 octobre 2018 4 25 /10 /octobre /2018 12:03

Si 1917 avait été favorable aux Allemands, 1918 s'annonce comme l'année de tous les dangers pour les Alliés.

6 février 1918, décès du peintre Gustav Klimt à Vienne.

En mars, Ludendorff fait attaquer les Anglais à Saint-Quentin qui battent en retraite. Paris est à portée des canons allemands. Les Alliés ont alors l'idée de constituer un commandement unique. "A Bailleul, au nord d'Armentières (...) on rassure même le conservateur du musée (...) qui veut déménager les collections. (...) En mars 1918, la première bataille aérienne a lieu à proximité de Bailleul. (...) Le vaillant conservateur déménage en hâte vingt pour cent des tableaux du musée. Lorsqu'il revient de son premier déménagement, la ville a disparu, bombardée, rayée de la carte. L'année suivante, Bailleul est reconstruite en style néoflamand et le musée est refait en briques jaunes à deux pas d'un beffroi tout neuf. La ville y réinstalle les oeuvres sauvées et rachète peu à peu meubles et tableaux." (*)

25 mars 1918, décès du compositeur Claude Debussy à Paris.

A la conférence de Doullens (le 26 mars) puis à celle de Beauvais (le 3 avril), le général Foch reçoit des gouvernements français, anglais et américain la "direction stratégique des opérations militaires".

11 avril 1918, décès de l'architecte autrichien Otto Wagner à Vienne. 

En mai, Ludendorff fait attaquer les Franco-Britanniques dans le secteur du Chemin des Dames. "Les Allemands sont à Château-Thierry. Jours d'attente abominablement angoissée. Le beau temps n'a pas cessé de les favoriser, le vent de souffler contre nous. Il semble parfois qu'il y ait quelque chose d'impie et de désespéré dans notre résistance, et cela surtout m'étreint le coeur", écrit André Gide dans son Journal le 2 juin 1918. (1) Pourtant à partir de ce même mois, les Allemands reculent sans cesse. Le 26 juin, les Sammies remportent dans l'Aisne la première grande victoire de l'armée américaine à Bois-Belleau. Les Alliés repoussent "les Allemands qui abandonnaient des milliers de canons et de mitrailleuses et laissaient aux mains des Alliés des dizaines de milliers de prisonniers. (...) Il fut décidé qu'une offensive serait montée début septembre pour réduire le saillant de Saint-Mihiel (...) qui s'étendait entre la Meuse et la Moselle formait un triangle dont les pointes étaient Pont-à-Mousson, Saint-Mihiel et Verdun". (2) Les Allemands résistent à ces assauts tant bien que mal. Mais le 26 septembre, lorsque la Bulgarie demande un armistice, l'Autriche-Hongrie se sentant menacée, les Allemands décident de demander un armistice pour sauver leur armée. Le chancelier allemand négocie alors avec Wilson sur la base du programme de paix dit des "Quatorze points", détaillé par le président américain le 8 janvier 1918 devant le Congrès et repris le 4 juillet, jour de la fête nationale des Etats-Unis, dans un discours où il précise que le gouvernement des Etats-Unis ne cherche nullement à abaisser l'Allemagne. Tandis que s'ouvrent ces négociations, le conflit continue. En septembre, les Alliés lancent une offensive générale ; en octobre, les Italiens sont victorieux à Vittorio Veneto et l'empire d'Autriche-Hongrie accepte un armistice qui laisse le libre passage aux Alliés pour attaquer l'Allemagne par l'Autriche. Dans la nuit du 3 au 4 octobre, une note allemande est adressée au président Wilson par l'intermédiaire de la Suisse : "Le gouvernement allemand prie le président des Etats-Unis d'Amérique de prendre en main le rétablissement de la paix, de donner connaissance à tous les Etats belligérants de cette demande et de les inviter à envoyer des plénipotentiaires pour engager les négociations."

31 octobre 1918, décès du peintre autrichien Egon Schiele à Vienne**.

"Dès le 7 novembre, une délégation conduite par le ministre d'Etat Erzberger franchit les lignes pour négocier à Rethondes les conditions, que l'on savait sévères, d'un armistice désormais inévitable". (3) Le 9 novembre, l'empereur d'Allemagne abdique.

Le 9 novembre 1918, décès du poète Guillaume Apollinaire à Paris.

Le lundi 11 novembre 1918 à 5 heures du matin est signé l'armistice dans le wagon du maréchal Foch en forêt de Rethondes. Jean Cocteau écrit à Aragon : "C'est la Paix. J'ai perdu mes deux meilleurs amis et je viens de veiller le pauvre Apollinaire qui avait une figure de mort toute mince et toute jeune."

Pendant ce temps... :

De la fin décembre 1917 à février 1918, Jean Cocteau séjourne à Grasse chez les de Croisset en compagnie d'Edith et Etienne de Beaumont. Guillaume Apollinaire est hospitalisé début janvier 18 pour une congestion pulmonaire. En janvier, Paul Guillaume organise dans sa galerie parisienne une exposition Matisse-Picasso. En avril, Apollinaire fait paraître son recueil de poèmes Calligrammes. Jean Le Roy, ami de Cocteau, est tué sur le front le 26 avril. La nouvelle de ce décès affecte profondément Cocteau. En mai, Apollinaire épouse Jacqueline Kolb, dite Ruby. De juin à septembre, André Gide séjourne en Angleterre. En juillet, Pablo Picasso épouse Olga Khokhlova à Paris. En août, Cocteau part pour Le Picquey (Gironde) au bord du bassin d'Arcachon. Le 2 octobre, Roland Garros abat au cours d'une mission un avion allemand. Mais l'aviateur, ami de Cocteau, est retrouvé le 5 au milieu des débris de son avion dans les Ardennes. En décembre, le médecin auxiliaire Aragon est affecté à Fort-Louis au nord de Strasbourg. 

* Extrait de l'éditorial du magazine Connaissances des Arts de novembre 2018.   

** Jusqu'au 4 novembre 2018, une exposition sur Egon Schiele a lieu au Leopold Museum de Vienne (Autriche).        

(1) Journal d'André Gide (Editions Gallimard, 1951)

(2) Bagatelle de Maurice Denuzière (Editions Jean-Claude Lattès, 1981)     

(3) La fin d'un monde par Philippe Bernard (Editions du Seuil, 1975)

Monument en souvenir de la guerre 14-18 à Vernet-les-Bains (Pyrénées-Orientales)

Monument en souvenir de la guerre 14-18 à Vernet-les-Bains (Pyrénées-Orientales)

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23 octobre 2018 2 23 /10 /octobre /2018 15:56
A Lyon (5ème arrondissement)

A Lyon (5ème arrondissement)

"Nous sommes en gare de Lyon-Vaise", écrit Guillaume Apollinaire à Lou (Louise de Coligny-Châtillon) le 4 avril 1915. "Il paraît que nous allons non en Argonne mais à Mourmelon-le-Petit dans le groupe de 90 du 38ème 43è batterie qui a été amochée." Guillaume Apollinaire, bien que n'ayant pas la nationalité française, a souhaité s'engager dès le début de la guerre. D'abord affecté au 38ème régiment d'artillerie de campagne de Nîmes, Apollinaire est envoyé vers une batterie de son régiment postée près de Mourmelon. Blessé en mars 1916 par un éclat d'obus à la tempe droite, le poète est soigné à Château-Thierry avant d'être évacué au Val-de-Grâce puis, sur sa demande, à l'Hôpital italien du Quai d'Orsay. A l'automne 1916, il renoue petit à petit avec les milieux littéraires et publie Le Poète assassiné. Le soir du réveillon de la Saint-Sylvestre, ses amis organisent un banquet en son honneur. Beaucoup le considèrent alors comme leur maître. En 1917, il collabore au ballet Parade sur un argument de Jean Cocteau et des costumes et des décors de Pablo Picasso. En juin, il fait représenter dans un théâtre de Montmartre sa pièce "sur-réaliste" (le mot a depuis fait florès) intitulée Les Mamelles de Tirésias. En avril 1918, il publie Calligrammes, recueil de poèmes dont le thème est la guerre et sa vie amoureuse. L'un de ces poèmes, Tristesse d'une étoile, parle de sa blessure à la tête : "Une étoile de sang me couronne à jamais (...) Ce trou presque mortel et qui s'est étoilé..." Le 2 mai, il épouse Amélia-Jacqueline Kolb, dite Ruby, à la mairie du 7ème arrondissement de Paris. La grippe espagnole qui sévit depuis le début de l'année 1918 n'épargne pas Apollinaire dont l'organisme a été affaibli par les gaz de combat et par sa blessure. Alors que l'empereur d'Allemagne Guillaume II abdique, Guillaume Apollinaire, veillé par Cocteau, Picasso, Max Jacob et Ruby, expire dans son appartement du 202 bd St-Germain, deux jours avant la signature de l'armistice. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise le 13 novembre. 

"Allons, mon coeur d'homme la lampe va s'éteindre

Verses-y ton sang.

Allons, ma vie, alimente cette lampe d'amour

Allons, canons, ouvrez la route

Et qu'il arrive enfin le temps victorieux, le cher temps du retour." (mai 1915) 

La galerie Licence IV (5 place du Gouvernement, Lyon 5ème) dirigée par François Yves Grand rend hommage au poète Guillaume Apollinaire (1880-1918) à partir du 25 octobre 2018 en exposant des peintures de Jean-Christophe Fischer "pour qui les portraits de "Poilus" et de "Gueules cassées" de la Grande Guerre ont été le sujet d'une récente et longue série de toiles. Ces images chargées d'histoire ont un pouvoir d'émotion et de fascination intense. De la souffrance de la condition humaine, elles sont une incarnation physique qui prend dimension spirituelle pour nourrir en profondeur l'écriture de l'artiste et donner à celle-ci toute sa force expressive de sublimation du tragique". (Pierre Souchaud)

L'exposition "Hommage à Guillaume Apollinaire" sera présentée à la galerie Licence IV du 25 octobre au 25 novembre 2018. Le vernissage aura lieu le jeudi 25 octobre entre 18 et 21 heures.

La galerie est ouverte le jeudi de 14h30 à 19 heures; le vendredi de 14h à 18 heures; le week-end (samedi et dimanche) de 11 heures à 18 heures.

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22 octobre 2018 1 22 /10 /octobre /2018 08:54

Durant le conflit mondial, Raoul Dufy, qui vit à Perpignan au 19 de la rue Jeanne d'Arc, fréquente des artistes roussillonnais dont le sculpteur Aristide Maillol (qui a son atelier à Banyuls-sur-Mer), le peintre Pierre Brune (qui a créé le musée d'Art moderne de Céret en 1950), Willy Mucha - peintre colliourenc -, Ludovic Massé, instituteur à Céret puis à Perpignan qui a donné sa démission pour se consacrer entièrement à la littérature, ainsi que des personnalités parisiennes en villégiature forcée dans les Pyrénées-Orientales.

En 1941, Jean Lurçat contacte Raoul Dufy et lui demande à participer à ses côtés à la rénovation de la tapisserie française. Lurçat, plus connu pour ses tapisseries que pour ses peintures a pourtant débuté comme peintre. En 1922, il expose à Paris ses gouaches et ses huiles puis à partir de 1928, il présente ses œuvres aux Etats-Unis à Moscou puis à Londres. Le musée d'Art Hyacinthe Rigaud de Perpignan présente, dans ses collections permanentes, des toiles de Lurçat dont Cadiz peinte en 1924. En juin dernier, sa Nature morte à la chèvre et à la grappe de raisin (datée de 1923) a été adjugée à 6875 euros chez Drouot. Mais partant du constat que la tapisserie est réduite à imiter la peinture, il décide, à partir de 1939, de la faire sortir du mimétisme dans laquelle, selon lui, elle s'est enfermée. Il devient alors un de ses grands rénovateurs. Raoul Dufy se laisse séduire par la proposition de Lurçat et réalise, en 1941, deux cartons Collioure et Le Bel été dont il offre des exemplaires à la famille Nicolau qui l'a si bien reçu en 1940. Une exposition croisée "Dufy-Lurçat" est organisée à la Bignou Gallery de New York en 1942. Dufy écrit en 1944 : "Je ne lâche pas mon projet de participer à la rénovation de la tapisserie française." Dufy fait aussi de la céramique à partir de 1943, suite à sa rencontre avec le céramiste Jean-Jacques Prolongeau.

Après la guerre, Raoul Dufy déménage. Il loue à la famille Sauvy un appartement au 2 rue de l'Ange dont les fenêtres donnent sur la place Arago, l'une des plus animées de Perpignan. De son nouveau logis, il a tout le loisir d'observer les nombreuses fêtes qui ont lieu sur la place et de dessiner les musiciens des coblas qui invitent les passants à danser la sardane mais aussi ceux qui se déguisent lors des carnavals. Il fréquente alors le violoncelliste Pablo Casals, la pianiste Yvonne Lefébure et reçoit dans son atelier Brassaï qui le photographie devant ses œuvres et Marcelle Oury, mère du réalisateur du film La Grande Vadrouille, comme l'atteste la dédicace écrite en bas de la Nature morte aux poires et aux citrons : "A Marcelle Oury que je retrouve à Perpignan ce 23 février 1946".

Entre 1940 et 1950, et ce malgré la polyarthrite qui l'handicape fortement, Dufy voyage beaucoup. Il séjourne souvent à Vence où son épouse est restée pour des raisons de santé, va à Collioure pour rendre visite à son ami Willy Mucha, à Céret pour rencontrer Pierre Brune, à Thuès-les-Bains et à Amélie-les-Bains pour tenter de calmer ses douleurs, à Montsaunès (Haute-Garonne) chez son ami l'écrivain Roland Dorgelès. Mais Paris lui manque : "Cela faisait près de quatre ans qu'il traînait de ville en ville : Céret, Nice, Vence, Perpignan. Maintenant notre village. Un jour, il n'y tint plus. - Je rentre le premier, me dit-il. Je vous attendrai chez vous aux Champs-Elysées ou chez moi, à Pigalle." (*) Raoul Dufy, qui a gardé son atelier de l'impasse de Guelma dans le 18ème arrondissement (atelier qu'il loue depuis 1911 et qu'il gardera jusqu'à sa mort) passe le mois de décembre 1943 à Paris. En septembre 1948, il est à Barcelone. En 1949, il fait une cure à Caldes de Montbui, station thermale située au nord de Barcelone. De ce séjour, il tire un grand format intitulé Nu et violoncelliste sur la terrasse à Caldes de Montbui (tableau prêté pour l'exposition de Perpignan par le musée des Beaux-Arts Jules Chéret de Nice) où il s'inspire de Vénus avec l'organiste et un petit chien tableau peint par le Titien vers 1550 qu'il avait vu au Prado (Madrid) en 1926.

En 1950, Raoul Dufy s'embarque pour les Etats-Unis pour être traité à la cortisone par le professeur Freddy Homburger. En 1951, Ludovic Massé propose à Dufy de s'installer définitivement dans les Pyrénées-Orientales et lui parle d'acquérir une bâtisse sur la route d'Ille-sur-Têt à Bélesta. Dufy refuse et s'installe à Forcalquier où il décède le 25 mars 1953.

L'exposition "Raoul Dufy, les ateliers de Perpignan, 1940-1950" au musée d'Art Hyacinthe Rigaud de Perpignan (21 rue Mailly) est visible jusqu'au 4 novembre 2018 inclus.     

(*) Vacances forcées par Roland Dorgelès de l'Académie Goncourt (Editions Albin Michel, 1985)                 

Statue de Maillol dans le jardin du musée d'Art Hyacinthe Rigaud (Perpignan)

Statue de Maillol dans le jardin du musée d'Art Hyacinthe Rigaud (Perpignan)

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15 octobre 2018 1 15 /10 /octobre /2018 09:05

"J'aime beaucoup la façon désinvolte avec laquelle Stendhal emploie le mot génie. (...) Laissez-moi adopter son style pour vous dire que madame Edith Piaf a du génie. Elle est inimitable. Il n'y a jamais eu d'Edith Piaf, il n'y en aura jamais plus." Jean Cocteau

L'été dernier, deux spectacles ont fait remonter Edith Piaf sur scène : l'un à Paris avec "I love Piaf" de Jacques Pessis (au Lucernaire), l'autre à Madrid intitulé "Piaf, voz y delirio" de Leonardo Padron avec la chanteuse vénézuélienne Mariaca Semprun (au Figaro). L'affiche du spectacle madrilène, qui simulait la une d'un vieux journal jauni, indiquait que la chanteuse à la petite robe noire chantait en Espagne pour la première fois. En effet, si Edith Piaf a chanté en Amérique du Nord, en Amérique du Sud et dans de nombreux pays européens, elle n'a jamais chanté en Espagne, le récital prévu à Valencia en mars 1963 ayant été annulé pour des raisons de santé. La chanteuse décédera sept mois plus tard.

La visite de l'exposition "Raoul Dufy, les ateliers de Perpignan, 1940-1950" au musée d'Art Hyacinthe Rigaud de Perpignan (à voir jusqu'au 4 novembre 2018) nous apprend que "Dufy n'est pas le seul artiste à trouver chez les Nicolau la chaleur d'un accueil fraternel : Cocteau, Marais s'y retrouvent. Edith Piaf et Arletty se croisent également à Perpignan ou à Vernet".

En 1935, une jeune fille de dix-neuf ans qui chante dans la rue ou dans des établissements sans importance est remarquée par Louis Leplée, directeur du cabaret "Le Gerny's" (54 rue Pierre Charron). Edith Giovanna Gassion, qui vit alors dans un hôtel minable de la rue Pigalle, devient la Môme Piaf. Elle se produit dans le cabaret de son mentor durant tout le premier trimestre de l'année 1936. Mais la consécration est de courte durée. Le 6 avril, Louis Leplée est retrouvé assassiné à son domicile. Edith demande à Raymond Asso de l'aider. Grâce à lui, la Môme Piaf devient Edith Piaf. C'est sous ce nom qu'elle passe en vedette américaine de Charles Trenet à l'ABC en avril et mai 1938. Asso écrit les paroles de nombreuses chansons dont Mon légionnaire (musique de Marguerite Monnot) créée par Marie Dubas puis reprise par Piaf en 1937. La France déclare la guerre à l'Allemagne le 3 septembre 1939. Raymond Asso est mobilisé tout comme Michel Emer - dont elle a fait la connaissance quelques mois plus tôt dans les studios de Radio-Cité - qui lui apporte une chanson qu'il vient de composer, paroles et musique : L'accordéoniste. Edith Piaf vit alors avec Paul Meurisse qui lui fait quitter les hôtels de Montmartre pour un appartement plus digne d'elle, selon lui, rue Anatole de la Forge dans le 17ème arrondissement. C'est à cette époque que l'actrice Yvonne de Bray présente Edith Piaf à Jean Cocteau qui décide d'écrire pour elle "une longue romance parlée", "un monologue à deux personnages" intitulé Le Bel indifférent. Cette pièce est jouée au Théâtre des Bouffes-Parisiens en avril 1940 avec Paul Meurisse (dans le rôle muet de l'amant qui se cache derrière un journal). Meurisse mobilisé à son tour doit céder son rôle à Jean Marconi pour quelques représentations seulement même si la pièce en un acte sera reprise par Edith Piaf et son époux Jacques Pills au Théâtre Marigny en 1953. Après l'armistice qui entre en vigueur le 25 juin 1940, Edith Piaf entreprend une tournée en zone libre. En juillet, elle chante au cinéma Le Castillet puis au début du mois d'août au Nouveau Théâtre à Perpignan.

Pendant ce temps, en juin 1940, l'exode conduit Jean Cocteau à Perpignan où Jean Marais, démobilisé, le rejoint chez les Nicolau qui habitent rue Edmond Bartissol. Ils y restent jusqu'à leur retour à Paris en septembre. Ils séjournent aussi dans la maison que les Nicolau possèdent à Vernet-les-Bains et Jean Marais passe ses journées à peindre les paysages du Conflent. L'exposition du musée Rigaud montre des photographies prises à Vernet où l'on peut voir l'actrice Arletty aux côtés de Raoul Dufy chez les Nicolau. On peut regretter de ne pas voir Edith Piaf sur au moins une de ces photos. Mais la chanteuse n'est restée que peu de temps à Perpignan, sa tournée l'emmenant très vite ailleurs en Languedoc et en Provence avant son retour à Paris fin septembre 1940. Edith Piaf reviendra dans les Pyrénées-Orientales, notamment à Collioure où elle se produira dans les arènes en août 1950 avec Eddy Constantine et Charles Aznavour.

L'exposition "Raoul Dufy, les ateliers de Perpignan 1940-1950" est à voir au musée d'Art Hyacinthe Rigaud, 21 rue Mailly à Perpignan du mardi au dimanche de 11 heures à 17h30. Entrée : 10 euros.                               

L'été dernier, Edith Piaf était pour la première fois en Espagne.

L'été dernier, Edith Piaf était pour la première fois en Espagne.

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9 octobre 2018 2 09 /10 /octobre /2018 12:22

Je rentrais du lycée ; les journaux annonçaient la mort de Jacques Brel. "Hospitalisé depuis jeudi à l'hôpital de Bobigny le chanteur s'est éteint ce matin à 4h10 après une embolie BREL EST MORT ", titrait France-Soir. Dans la soirée, pour lui rendre hommage, la télé a passé "Les risques du métier". C'était le lundi 9 octobre 1978.

Deux poètes sortent de la gare du Nord et se retrouvent sur la place Rogier bordées d'estaminets qu'ils fréquenteront jusqu'au bout de leurs nuits. Ils s'engagent ensuite sur le boulevard Adolphe Max ("Boulevard sans mouvement ni commerce, Muet...", selon Rimbaud) qui descend jusqu'à la place de Brouckère où ils prennent alors un omnibus. "Et sur l'impériale, le cœur dans les étoiles" (*), ils traversent la Grand-Place, merveilleux et riche théâtre reconstruit dans le style classique après le bombardement de 1695. Victor Hugo y vécut et à deux pas de là, "rue au Beurre 31, Baudelaire venait acheter du pain d'épices au Magasin Dandoy, maison fondée en 1858". (§) J'aime Bruxelles, ses pavés, ses marchés, sa joie de vivre, son caractère enfantin, son Manneken-Pis. J'aime sa Grand-Place, les géants qui la traversent en tournoyant, les marchands de caricoles, les pinceaux qui dessinent les façades aux atlantes musclés. Un article sur Bruxelles déplore le peu d'animation en ville le soir. J'aime aller au Cirio à la nuit tombée pour tuer (ou faire) du temps, commander un waterzooi de poulet et regarder les gens autour de moi boire un half-en-half (moitié vin mousseux, moitié vin blanc, dans l'ordre s'il vous plait). Une ville la nuit ne se compte pas en nombre de passants sur les trottoirs mais se conte dans ce qu'elle cache et qu'il faut découvrir pas à pas. Dans la Petite rue des Bouchers avec ses silhouettes invisibles qui racolent d'éventuels mangeurs qui ne sont pas des gourmets, "La Rose Noire" où Jacques Brel a chanté est fanée depuis longtemps mais le Théâtre Royal (de marionnettes) de Toone amuse les grands enfants que nous sommes. "L'enfance, qui peut nous dire quand ça finit, qui peut nous dire quand ça commence..." (*) Bruxelles n'est pas une ville sage, une ville installée, une charmante ville de "province" comme beaucoup le pensent. Il faut savoir quitter la Place et avoir envie d'emmener ses amis aux Halles Saint-Géry, à la Galerie Bortier puis écouter un concert au musée Charlier. Visiter Bruxelles est une chance. Y Vivre ? Ceux qui ont fui pour Bruxelles furent nombreux : Jacques-Louis David, Victor Hugo, Georges Boulanger, Pierre-Joseph Proudhon, Karl Marx... Carles Puigdemont. Bruxelles n'a pas de pays c'est un monde, pas de nationalité c'est une mondialité, on y parle toutes les langues du globe. Ils n'y a pas de Wallons, pas de Flamands, pas de Catalans. "Vous n'aimez pas les gens cuirassés ?", demande Claude Santelli à Jacques Brel qui répond : "çà n'existe pas! Je crois que ça n'existe pas." Bruxelles a donné naissance à tant de personnalités : les peintres Jan Brueghel, Pierre Alechinsky ; l'architecte Auguste Perret ; les dessinateurs Hergé, Jean-Michel Folon ;  les gens de lettres Michel de Ghelderode, Marguerite Yourcenar, Françoise Mallet-Joris ; le compositeur de jazz Toots Tielemans ; le baryton José Van Dam ; la sautillante Annie Cordy ; l'ethnologue Claude Lévi-Strauss ; le général Weygand ; le président de la République française Paul Deschanel. C'est le temps où Bruxelles bruxellait et qui bruxellera toujours...                                 

*Extraits de "Bruxelles", chanson écrite en 1962 par Jacques Brel et Gérard Jouannest et "L'Enfance", chanson écrite en 1973 par Jacques Brel.

(§) Sur les pas des écrivains à Bruxelles par Joël Goffin (Les Editions l'Octogone et Le Point sur la ligne, 1998)     

 

Place du Petit-Sablon (Bruxelles)

Place du Petit-Sablon (Bruxelles)

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8 octobre 2018 1 08 /10 /octobre /2018 10:17

Rappel historique : En avril 1938, le gouvernement de Léon Blum est renversé. Le président de la République Albert Lebrun fait appel à Edouard Daladier pour former un nouveau cabinet. "Les socialistes n'en faisaient pas partie, mais en revanche un certain nombre d'adversaires du Front populaire y entraient : Paul Reynaud, Georges Mandel, Champetier de Ribes." (1) A partir de mai, la diplomatie française est entièrement accaparée par la crise tchèque qui secoue le gouvernement. "Georges Mandel, Paul Reynaud, Champetier de Ribes portent leur démission à Daladier, puis la reprennent. A Paris, l'émotion est générale. Le bruit court que Georges Bonnet va quitter le Quai d'Orsay. Au Parlement, la délégation des gauches se déclare pour une politique de fermeté." (2) Fin septembre, sont signés les accords de Munich (ratifiés au Palais-Bourbon début octobre). De son côté, reprenant la direction de son journal Le Populaire, Léon Blum "va poursuivre ainsi un double combat : contre la capitulation devant l'impérialisme hitlérien, contre la liquidation des conquêtes sociales du Front populaire". (3) Des grèves sont déclenchées "contre l'immense représaille sociale" du "gouvernement Daladier en décembre 1938" qui veut mettre fin à "la loi des 40 heures, "bête noire" de Paul Reynaud et de son conseiller Alfred Sauvy*". (3) Le 12 novembre 1938, par décret-loi, le gouvernement Daladier institue les centres d'internement pour les "étrangers indésirables". Le premier de ces centres ouvre en Lozère en janvier 1939. Devant l'afflux des réfugiés espagnols, des camps sont aménagés à la hâte sur les plages d'Argelès-sur-Mer et de Saint-Cyprien où s'entassent plus de 260 000 personnes durant l'hiver 1939. En novembre 1939, les terrains non cultivés des communes de Rivesaltes et de Salses (Pyrénées-Orientales) sont réquisitionnés pour l'ouverture d'un camp militaire. En mars 1940, Daladier porte sa démission au président de la République. Il est remplacé par Paul Reynaud. En avril, un nouveau décret-loi interdit le nomadisme et impose l'assignation à résidence. En mai, après l'offensive allemande sur la Meuse, arrivent environ 900 réfugiés belges dans les Pyrénées-Orientales. Puis 8 000 soldats français et belges venant des régions occupées arrivent à Rivesaltes dans l'attente de leur démobilisation. Dans l'Aude aussi, "des soldats belges peuplent la région. (...) On les voit, errant dans les rues d'Alet par petits groupes, mais plus souvent assis en files au pied des maisons, dos au mur, effroyablement désœuvrés, aucun d'eux n'imaginant rien pour se distraire, attendant on ne sait quoi dans la morne fuite des heures". (4) Le 17 juin, jour où Pétain demande un armistice, un navire français, le Béarn transportant des bombardiers à destination de l'Angleterre, quitte Halifax en Caroline du Nord (Etats-Unis d'Amérique). Le navire ne devait jamais arriver à destination. "Dérouté sur la Martinique, le porte-avions devait y rester jusqu'au 13 juillet 1943, date à laquelle il tomba aux mains du Comité national français, qui prit le contrôle de l'île." (5) Le 10 juillet à Vichy, députés et sénateurs siègent ensemble en Assemblée nationale et accordent les pleins pouvoirs à Pétain. "Cette assemblée n'est plus celle du Front populaire, privée qu'elle est des élus communistes et des "voyageurs" du Massilia : (...) elle a voté à une immense majorité le suicide de la République. Il ne s'est trouvé que 80 parlementaires sur 560 pour dire non à Laval! Et sur ces 80, il n'y a que 35 socialistes." (3)

C'est au cours de cette époque sombre que Raoul Dufy arrive à Céret avec son épouse venant de Nice. Il y retrouve des amis peintres et poètes dont Pierre Brune qui lui fait rencontrer le docteur Pierre Nicolau, propriétaire de la clinique privée des Platanes. Pierre Nicolau et son épouse qui habitent à Perpignan, possèdent aussi une maison à Vernet-les-Bains où ils reçoivent au cours de l'été 1940 de nombreuses personnalités dont Jean Cocteau, Jean Marais, Arletty.  Dufy restera à Céret jusqu'au début de l'année 1941 puis s'installera à Perpignan pour y soigner la polyarthrite dont il souffre depuis le milieu des années 1930, d'abord chez les Nicolau (10 rue Edmond Bartissol) puis dans un atelier en rez-de-chaussée au 19 de la rue Jeanne d'Arc, dont les fenêtres donnent sur la façade du Centro Espagnol.               

* Alfred Sauvy, économiste, démographe et sociologue français naquit en 1898 à Villeneuve-de-la-Raho à quelques kilomètres de Perpignan (Pyrénées-Orientales). "Comment ne nous souviendrions-nous pas qu'un esprit aussi objectif, aussi peu susceptible d'être classé "à droite" qu'Alfred Sauvy, a été taxé de "réac" parce que - tout en reconnaissant les conquêtes sociales du gouvernement Blum - il ne lui avait pas moins attribué une part de responsabilité dans la défaire de 40 : entre 1936 et 1938, le France a produit 1 230 avions, l'Allemagne 13 800.", écrit Pierre Daninos dans La composition d'Histoire (Julliard, 1979).     

(1) Le déclin de la IIIè République par Henri Dubief (Editions du Seuil, 1976)

(2) Vingt ans de suspense diplomatique par Geneviève Tabouis (Editions Albin Michel, 1958)  

(3) Léon Blum par Jean Lacouture (Editions du Seuil, 1977)

(4) Journal d'André Gide - 4 juillet 1940 (Editions Gallimard, 1954)

(5) L'Adieu au Sud par Maurice Denuzière (Editions Denoël, 1987)

Autre source consultée pour la rédaction de cet article : Mémento chronologique du Camp de Rivesaltes (Mémorial du Camp de Rivesaltes) par Roger Barrié (2011)

Le gouvernement Daladier institue par décret-loi les centres d'internement pour les "étrangers indésirables".

Le gouvernement Daladier institue par décret-loi les centres d'internement pour les "étrangers indésirables".

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1 octobre 2018 1 01 /10 /octobre /2018 15:23

Le vendredi 1er septembre 1939, l'Allemagne attaque la Pologne sans déclaration de guerre. A la Chambre des députés, le président du Conseil Edouard Daladier (à Matignon depuis avril 1938) "réclame les quatre-vingt-dix milliards de crédit pour la mobilisation générale". (1) "Le 2 septembre, à la fin de l'après-midi, Léon Blum quitte la Chambre des députés après avoir voté les crédits militaires dont l'approbation signifie l'entrée en guerre de la France, pour défendre, aux côtés de la Grande-Bretagne, la Pologne envahie à son tour par Hitler (et par Staline)." (2) Le dimanche 3 septembre, la Grande-Bretagne puis la France déclarent la guerre à l'Allemagne.  La déclaration de guerre surprend Raoul Dufy alors qu'il se trouve à Saint-Denis-sur-Sarthon (Orne) et qu'il termine le panneau décoratif intitulé La Seine de Paris à la mer, destiné à orner le bar-fumoir du Théâtre du Palais de Chaillot. "Devant la Chambre des députés, les passants s'arrachent en silence la dernière édition de Paris-Soir qui annonce la guerre. Les gens n'y croient toujours pas. Sceptiques, ils hochent la tête." (1) "La population bruxelloise reste magnifiquement calme et si elle a senti son cœur battre un peu plus fort à midi, quand fut publiée la nouvelle lancée par l'Angleterre et, plus tard, quand fut annoncée la réponse du chancelier allemand, elle garde l'espoir que la déclaration de la neutralité lui épargnera les horreurs de la guerre." (3) Le 10 mai 1940, l'Allemagne lance une offensive sur la Meuse. Les villes de Namur, Dinant, Mons sont durement bombardées. Devant l'avance des Allemands, Raoul Dufy se réfugie à Nice. Mais le 10 juin, l'Italie entre en guerre contre la France. La ville de Menton est bombardée. "La guerre de 1940 a détruit un ensemble de maisons qui bordaient le côté Est de la rue Longue et dans cet espace on a logé les "Rampes" montant du quai à cette rue et de là jusqu'au parvis Saint-Michel." (4) Raoul Dufy quitte alors Nice avec son épouse pour Céret dans les Pyrénées-Orientales. Là, il retrouve Albert Marquet, Pierre Camo et rencontre Ludovic Massé qui devient un ami proche. Le peintre Pierre Brune informe le docteur Pierre Nicolau que Dufy est à Céret et qu'il souffre atrocement de polyarthrite. Le médecin perpignanais, propriétaire de la clinique privée des Platanes, entreprend de soigner le peintre malade et l'accueille chez lui dans son appartement du 10 de la rue Edmond-Bartissol qui se trouve dans une bâtisse d'inspiration classique construite en 1922 (voir illustration ci-dessous). Dufy y restera pendant six mois jusqu'à ce qu'il emménage dans un atelier (au 19 rue Jeanne d'Arc) situé en rez-de-chaussée et dont les fenêtres donnent sur le Centro Espagnol que l'on distingue clairement dans de nombreuses toiles dont une version de "L'Atelier aux raisins" (1942), tableau qui fut la propriété de l'actrice Jacqueline Delubac - exposé au musée des Beaux-Arts de Lyon* -, et dans une version de "L'Atelier au compotier" (1942) - tableau exposé à la Galleria Internazionale d'Arte modena di Ca'Pesaro à Venise - qui se caractérise par son caractère nocturne où la façade du Centro Espagnol est rendue en négatif. En 1941, le peintre Jean Lurçat qui se consacre à la tapisserie depuis deux ans, encourage Dufy à participer à ses côtés à la rénovation de la tapisserie française en la faisant sortir du réduit dans lequel elle était enfermée, n'imitant que la peinture. Dufy se laisse séduire par la proposition de Lurçat et réalise deux cartons "Collioure" et "Le Bel été" dont il offre des exemplaires à la famille Nicolau. En 1943, sa rencontre avec Jean-Jacques Prolongeau lui redonne le goût de la céramique. En 1946, Dufy quitte l'atelier de la rue Jeanne d'Arc pour en louer un à la famille Sauvy au 2 rue de l'Ange (en étage) et dont les fenêtres donnent sur la place Arago, une des places les plus animées de Perpignan. De là, il peut assister aux festivités populaires et aux concerts donnés en plein air. Dans cet atelier, il s'attache à une console surmontée d'un miroir que l'on peut voir dans de très nombreuses natures mortes "de sorte que cet intérieur de la Place Arago, contient pour moi tout le Roussillon, avec ses montagnes, ses vignobles et ses rochers, et j'ai, avec tous ces travaux faits à Perpignan, la même révélation que Matisse à Collioure" écrit Dufy à Ludovic Massé en 1952. Entre 1940 et 1950, Raoul Dufy, bien que souffrant de polyarthrite, ne demeure pas qu'à Perpignan. Etonnamment il se déplace beaucoup. Il se rend à Vernet-les-Bains où le docteur Nicolau a une maison et où séjournent, durant l'été 1940, Jean Cocteau, Jean Marais et Arletty. Dufy y passe les étés 1940 et 1941. Il se rend aussi à Thuès-les-Bains et à Amélie-les-Bains pour raisons de santé, à Collioure chez Willy Mucha, à Céret chez Pierre Brune, à Vence pour rendre visite à son épouse, à Montsaunès chez son ami Roland Dorgelès, à Paris où il a gardé un atelier dans l'impasse de Guelma au pied de la Butte Montmartre, en Catalogne à Caldes de Montbui (en 1948 et 1949), en Castille à Tolède (en 1949). En 1950, il s'embarque pour les Etats-Unis où il est attendu dans l'hôpital du professeur Freddy Homburger afin de subir un traitement à la cortisone. Il rentre en France l'année suivante et Ludovic Massé lui propose alors d'acquérir un "vrai château" qui se trouve sur la route d'Ille-sur-Têt à Bélesta. Mais Dufy qui ne souhaite plus vivre dans le Roussillon s'installe en 1952 à Forcalquier dans l'espoir que le climat sec de cette cité des Basses-Alpes lui sera bénéfique. C'est là qu'il décède le 25 mars 1953.     

* En 1997, le musée des Beaux-Arts de Lyon a, grâce au legs exceptionnel de l'actrice Jacqueline Delubac (qui fut l'une des épouses de Sacha Guitry), enrichi sa collection d'art moderne avec des oeuvres de Monet, Manet, Renoir, Bonnard, Picasso, Léger, Fautrier, Bacon et Dufy. Rappelons qu'à la différence du don effectué du vivant du donateur, le legs, inscrit dans le testament de celui-ci, ne prend effet qu'à son décès.              

(1) Vingt ans de suspense diplomatique par Geneviève Tabouis (Editions Albin Michel,1958)

(2) Léon Blum par Jean Lacouture (Editions du Seuil, 1977)

(3) Extrait d'un article paru dans le journal La Nation Belge daté du lundi 4 septembre 1939

(4) Guide de Menton et du Mentonnais (Lito-Ligure, 1976)

La maison Nicolau, rue Edmond Bartissol (Perpignan)

La maison Nicolau, rue Edmond Bartissol (Perpignan)

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24 septembre 2018 1 24 /09 /septembre /2018 14:25

Une exposition intitulée "Raoul Dufy - Les ateliers de Perpignan 1940-1950" a lieu actuellement et jusqu'au 4 novembre 2018 au musée d'Art Hyacinthe Rigaud de Perpignan. cette exposition réunit pour la première fois un ensemble très significatif de ses ateliers de Perpignan et rend compte des séjours de Dufy à Vernet-les-Bains, au Boulou, à Caldes de Montbui. Pour illustrer la production très diverse de Raoul Dufy à Perpignan, l'exposition s'attache à trois de ses thèmes de prédilection durant cette période : la réinterprétation des Maîtres, les représentations de la musique et la peinture de fleurs. Son activité spécifique dans le domaine des arts décoratifs est mise en lumière pour la première fois.

En mai 1937, est inaugurée à Paris l'Exposition universelle des Arts et des Techniques, qui "devait être le triomphe d'un gouvernement populaire, d'une dynamique sociale, d'une vision de l'avenir". (1) Edmond Labbé, commissaire général de l'Exposition, a demandé que celle-ci réunisse les œuvres originales d'artistes, d'artisans et d'industriels. "Pour que cette grande manifestation, déclare-t-il, attire à Paris les foules qui, seules, peuvent assurer son succès, il faut que l'Art lui confère un lustre irrésistible, il faut qu'elle exerce non seulement sur la France, mais sur l'Europe, sur le reste du monde, un pouvoir de séduction qui fasse oublier à tous les difficultés présentes. (...) Il faut que nous présentions au public une espèce de panorama des techniques modernes, comprenant les techniques matérielles les plus simples et les plus complexes ; comprenant ce que les pédagogues contemporains appellent audacieusement les techniques "culturelles", ces procédés de formation du corps et de l'esprit qui doivent assurer à la France de demain une jeunesse travailleuse plus adroite, plus compétente, plus sûre d'elle-même et de son destin que les générations éprouvées par la guerre et par la crise."

Pour accueillir cet événement hors du commun, Paris se transforme. Tout le secteur compris entre le pont des Invalides, l'Alma et le pont de Grenelle bénéficie d'améliorations et d'embellissements. Plus de deux kilomètres de promenade plantée sont créés sur la rive gauche de la Seine grâce à la couverture du chemin de fer de l'Etat ; le pont d'Iéna (dont la construction initiale date de 1809-1813) est élargi de 35 mètres ; un passage souterrain est creusé avenue de Tokio, actuelle avenue de New York, où deux musées d'art moderne - celui de l'Etat et celui de la Ville - sont bâtis à la place de la Manutention militaire ; enfin, le palais du Trocadéro laisse la place au "palais de Chaillot, édifié, par les architectes Carlu, Boileau et Azéma, sur les fondations du palais précédent dont les ailes, longues chacune de 195 mètres, ont été enrobées dans celles du palais actuel". (2)

Parmi les nombreux pavillons nationaux et internationaux construits sur le site de l'Exposition, celui de l'Electricité est élevé par l'architecte Robert Mallet-Stevens. En juillet 1936, on propose à Raoul Dufy de le décorer. Ainsi, La Fée Electricité sera présentée au public à partir du 24 mai 1937. "Dufy est l'un des rares artistes à avoir achevé son décor dans les temps." (3) Car les travaux s'éternisent et c'est avec trois semaines de retard sur la date prévue que s'ouvre l'Exposition. La France est confrontée à de nombreux conflits sociaux et les grèves se multiplient sur le chantier. Le gouvernement de Léon Blum issu des élections de mai 1936 n'a plus que quelques semaines à vivre et le 22 juin, le président du Conseil porte sa démission à l'Elysée. Il est remplacé par Camille Chautemps qui lui aussi a fort à faire à l'intérieur comme à l'extérieur. Le 11 septembre 1937, un mouvement hétéroclite anticommuniste connu sous le nom de "la Cagoule" fait exploser deux bombes, l'une devant le siège de la Confédération Générale du Patronat français, 4 rue de Presbourg (l'explosion fait s'effondrer quatre étages de l'immeuble) ; l'autre éventre l'immeuble du siège de l'Union des industries et métiers métallurgiques, 45 rue Boissière.

En 1937, Raoul Dufy n'est pas un inconnu. Natif de Le Havre, il part étudier à Paris à l'Ecole nationale des Beaux-Arts en 1899. Ami des peintres Othon Friesz et Albert Marquet, il présente ses œuvres pour la première fois dans une exposition collective en 1903. Il expose au Salon des indépendants en 1905. En 1911, il dessine le carton d'invitation pour la fête "La Mille et Deuxième nuit" organisée chez le couturier Paul Poiret au 107 rue du faubourg Saint-Honoré et réalise avec Dunoyer de Segonzac un immense vélum couvrant la cour d'entrée de cet immeuble qui derrière une façade Empire abrite "le magasin de l'antiquaire décorateur (...) fondé en 1856 par Caroline Dugrenot, fournisseur de l'impératrice Eugénie". (2) En 1935, l'Etat et la Ville de Paris lui achète des peintures. En 1938, il est élevé au grade d'officier de la Légion d'honneur. La déclaration de guerre (3 septembre 1939) le surprend alors qu'il peint le panneau destiné à orner le bar du Théâtre du Palais de Chaillot intitulé La Seine de Paris à la mer (voir illustration ci-dessous) qu'il installera lui-même en septembre 1940 et qui se trouve actuellement dans le bar du musée des Beaux-Arts de Lyon. Fuyant l'avancée de l'armée allemande, il s'installe à Nice qu'il quittera durant l'été 1940.                     

(1) Léon Blum par Jean Lacouture (Editions du Seuil, 1977)

(2) Dictionnaire historique des rues de Paris par Jacques Hillairet (Les Editions de Minuit, 1964)

(3) Catalogue de l'exposition "Raoul Dufy - Le plaisir" au musée d'Art moderne de la Ville de Paris (octobre 2008-janvier 2009)

Musée d'Art Hyacinthe Rigaud

21 rue Mailly

66000 Perpignan

Tél : 04 68 66 19 83

Le musée est ouvert du mardi au dimanche de 11 heures à 17h30 

Fresque de Raoul Dufy "La Seine de Paris à la mer"

Fresque de Raoul Dufy "La Seine de Paris à la mer"

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14 septembre 2018 5 14 /09 /septembre /2018 15:51

En mai 1913, Walter Benjamin séjourne à Paris durant deux semaines avec deux amis. Il visite le Louvre et est fasciné par les Grands Boulevards. Vingt-deux ans plus tard, il écrit Paris, capitale du XIXè siècle, texte dans lequel il parle des passages parisiens nombreux sur les Grands Boulevards, notamment le passage des Panoramas. Celui-ci a été ouvert en 1800, "sur l'emplacement d'une des cours d'un hôtel* construit en 1704" (...) "propriété morcelée en 1800 ; une partie en fut achetée par James Thayer qui y ouvrit ce passage." (1) Le passage des Panoramas doit son nom aux deux tours de 17 mètres de diamètre et de plus de 20 de haut sur lesquelles se déployaient des toiles peintes figurant une vue générale de Paris et l'évacuation de Toulon par les Anglais en 1793. "L'importation en France des panoramas, inventés, en 1787, par le peintre anglais Joseph Baker, était due à Fulton..." (1) Malgré la disparition de ces panoramas en 1831, le passage demeura longtemps un lieu prisé de promenade pour les Parisiens. Premier lieu public de la capitale doté dès 1817 de l'éclairage au gaz, il possédait de nombreuses boutiques de luxe : le café Véron, le café des Panoramas, la pâtisserie Félix, la confiserie "A la duchesse de Courlande", le papetier et antiquaire Susse, "chez qui Alexandre Dumas père devait acheter, pour 600 francs, Le Tasse dans la prison des fous, de Delacroix, qu'il revendit 50 000 francs" (1) et le graveur Stern. "La plupart des passages parisiens sont nés dans les quinze années qui ont suivi 1822. La première condition de leur apparition est la haute conjoncture du commerce des textiles. (...) L'apparition des passages dépendait en second lieu des débuts de l'architecture en fer. (...) Comme l'architecture avec la construction en fer, la peinture, avec les panoramas, a commencé d'échapper à l'art. (...) David conseille à ses élèves d'aller dessiner d'après nature dans les panoramas. En recourant ainsi à l'illusion pour reproduire fidèlement les changements naturels, les panoramas annoncent, au-delà de la photographie, le cinéma et le film sonore. (...) Daguerre est un élève du peintre de panoramas Prévost, dont l'établissement se trouve dans le passage des Panoramas. (...) En 1839, un incendie détruit le panorama de Daguerre. La même année celui-ci annonce l'invention du daguerréotype." (2)

L'architecture en fer se développera à Paris surtout à partir du Second Empire d'abord avec les Halles de Baltard construites entre 1851 et 1857. "L'emploi du fer et de la fonte, les larges rues couvertes, les lanternons à claire-voie et les baies vitrées, les caves immenses, la distribution d'eau et de lumière représentaient alors un progrès immense." (1) Puis dans l'architecture religieuse avec l'église Saint-Eugène (rue Sainte-Cécile, 9ème arrdt) où derrière une façade d'inspiration médiévale, l'architecte Boileau utilisa pour la première fois dans une église une structure entièrement métallique (1854-1855) : fonte creuse pour les colonnes, les galeries et les tribunes, fer pour les arcs en ogive. Seuls les murs sont en pierre. Baltard construira aussi une église avec une structure métallique : Saint-Augustin (1860-1868). Le même Boileau construira à partir de 1869 le magasin "Le Bon Marché" dont la charpente métallique est l'œuvre de Gustave Eiffel. "La concurrence des grands magasins, la réhabilitation des promenades dans les rues (quand Haussmann popularisa les vastes trottoirs et fit disparaître sous terre les égouts) furent fatales aux passages qui perdirent leur séduction pour être ravalés au rang de piteux "parapluies du pauvre". (3)

Tous ces thèmes et bien d'autres seront développés lors des journées consacrées à Walter Benjamin entre Banyuls-sur-Mer et Portbou à la fin du mois de septembre 2018 par l'association "Walter Benjamin sans frontières". 

Le samedi 22 septembre 2018 à 17 heures, vernissage de l'exposition d'Hélène Peytavi, "Traversées" dans le hall de la mairie de Banyuls-sur-Mer;

Le mercredi 26, présentation par Jean-Pierre Bonnel et André Roger du livre d'Anne Roche, lauréate du Prix européen de l'essai Walter Benjamin 2018 (mairie de Banyuls);

Le jeudi 27 à 18h30, conférence de Roger Rull sur son livre historique et le chemin;

Le vendredi 28 à 19 heures à Portbou, présentation par Jean-Pierre Bonnel du livre de Roser Amills sur Asja Lacis;

Le samedi 29 en la mairie de Banyuls, réception de la lauréate du Prix, Anne Roche;

Le dimanche 30 à 11 heures, réception de la lauréate à Portbou puis discours au Mémorial Walter Benjamin.

Renseignements au 06 31 69 09 32    

* L'hôtel de Montmorency-Luxembourg.

(1) Dictionnaire historique des rues de Paris par Jacques Hillairet (Les Editions de Minuit, 1964)   

(2) Paris, capitale du XIXè siècle par Walter Benjamin (Œuvres III, Editions Gallimard, 2000)

(3) Promenade dans le Paris disparu par Leonard Pitt (Parigramme, 2002) 

Passage des Panoramas (Paris, 2ème arrondissement)

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